Cameron Sinclair, l’architecte « open source »

Cameron Sinclair, 36 ans, est un « éternel optimiste ». Il a cofondé « Architecture pour l’humanité » (1) il y a onze ans. Cette ONG américaine envoie des architectes partout dans le monde pour rebâtir dans des zones sinistrées ou démunies. Les attentats du 11-Septembre, le tsunami en Asie du Sud-Est, l’ouragan Katrina, le tremblement de terre en Haïti, la marée noire du golfe du Mexique, les conditions miséreuses dans lesquelles vit une grande partie de la population du globe. Rien ne semble ébranler sa foi en l’humanité. Son objectif : que les architectes et designers cessent de se regarder le nombril. Qu’ils réalisent que l’architecture qui changera la planète est celle des bidonvilles et non celle d’une élite de « créateurs » à la mode. « Design like you give a damn » (2) (« Créez comme si vous en aviez quelque chose à foutre ») : son cri du cœur est devenu le signe de ralliement de la jeune génération de bâtisseurs, qui estiment que l’architecture n’a de mérite que si elle a un impact social.

Sans-abris et éminents professeurs

Flash-back. A la fin des années 1990, le jeune Londonien Cameron Sinclair est étudiant à la Bartlett School of Architecture, prestigieux établissement britannique. Il consacre sa thèse à la population sans domicile fixe de New York. Mais ne termine pas son master car il juge le monde architectural trop déconnecté de la réalité. Il migre alors aux Etats-Unis pour mettre ses idées en pratique. « Les sans-abri avec lesquels je travaillais en savaient davantage que mes éminents professeurs », se souvient-il. Adolescent, il s’intéressait d’ailleurs déjà à la « mauvaise architecture » des bas quartiers de la capitale anglaise, plutôt qu’aux beaux bâtiments des coins huppés. « L’architecture est selon moi un acte politique, martèle-t-il sans relâche. J’ai fondé Architecture pour l’humanité comme une plate-forme pour m’exprimer. Mais ce n’est pas un simple architecte qui va réussir à changer le monde. Il faut que nous soyons des millions. »

Gros chèque

En 2006, Cameron Sinclair séduit le jury du prix TED qui récompense des causes extraordinaires. Avec son gros chèque de 100 000 dollars (72 000 euros), il crée l’« Open Architecture Network », un réseau sur Internet qui permet aux architectes du monde entier de produire des œuvres en « open source ». « Aujourd’hui, 20 000 architectes et designers sont connectés au réseau. Je suis très fier du travail de reconstruction réalisé dans des zones de désastres naturels », se félicite Cameron Sinclair. Il admet avoir un faible pour le centre communautaire de Yodakandiya au Sri Lanka. Ce bâtiment qui accueille des familles touchées par le tsunami de 2004 est nommé pour le prix d’architecture Agha Khan, trophée triennal récompensant l’excellence en architecture dans les sociétés musulmanes. « Toute la communauté a participé à sa construction et travaillé main dans la main avec l’architecte. Cela prouve que lorsque l’architecte laisse son ego au placard, il peut créer un lieu non seulement esthétique mais respirant la dignité », explique-t-il.

Chaque année,10 000 personnes profitent des structures créées par l’ONG. A l’occasion de la dernière Coupe du monde de football en Afrique du Sud, Architecture pour l’humanité s’est assurée le soutien de la fédération internationale pour construire 20 centres sportifs « Football for Hope » (« football pour l’espoir »). Ces lieux de vie ont également pour mission d’éduquer les jeunes aux dangers du sida.

L’école, nouveau champ de bataille

Tous les deux ans, l’Open Architecture Network organise une compétition entre architectes afin de les inciter à travailler sur des thématiques oubliées ou ignorées. En 2009, il s’agissait ainsi de bâtir des salles de classe. « C’est mon nouveau champ de bataille », assure Cameron Sinclair. D’après lui, rien qu’aux Etats-Unis, 6 millions d’élèves étudient dans des bâtiments préfabriqués contenant des matériaux toxiques et cancérigènes. « Donnez moi un chèque en blanc et je vous fabrique l’école la plus verte au monde. Mais le vrai défi, c’est de construire les meilleurs bâtiments possibles avec de petits budgets. Des architectes venant de 63 pays ont répondu à ce défi », conclut cet éternel optimiste. —

(1) En compagnie de Kate Stohr, son épouse.

(2) C’est aussi le titre d’un de ses ouvrages paru chez Thames & Hudson en 2006.

Vous avez dit « empreinte éthique » ?

La dernière cible de Cameron Sinclair ? L’industrie du bâtiment des Emirats arabes unis qui attire des travailleurs originaires d’Inde, du Pakistan, du Népal ou du Sri Lanka et les « séquestre » dans des conditions proches de la servitude dans des camps. En 2009, sur la scène du prix TED, l’architecte humaniste a invité les professionnels du bâtiment à se pencher sur leur empreinte éthique autant que sur l’empreinte carbone de leurs constructions. En quoi est-ce bénéfique de construire un complexe économe en énergie, un bâtiment zéro émission, alors que la main-d’œuvre qui produit ce bijou architectural est traitée de manière inhumaine, leur a-t-il demandé. —