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Baluchon, un Robin des Bois en cuisine

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Baluchon, un Robin des Bois en cuisine
(Crédit photo : Amélie Mougey)
 
Un chiffre d’affaires de 1,4 million d’euros et 38 anciens chômeurs salariés. Pas mal pour une entreprise d’insertion née il y a trois ans en Seine-Saint-Denis et qui concocte des plateaux-repas pour les cols blancs de La Défense.
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Si Robin des Bois vivait à notre époque, il aurait étudié la finance subversive, ou l’art de détourner, en toute légalité, les outils du capitalisme au profit de ses laissés-pour-compte. Si Robin des Bois opérait aujourd’hui, il irait chercher l’argent là où il est : à la Défense et dans les groupes du CAC40. Pour le drainer là où il manque, en Seine-Saint-Denis, « l’un des territoires les plus pauvres de France mais qui a cette chance d’avoir pour voisins les plus riches », souligne François Dechy. Robin des Bois, c’est lui. Un bûcheur de 36 ans à l’énergie contagieuse. Un passionné « de bonne bouffe et de circuits courts » qui, en guise d’arc et de flèches, a choisi les petits fours. Son arme la plus aiguisée ? L’idée de proposer aux bourreaux de travail des grandes entreprises françaises, souvent installées en Ile-de-France, un repas préparé dans les quartiers déshérités, livré au bureau et destiné à être ramené chez soi pour le dîner.

Ce concept, « le Baluchon », a donné son nom à une entreprise d’insertion lancée en 2013 à Romainville. Aujourd’hui, du déjeuner au cocktail, l’offre de la start-up est aussi celle d’un traiteur classique : « Le Baluchon, c’était surtout un cheval de Troie pour toucher cette clientèle-là », reconnaît le patron, ex-responsable de la création d’entreprises au sein de l’association France Active. Cette clientèle-là ? GDF Suez, Total, BPCE… La liste a de quoi faire tiquer les plus militants. « Bien sûr, on peut les soupçonner de greenwashing ou de socialwashing, concède-t-il. Mais les purs et durs de la consommation responsable, qui doivent représenter 3 % de la population, ne suffisent pas. Ils nous intéressent surtout pour réfléchir. Pour les débouchés, il faut élargir », se défend l’entrepreneur. La stratégie fonctionne. En 2015, l’entreprise affiche un chiffre d’affaires de 1,4 million d’euros. En trois ans d’existence, elle est passée de 5 à 38 salariés. « 38 anciens chômeurs », souligne le patron.

Lundi matin, 9 heures, la cuisine est en ébullition. Sous les gestes précis de Founé Diebakhte, pétillante Sénégalaise de 28 ans, et ceux de ces collègues, les barquettes en plastique se colorent de légumes. Dans la pièce voisine, Boris Mana Tsogo coupe du poulet grillé destiné à finir en sandwichs. Tous deux ont été embauchés à temps plein en contrat d’insertion par l’activité économique. Un petit miracle dans le quartier Marcel-Cachin, une cité qui abrite 250 chômeurs pour un millier d’habitants et ne comptait aucun emploi privé avant l’installation du traiteur. L’insertion, censée apporter une solution, n’est pas le point fort du département : à peine trois contrats de ce type sont proposés pour 100 demandeurs d’emploi longue durée, contre 20% dans les territoires les mieux dotés, l’Indre ou la Savoie. Quant aux embauches classiques… « Il y a bien des entreprises qui s’installent, mais ce sont des activités de services, qui ne tournent qu’avec des bac +3 et n’embauchent pas nos loulous », soupire François Dechy.

Le fait maison pour choyer les papilles

Brian Tavares-Moreira, pile électrique de 24 ans, vit à dix minutes à pied. Il a longtemps buté sur ce décalage. « Pendant neuf mois, j’allais au taxiphone tous les matins, je tapais dans l’index “restauration hôtellerie”, je faisais défiler, j’envoyais des CV, ça ne donnait rien. » Son visage s’éclaire. « En juillet 2014, je tombe sur l’offre de Baluchon, je réponds direct. Trente minutes plus tard, François m’appelle, on a rendez-vous le lendemain, le courant passe bien. » Depuis, le jeune homme est devenu « demi-chef de partie au froid ». Pour les non-initiés, il chapeaute l’équipe chargée des entrées ou des desserts. Salades, sandwichs, tiramisus concoctés par lui et ses acolytes vont ensuite garnir les paniers-repas des employés. « On peut le même jour sortir 80 déjeuners pour les éboueurs de Romainville, et autant pour le comité de direction de Vinci, reprend François Dechy, au volant de sa camionnette. Le choix des produits et la tarification varient – du prix d’un ticket-resto au repas à 80 euros – mais les exigences et la philosophie sont les mêmes. » En clair, damer le pion à la nourriture industrielle.

A l’entrée de la cuisine, le garde-manger fait grise mine. Quelques pots de sel, d’épices, de miel… « A part des pois chiches pour dépanner, on fonctionne sans conserves », explique Abdel Bentara, le chef. Les vedettes ont pour loge la pièce voisine. Carottes, poireaux, choux rouges, raves, fleurs. Ici, les étagères ont disparu sous une avalanche de formes et de couleurs. Plus de 500 kilos de fruits et de légumes frais transitent par cette pièce chaque semaine.

« On ne veut pas que les clients commandent chez nous pour faire une bonne action mais parce que c’est bon », commente l’homme à la toque. Or, pour choyer les papilles, rien ne vaut le fait maison et les produits de saison. « L’approvisionnement est français à 95%. » En hiver, « cela demande un peu d’imagination », admet le chef qui n’a « pas tenu trois mois » dans une cuisine adepte des produits semi-finis. « J’aime travailler avec des couteaux, pas avec des ciseaux. » Avant de prendre les manettes de cette cuisine municipale reconvertie, le chef officiait à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Là, il préparait les plateaux-repas pour les classes affaire de luxueuses compagnies du Golfe. « Avec plus de 50 cuisiniers professionnels, je pouvais sortir 2 400 couverts par jour, ça y allait », raconte-t-il. « Abdel est capable de concilier qualité et volumes », salue François Dechy. En rejoignant l’aventure dès ses débuts, le chef a accepté un troisième défi : travailler avec des coéquipiers qui n’avaient jamais manié d’ustensiles de cuisine.

A l’épluchage, Rahmouna Touati a pris le coup de main. Avant d’arriver à Baluchon, cette quadragénaire au regard doux s’occupait de personnes âgées à domicile. Quelques heures par semaine. Tout juste de quoi vivoter. Le nez dans son écharpe, les mains dans la sucrine, elle raconte son retour à la sérénité. « Travailler trente-cinq heures par semaine, ça change la vie. Avant, j’étais tout le temps angoissée, maintenant je sais comment payer le loyer. »

Les employés gagnent en fierté

Certains ont même trouvé ici une vocation. Au dressage des barquettes, Founé Diebakhte côtoie Jamal (1), réfugié afghan. Tous deux approchent les 30 ans, n’avaient jamais cuisiné avant et sont déterminés à en faire leur métier. Chez Baluchon, la première, « qui ne connaissait pas grand-chose à la cuisine française », est devenue « la reine des quiches et des madeleines ». Jamal, lui, a pris des responsabilités. « Quand je ne suis pas là, je me repose sur lui », dit Abdel Bentara qui, devant l’épanouissement de son collègue, oublie sa nostalgie des rendements de Roissy.

Sauf que l’insertion, par définition, ne dure qu’un temps. Arrivée au terme de son contrat de deux ans, Founé Diebakhte a repris ses recherches d’emploi. Ce jour-là, elle revient en extra. « Comme elle a un vrai projet, Sara Demesse, aux ressources humaines, se démène pour lui trouver une formation », précise François Dechy. Au rez-de-chaussée, une poignée de très jeunes femmes, fraîchement diplômées de Sciences-po ou d’écoles de commerce, carburent pour assurer leur double mission : la réussite économique et l’insertion.

« Elles m’ont appelée pour me dire : “on ne va pas te laisser rester à la maison” », sourit Founé Diebakhte sous sa charlotte en mousseline. Sur les cinq agents polyvalents arrivés au bout de leur contrat, trois ont été réembauchés chez Baluchon. « La meilleure démonstration de la qualité de notre formation », rajoute le patron, qui souhaite voir convoler ses protégés vers d’autres cuisines. En attendant, les employés gagnent en fierté. Les murs de la salle de repos sont tapissés d’e-mails imprimés. Elogieux, ils saluent « la qualité », « la présentation soignée »

En dehors de l’entreprise aussi, le succès frappe les esprits. « On est là pour prouver aux élus et à nos clients que reconsidérer les personnes génère de la performance économique », détaille François Dechy. Robin des Bois aurait-il aussi extorqué à la Défense son vocabulaire ? « En tant qu’entreprise d’insertion, on accepte le système. Ce que l’on n’accepte pas, c’est qu’il laisse 10% des gens sur le bord du chemin. »

(1) Le prénom a été modifié.



Baluchon accueille des projets en incubation

En septembre 2015, Colette Rapp a rejoint Baluchon en incubation. Sa bonne idée ? Cibler, au rayon fruits des supermarchés, les invendus trop fatigués pour les associations afin de les changer en confitures – baptisées Re-belle – dignes d’épiceries fines. « J’ai accès à la cuisine, à l’équipe et aux conseils sur le développement », se réjouit la jeune entrepreneuse. En accompagnant Re-belle, François Dechy entend « servir d’aiguillon ». Sa nouvelle mission ? « Faire émerger, sur le territoire, un réseau d’entreprises sociales. »


- Le site de Baluchon

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