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Après-Copenhague : "sortir du jeu de la poule mouillée"

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Après-Copenhague : "sortir du jeu de la poule mouillée"
 
Alors que les négociations sur le climat ont repris officiellement (et difficilement) à Bonn ce week-end, Emma Broughton, chercheuse à l'Institut français des relations internationales (Ifri) tire les enseignements de l'après-Copenhague.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Jeune chercheuse à l’Ifri, Emma Broughton travaille depuis deux ans pour programme "Santé & Environnement" de l’institut. Ses travaux portent plus particulièrement sur la gouvernance mondiale de l’environnement et la politique environnementale chinoise.

Terra eco : Retour sur Copenhague. Avec le recul, que s’est-il passé de neuf là-bas selon vous ?

Emma Broughton : « Copenhague n’est pas un échec. Ça été présenté comme tel car beaucoup d’espoirs et d’ambitions ont été déçus, mais si on regarde les choses objectivement, qu’on ne soit pas parvenu à un méga accord global n’a rien d’étonnant. Copenhague confirme l’avènement de nouvelles règles du jeu dans les négociations internationales sur le climat. En gros, depuis 1992 et la conférence de Rio, tout était concentré autour de l’Onu et de sa proposition cadre. Tout partait de là, du haut ver le bas, ce qu’on appelle le "top down" dans notre jargon. Mais à partir des années 90 et de Kyoto, les États développés se sont rendus compte qu’il ne pouvaient plus rester au niveau des déclarations d’intention, que la question climatique devenait un enjeu interne et qu’il leur fallait passer à l’action. Dès lors, ils ont voulu contrôler le processus des négociations. Ça, c’est le "bottom up" : les propositions partent du bas, des États, pour remonter vers le haut, l’Onu. Illustration à Copenhague avec la déclaration d’Obama devant la communauté internationale, qui étaient vraiment dirigée à l’attention des citoyens américains. Pareil pour le Brésil. Idem pour la Chine. Résultat : on a peut-être un affaiblissement de l’ambition globale, mais on décroche un accord quand même, bien qu’il ne précise pas comment atteindre, pays par pays, l’objectif de limitation du réchauffement de la planète à +2°c. »

L’Europe a-t-elle les moyens de relancer des négociations ?

« On entend beaucoup que l’Europe a perdu son influence, son rôle. Je ne le crois pas. Elle garde une force symbolique, ce qui est très important dans les relations internationales, en particulier vis-à-vis des pays en développement. L’Europe s’est montrée pro-active avant Copenhague, et elle va le rester, avec le souci constant de préserver l’égalité entre les pays. On peut avoir l’impression que l’Europe est faible, qu’elle n’est pas entendue, mais en réalité, l’Europe est juste discrète car dans les faits elle ne pose pas de problème du point de vue des négociation sur le climat. Finalement, à Copenhague, on a eu un accord entre les pays qui posaient problème, à savoir le BASIC [1] et les États-Unis, soit les plus concernés et impliqués dans le réchauffement climatique. C’était logique. »

A l’issue de Copenhague, on a pu entendre des ONG déclarer, comme Greenpeace : « Obama pire que Bush ». Que pensez-vous de la position des États-Unis ?

« Obama et Bush : rien à voir. L’administration Bush, bien que reconnaissant la réalité du réchauffement climatique, a toujours fait preuve d’une prudence très forte vis-à-vis de la science. A l’inverse, l’administration Obama soutient ouvertement les scientifiques du climat ainsi que leur recherche : c’est John Holdren, physicien et environnementaliste, qui a été nommé au poste de conseiller scientifique de la maison blanche. Ensuite il est plus clairvoyant sur la question du climat. Il a lancé le Forum des économies majeures, dans lequel il a voulu apporter une nouvelle distinction entre les pays gros émetteurs de CO2 et les pays peu émetteurs, ce qui est une révolution par rapport à la distinction classique pays développés/pays en développement. Le problème des États-Unis, c’est qu’il ont un cadre politique fédéral très contraignant. Un accord ou traité international doit d’abord être vendu en interne avant d’être accepté par les Américains. Il faut déjà que le débat sur la loi Climat, qui progresse, soit réglé aux États-Unis pour qu’Obama avance ses pions dans les négociations internationales. L’acteur handicapant, à mes yeux, ce ne sont pas les USA, c’est la Chine. »

Que vous inspire la proposition de Nicolas Sarkozy d’abandonner « la fiction qui consiste à négocier à 199 » pour travailler avec un groupe plus restreint de 28 pays ?

« Est-ce qu’il faut négocier en petits groupes pour plus d’efficacité, quitte à être moins légitime, ou bien tous ensemble, avec un maximum de légitimité, même si on avance lentement ? Grande question, complexe et non tranchée. Je crois que c’est important d’avoir fonctionné en petit groupes, et de continuer à le faire. La décentralisation fait progresser les négociations. Pour autant, les négociations multilatérales ne vont pas et ne doivent pas disparaître. Elles restent « sticky » comme on dit (collantes) : le cadre demeure. De toute façon, il faut garder un moniteur de contrôle, une sorte de surveillant global qui va mesurer l’effet de telle ou telle action. Et même si la tribune onusienne ne servait, pour les pays pauvres, qu’à contester les tractations parallèles des pays plus riches (NDLR : ce a quoi on a assisté à Copenhague), cela a son utilité. Que les pays les plus touchés par les conséquences du réchauffement climatique, comme les petits états insulaires, puissent occuper une telle place dans les discussions à l’Onu, ça permet aussi de rendre visible d’autres réalités, au-delà de la seule réalité économique. »

On a senti comme un gros coup de mou dans la reprise des négociations à Bonn ces jours derniers. Que va-t-il se passer à votre avis ?

« Je pense qu’il va falloir au moins deux ans pour retrouver l’ambition et la motivation d’avant Copenhague. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de transformation où l’on cherche à sortir du blocage permanent des négociations. On ne pouvait plus se permettre de laisser des pays comme la Chine ou le Brésil sur la touche. Il fallait sortir du jeu de la "poule mouillée" qui consiste à lancer deux voitures à pleine vitesse l’une contre l’autre - les États-Unis d’une parte, les pays émergents d’autre part - et à attendre que l’un dévie au dernier moment pour éviter le crash avec l’autre. Aujourd’hui, au lieu de fonctionner sur la réciprocité – je m’engage parce que les USA s’engagent – on s’engage pour soi. C’est pas plus mal. »

Finalement, vous semblez plutôt optimiste sur la suite des négociations ?

« A l’issue de la conférence de Copenhague, les pays avaient jusqu’au 31 janvier pour préciser leurs intentions en matière de réduction d’émissions de CO2. Que tous les gros pays émetteurs l’ai fait, sans cadre contraignant, de manière volontaire, sur la base de leur situation domestique, je trouve cela positif. Et ils ne vont plus pouvoir se cacher derrière différentes méthodes de calcul. Les mécanismes dit de « MRV » (Measurement, Reporting and Evaluation) n’ont pas encore été mis en place mais leur mise en œuvre est l’un des enjeux des années à venir, et l’objectif est de pouvoir établir une comparaison plus transparente entre les pays. C’est très important. A ce jeu là, la Chine n’acceptera pas d’être pointée du doigt comme un pays fainéant ou paresseux. L’autre enjeu sera celui du partage du travail : qu’attend-on de chacun, qui doit faire le plus d’effort ? Quelle est le partage juste et équitable ? Et lorsqu’on raisonne à partir d’une distinction entre gros émetteurs et petits émetteurs de CO2, et non plus seulement entre pays riches ou pays pauvres, on avance. Même si, on le voit bien avec la Chine, la tentation est forte de renverser la donne en disant « oui mais attention, nos émissions sont le fait de votre consommation ». Pour sortir des ces débats, il faudra un déclic. Et ce déclic viendra de l’intérieur des pays eux-mêmes. »

A lire aussi sur terraeco.net
- CO2 : l’Occident pointé du doigt
- Climat : "La France envoie de mauvais signaux aux pays émergents"
- ONU cherche patron pour négociations climat

[1] les 4 pays du BASIC sont le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine

Sources de cet article

- Photo : John Leach
- L’étude d’Emma Broughton sur le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM)

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  • Petite goutte d’eau : MERCI pour ces propos positifs !

    Il est vraiment temps de vulgariser des propos, de personnes spécialisées,enfin positifs et optimistes.
    Cet article est précis et, surtout, très compréhensible. Il faut
    conforter, chaque lecteur, lambda, sensible aux phénomènes écologiques à persévérer lorsqu’il essaie d’agir, à son petit niveau.
    Effectivement, je pense que le changement global, viendra, en grande partie de nos changements individuels. Chaque individu peut en convaincre d’autres et ainsi, ces ensembles, pourront inciter nos gouvernants à modifier leur politique ! Il faudra encore du temps, et, c’est pour cela, qu’il faudrait plus d’articles comme celui-ci, pour nous empêcher de baisser les bras.
    Encore Merci !

    13.04 à 12h15 - Répondre - Alerter
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