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2/6. San Joaquin Valley, démesure agricole à l’américaine

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Barrages, réservoirs et canaux ont transformé ce désert en grenier à fruits et légumes du pays. Aujourd'hui, la sécheresse qui sévit depuis trois ans n'épargne pas la vallée mais elle n'empêche certaines gros exploitants de jouer les aventuriers des nouvelles technologies agricoles. Deuxième étape sur la route du paradis vert californien.
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La Highway 5, gigantesque artère qui relie les principales villes californiennes, traverse la vallée agricole de l’Etat. Trucks et 4X4 écrasent les Prius. L’empreinte carbone de notre Ford Fusion s’en trouve soudain ridicule. Le paysage, constitué pour l’essentiel de chaînes de fast-food et de stations-service est monotone. L’herbe est jaunie par la sécheresse. Une croix, gravée sur la montagne, indique que nous pénétrons dans Jesus Land, symbole d’une autre Californie. Conservatrice. Au loin, sur le col de l’Altamont, s’accroche une forêt d’éoliennes. Construite en 1983, c’est l’une des plus grosses fermes au monde avec quelque 5000 turbines. Elle est aussi très prisée des rapaces et des oiseaux migrateurs, ce qui lui vaut une image désastreuse. Elle tue chaque année des milliers de volatiles dont une centaine d’aigles royaux, espèce sacrée.

Eau rationnée

La température grimpe encore. Nous entrons dans le grenier à fruits du monde : la moitié des fruits et légumes du pays poussent ici. Ainsi que 80 % des amandes de la planète. L’aride vallée est devenue verte et fertile grâce au Central Valley Project, un gigantesque investissement qui remonte à l’époque du New Deal. Ses 20 barrages et réservoirs et 800 km de canaux font circuler l’eau du nord au sud. Une merveille d’ingénierie. La San Joaquin Valley héberge des exploitations agricoles à l’échelle industrielle et des élevages bovins qui génèrent des millions de tonnes de fumier.

Ici, transpirent des milliers de travailleurs saisonniers originaires du Mexique. La grosse majorité d’entre eux – de 50 % à 90 % – sont sans papiers. Cette région, immortalisée par John Steinbeck dans Les Raisins de la colère, est aussi la plus pauvre de l’Etat. Le taux de chômage flirte avec la barre des 40 % dans certaines communautés. « C’est également, à cause de son agriculture extensive, le lieu où la qualité de l’air est la plus mauvaise en Californie », explique Kathryn Philipps, spécialiste de la question à l’Environmnental Defense Fund.

La vallée a pris de plein fouet la sécheresse qui sévit dans l’Etat depuis trois ans. La zone est rationnée. Cette anomalie climatique contraint les agriculteurs à mettre leurs terres en jachère et licencier leurs employés : 95 000 emplois sont aujourd’hui dans la balance. On estime à 2 milliards d’euros le manque à gagner potentiel d’ici la fin de l’année. En Californie, 80 % de l’eau consommée est destinée à l’agriculture. Or cette année, les fermiers n’ont eu droit qu’à 10 % des réserves qui leur sont habituellement allouées. Ici, l’incidence du changement climatique risque de modifier bien des comportements dans les prochaines années.

La carotte et le bâton

Plus loin. Le vent tournoie et soulève la poussière avec une force incroyable. Bienvenue à Five Points, localité sans âme au sud-ouest de Fresno. Ici, John Diener est un personnage incontournable. C’est le propriétaire de Red Rock Ranch, une exploitation agricole de 2 428 hectares. Le fermier affiche l’optimisme légendaire des self-made men. La crise ? Il passera au-dessus. On l’imaginait en jean et chapeau de cow-boy, le gaillard fait irruption dans la pièce en chemise rayée et pantalon beige. La tenue des représentants de commerce ou des missionnaires, au choix. « J’ai failli être prêtre, mais j’ai finalement opté pour la ferme comme mon père », raconte l’homme affable et gesticulant, tandis que nous nous juchons sur les banquettes de son pick-up GMC Sierra pour faire le tour du domaine. Pas de roche rouge sur cette étendue vaste et plate. Normal. « Red Rock Ranch, ça sonnait mieux que Diener Ranch », éclate-t-il de rire. Et d’ajouter un brin vantard : « Si je n’étais ni persistant ni créatif, je ne ferais pas ce métier. »

« John Diener est un early adopter, c’est-à-dire qu’il teste toutes les nouvelles technologies », abonde Kathryn Philipps, de l’Environmental Defense Fund. Il n’hésite pas à prendre des risques pour rendre son exploitation plus productive et moins polluante. Cette année, par exemple, il a renoncé à planter melons, oignons, ail et coton. Sur ses terres, il cultive aujourd’hui de la luzerne, des tomates, des amandes, du maïs, du blé et des raisins. Pour faire face à la salinisation des sols, il teste actuellement un système utilisant les eaux de drainage de sols salés afin d’arroser des cultures qui tolèrent un niveau de sel élevé.

John n’est jamais à court d’idées. Bonnes ou mauvaises d’ailleurs. Depuis 2006, il irrigue ses champs grâce à des pivots gigantesques. Automatisés, ils sont contrôlables à distance. C’est José Lopez, fidèle employé au visage buriné, qui s’y colle au quotidien. Un brin paternaliste, John Diener assure n’avoir sous sa responsabilité aucun travailleur illégal. Son exploitation compte 30 salariés à plein temps, dont la plupart travaillent au ranch depuis plusieurs années. Pour lui, le développement durable se conjugue selon les principes de la carotte et du bâton : « Au bout de cinq ans, j’accorde une prime de 3 500 euros à mes salariés, afin qu’ils puissent disposer d’un apport pour leur emprunt immobilier. »

« Nous avons dilapidé »

John Diener est aussi l’un des premiers fermiers industriels de la région à s’être laissé séduire par l’agriculture biologique. Les tomates bio s’achètent 100 euros la tonne contre 60 euros pour leurs congénères conventionnelles. En deux ans, il a réussi à supprimer les engrais et les pesticides de synthèse de 20 % de ses terres. « Nous avons gagné beaucoup d’argent. Mais nous avons commis l’erreur de vouloir devenir trop gros, trop vite et avons fini par dilapider une petite fortune », confesse-t-il. Aujourd’hui, il ne consacre plus que 56 hectares de ses terres à la bio. Histoire de rester dans le vent.

Avec 202 342 hectares de terres cultivées, la Californie reste le premier producteur bio du pays. John Diener a trouvé une autre marotte : les énergies renouvelables. L’homme a déboursé 30 000 euros pour se payer la gigantesque éolienne qui trône au milieu de ses terres. La moitié lui sera remboursée en subventions. Alors que le soleil se couche sur la vallée, l’intarissable fermier nous emmène dans sa villa cossue pour nous servir un verre de vin blanc. Et partager sa dernière lubie : transformer la betterave en carburant.

Photos Gilles Mingasson

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Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement.

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