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8-09-2014
Mots clés
Tourisme
France
Dossier

Josef Schovanec : « L’absence d’avions n’empêchera pas les voyageurs de voyager »

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Josef Schovanec : « L'absence d'avions n'empêchera pas les voyageurs de voyager »
(Crédit photo: Bruno Klein - Plon éditions)
 
Josef Schovanec, philosophe autiste (1), estime que le vagabondage ne se conçoit pas qu’à longue distance. Il commence en chacun de nous.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Quel est, pour vous, l’objectif de tout voyage ?

L’objectif numéro 1 dans mon cas, ça a d’abord été d’acquérir des compétences sociales. Ensuite, je ne cherche pas à avoir des sensations agréables. Pour moi, un voyage ce ne sont pas des vacances pour se « ressourcer » à travers des moments de plaisir, où l’on consolide des situations acquises. Le voyage véritable est destiné à nous changer, nous. Ce qui demande un petit effort et ne va pas de soi. Malgré ce qu’on croit souvent, les gens étaient beaucoup plus voyageurs avant, quand il n’y avait ni passeport ni avion.

Comment l’expliquez-vous ?

Du XVIIe au XIXe siècle, les jeunes de bonne famille partaient faire un grand tour d’Europe pendant un an ou deux. Or à l’époque, se déplacer de 20 km était déjà une aventure. A 100 km de chez soi, on était perdu ! C’est encore le cas dans certains coins d’Asie ou certaines vallées du Caucase. Parfois, on y change de langue, de culture, de tout, en quelques centaines de mètres. En Europe et en France, ces différences n’existent presque plus, tout a été homogénéisé à coup de phrases du genre : « Il est interdit de cracher par terre et de parler breton ». Désormais, pour être dépaysé, on est obligé d’aller à des milliers de kilomètres de chez soi. Et même comme ça, le résultat n’est pas garanti.

Pourquoi ?

Parce que l’aéroport de Pékin ressemble à celui de Paris. Parce que les voyageurs succombent au tourisme de masse. Regardez les destinations proposées par les agences de voyage : elles sont très peu par rapport au nombre de pays dans le monde. Les désirs humains étant hautement normés, si on montre tout le temps les mêmes endroits, les hommes ne pensent plus à l’ailleurs, à ces zones délaissées par les tours operators qui représentent pourtant la majorité du monde. Au final, on voyage dans des endroits bien moins variés qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire humaine.

Ce sont ces zones délaissées ou déconseillées aux voyageurs qui vous attirent le plus. Pourquoi ?

Parce que j’aime me laisser surprendre. Voyager, c’est accueillir l’imprévu. Bien sûr, à Téhéran ou à Beyrouth, tout peut arriver, mais ici aussi. Le voyage commence par une lutte avec soi-même, avec ses petits clichés. Et par cette question : jusqu’où vais-je oser aller ? Cela fait par exemple des années que le Yemen me tente, et je n’ai toujours pas pris ma décision.

Et si, demain, les avions ne décollaient plus ?

L’avion n’est qu’un outil. Il peut être aliénant, comme pour ces hommes avec qui j’ai pris un vol très low cost Inde-Dubaï. Esclaves des temps modernes, ils savaient que leur unique mission serait de bosser jusqu’à la mort. Imaginez l’effort intérieur, l’abandon de soi que ce type de voyage suppose ! Dans d’autres régions du monde, au contraire, la présence permanente d’un flux de gens qui vont et viennent, grâce aux avions, a pour conséquence une homogénéisation culturelle et linguistique. Si vous arrêtez ces flux, au bout d’une génération, vous verrez la diversité resurgir. Et l’absence d’avions n’empêchera pas les voyageurs de voyager. Ce ne sera pas le cas des touristes de masse qui, s’ils ne pouvaient plus voyager, n’envisageraient même plus de le faire.

Où commence le voyage ? Sur la carte quand on choisit la destination, à l’aéroport ?

A l’intérieur. Comme le disait Victor Segalen (ethnologue et grand voyageur, ndlr), « le voyage au bout du monde n’est au bout du compte qu’un voyage au fond de soi ». Mais cela demande effort et motivation, et pour la plupart des gens, moi y compris, ça peut être redoutable. Ceci étant, tout peut donner matière au voyage. Le moindre mot peut vous emmener vers le lointain. Un livre peut être un voyage en soi, une clé qui ouvre vers un monde intérieur, un dépaysement. Chacun a ses supports à voyage – pour moi, c’est l’odeur des livres –, le tout est de trouver sa clé.

Vous êtes très critique envers les voyages et visites virtuels. Pourquoi ?

Le problème du voyage virtuel, sur Internet, c’est qu’il peut restreindre le voyage à quelques grands clichés. Vous pourrez visiter le Louvre ou une place à New York mais vous ne pourrez pas visiter le Balouchestan. La plupart des régions du monde ne sont pas présentes sur le Web. Et puis c’est sans aucun risque ni renoncement aux situations acquises. Ce n’est en rien un ailleurs, ça tue le voyage.

Avez-vous une idée de votre bilan carbone ?

Il est extraordinairement mauvais. Mais celui de Yann-Arthus Bertrand doit être bien pire ! J’avoue, dans ma pratique, ne pas être très écologiste, même si la volonté de préserver des espèces animales et celle qui me tient à cœur de préserver les langues et les peuples sont, dans leur démarche, assez proches.

Quel est votre prochain voyage ?

Le plus immédiat, c’est la Suisse, où j’ai mes souvenirs d’enfance. C’est un petit voyage pas seulement en raison de la distance mais parce que je vais y retrouver à peu près le même cadre culturel qu’en France. Cela dit, dans certaines hautes vallées pas du tout branchées, il existe encore un système de polyglottisme, qui me renvoie à des situations de grands voyages vécus, comme dans le Nord Caucase. Le prochain grand voyage sera en Sibérie profonde, du côté de Iakoutsk. Dans l’inconnu. —

(1) Auteur notamment d’Eloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez, (Plon, 2014)

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