« Un consommateur responsable a intérêt à acheter en soldes »

Un parking plein, une foule massée devant les enseignes dès potron-minet et, quand enfin les grilles s’ouvriront, un déferlement de consommateurs à la recherche de jolies promos. Ce mercredi, et comme chaque année, pour l’ouverture des soldes d’hiver, les habituelles scènes de liesse devraient se reproduire. Pourtant, dans le sillage de l’accident du Rana Plaza au Bangladesh ou de la crise économique, les soldes sont comme toutes nos pratiques de consommation en train de prendre un nouveau visage. Philippe Moati, professeur d’économie à l’université Paris Diderot et cofondateur de l’Obsoco (Observatoire société et consommation) décrypte ces transformations et ce qu’elles impliquent pour le consommateur responsable.

Qu’est-ce qui est vendu pendant les soldes ? Y a-t-il vraiment des invendus au rabais ou plutôt des produits dédiés spécialement aux périodes de soldes ?

La raison d’être historique des soldes, c’est d’écouler ce qui n’est pas vendu. Cela vient du marché de l’habillement qui est soumis au rythme des saisons et à la mode. On sait qu’un produit qui n’a pas été vendu à la fin d’une saison aura très peu de chance de l’être à nouveau. Les soldes permettaient donc d’écouler ces stocks et de récupérer de la trésorerie pour acheter la collection suivante. Aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. D’abord, les enseignes ont beaucoup d’autres moyens d’écouler leurs stocks. Ensuite, elles ont, en plus, des méthodes de gestion bien différentes et plus précises, avec non plus deux collections mais cinq ou dix. A Zara, il n’y a même plus de collection. Quand un stock est écoulé il n’est pas refabriqué ! Donc, théoriquement, il ne devrait pas y avoir assez d’excédents pour tenir pendant quatre à cinq semaines de soldes.

Ce qui veut dire que les enseignes produisent volontairement plus de produits pour pouvoir les écouler pendant les soldes ?

Exactement. Certaines enseignes vont même plus loin en ne mettant en rayon que quelques exemplaires d’un produit pendant les 30 jours qui précèdent les soldes, afin de respecter la loi. Et elles sortent leurs gros volumes de vêtements bradés de l’arrière-boutique au lancement des soldes.

Le consommateur continue pourtant à se presser pour profiter de ces « aubaines ». Est-il floué ?

Non, personne n’est dupe. D’abord parce qu’acheter pendant les soldes reste une bonne affaire pour le consommateur. Certes, ça n’a plus la même ampleur qu’avant puisque les périodes de promotions se sont multipliées en dehors des soldes. Mais le début des soldes est toujours un vrai coup sifflet disant à tous qu’il est temps de faire ses achats. De nombreux consommateurs l’attendent et reportent leurs achats jusqu’à cette date.

Les soldes sont aussi l’occasion d’achats compulsifs. Peut-on considérer qu’ils suscitent des achats qui n’auraient pas eu lieu dans une période classique ?

Oui, c’est certain. Je n’ai pas connaissance de travaux récents sur le sujet mais c’est une évidence, tout simplement parce que les ménages français sont largement suréquipés en vêtements. Il y a des gens qui vont se rendre dans les magasins alors qu’ils n’ont besoin de rien, il y a ceux qui avaient attendu les soldes pour acheter un produit particulier mais qui, dans l’ambiance, vont en acheter d’autres par la même occasion. C’est une fête de la consommation.

Certains consommateurs ont décidé cette année de boycotter les soldes, justement pour gâcher cette fête de la consommation. Est-ce nouveau ?

C’est nouveau et à mon avis cette expérience a peu de chance de prendre. Beaucoup de consommateurs cherchent l’achat malin, et ils ont conscience que le prix non bradé n’est pas un prix juste. Je m’explique. On sait aujourd’hui qu’un tiers du chiffre d’affaires de l’habillement est réalisé pendant les soldes. Cela représente grosso modo une pièce vendue sur deux. C’est énorme. Les enseignes en tiennent compte quand elles fixent leurs prix et on peut dire que le prix non bradé est en fait un prix dopé qui est pensé pour pouvoir être baissé ensuite. Acheter pendant les soldes c’est un moyen de ne pas gaspiller son pouvoir d’achat.

Vous parlez du prix « juste ». On peut aussi estimer que les soldes contribuent à tirer les prix vers le bas, au détriment notamment des « petites mains » du textile. En achetant pendant les soldes, ne risque-t-on pas d’encourager la course au moins-disant social ?

Je ne suis pas d’accord, il ne faut pas confondre soldes et bas de gamme ou low cost. Ce que vous dites est vrai pour la seconde catégorie de produits mais pas pour les soldes. C’est une période où l’on va profiter des rabais pour acheter des produits plutôt haut de gamme, c’est donc une opportunité pour le consommateur d’acheter des produits de meilleure qualité et donc plus durables. Je dirais même qu’un consommateur qui se veut responsable a intérêt à faire ses achats pendant les soldes. A condition bien sûr d’être raisonnable et de ne pas céder à la tentation de l’hyperconsommation.

Votez ici pour notre sondage : Faut-il boycotter les soldes ? Pour l’instant, sur 111 réponses, 51,4% des sondés estiment qu’il ne faut pas les boycotter, 22,5% estiment qu’il le faut, tandis que les 26,1% restants affirment ne jamais faire les soldes.