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4-02-2016
Mots clés
Alimentation
France

« Dans les rayons, c’est le règne de la désinformation »

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« Dans les rayons, c'est le règne de la désinformation »
(Foodwatch- Thibaut Soulcié )
 
Des hydrocarbures dans le couscous, de l'eau et des additifs dans la dinde 100% filet, des arômes non bios dans les yaourts bios : depuis deux ans, Foodwatch France traque les entourloupes de l'industrie agroalimentaire. Récit d'un succès.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Sur le point d’engloutir vos pâtes bolo, avez-vous la moindre idée, dans le détail, des substances que vous vous apprêtez à ingurgiter ? Des nutriments évidemment, des additifs le plus souvent et... des hydrocarbures probablement. A l’automne, l’ONG Foodwatch a lancé une campagne contre la présence d’huiles minérales dans les aliments secs conditionnés à l’aide d’emballages en carton. Entre les pâtes, le riz, le couscous, les corn flakes, difficile d’y échapper...

Pour surmonter cette impuissance, l’association de défense des consommateurs s’est donné pour mission de faire émerger une prise de conscience, d’interpeller les marques et in fine de faire évoluer la réglementation. Présente en France depuis deux ans, l’ONG a déjà fait plier l’enseigne E. Leclerc et la marque de yaourts Vrai. Le succès de ses actions, notamment de pétitions récoltant plus de 100 000 signatures, est révélateur d’un désir des citoyens de reprendre la main sur leur alimentation. Karine Jacquemart, directrice de Foodwatch France nous explique ce mouvement de fond.

Terra eco : Des produits alimentaires contaminés par des hydrocarbures, est-ce un nouveau scandale agroalimentaire ?

Karine Jacquemart  : Nouveau, pas tout à fait. Nous étions au courant de l’existence d’une contamination. Nous connaissions ses sources, notamment les emballages dont les encres et solvants migrent du contenant vers l’aliment. En 2011 déjà, UFC Que choisir avait consacré un dossier au sujet. Mais depuis, rien n’a été fait. Nous voulions donc remettre le sujet sur la table. Un test réalisé par Foodwatch sur 42 produits achetés en France a révélé la présence d’hydrocarbures, les huiles minérales aromatiques, dans 60% d’entre eux. Ces huiles minérales, qu’on appelle les Moah, sont suspectées d’être cancérigènes, de provoquer des mutations génétiques et des perturbations hormonales. Pourtant, à ce jour, les consommateurs n’ont aucun moyen de déceler leur présence.

Est -ce révélateur de notre ignorance vis-à-vis de ce que nous mangeons ?

En matière d’alimentation, le manque de transparence est criant. Lorsque la répression des fraudes effectue un contrôle, s’il y a condamnation, le grand public n’aura jamais la moindre information sur la nature de la fraude ou le nom de la marque poursuivie. Sans aller jusque là, il suffit d’examiner les emballages pour constater l’opacité : les indications souvent inscrites en tout petit ne reflètent pas le contenu. Le consommateur n’a par exemple aucun moyen de savoir si les animaux ont été nourris aux OGM. Il ne connaît pas non plus l’origine de la viande dès lors qu’elle entre dans la composition d’aliments transformés. Souvent les étiquettes induisent en erreur. La dinde Leclerc étiquetée 100% filet contenait en fait 16% d’eau, de gélifiants, de colorants et autres additifs. Dans les rayons, c’est le règne de la désinformation : on peut parfaitement inscrire sur l’emballage une histoire qui ne correspond pas à la composition du produit. Ces pratiques abusives ne sont pas sanctionnées.

Elles sont donc légales ?

Oui, au regard de la loi française, elles sont légales. Elles ne sont pas légitimes pour autant. Pour mettre un terme à ces pratiques, seules des dispositions légales garantissant la transparence de l’information pourront être efficaces.

En quoi est-ce un enjeu de santé publique ?

Une récente étude de la Fondation suisse « Food Packaging forum », relayée par le Réseau Environnement santé (RES), montre que les additifs alimentaires et les matériaux à usage alimentaire peuvent contenir 175 substances chimiques préoccupantes dont 119 perturbateurs endocriniens. L’OMS parle d’une épidémie de maladies chroniques : diabète, obésité, cancers... Je ne peux pas croire que les deux phénomènes ne sont pas liés. Si les gens étaient au courant, s’ils connaissaient les risques que l’alimentation agro-industrielle fait peser sur leur santé, leurs choix seraient sans doutes différents. Mais sans informations dignes de ce nom, les consommateurs ne vont pas dire « ça doit changer ». Les marques leur renvoient la responsabilité, leur reprochent de ne pas savoir lire les étiquettes. C’est un peu comme si, pour lutter contre les faux billets on s’en prenait aux utilisateurs bernés plutôt qu’aux faux-monnayeurs.

Comment expliquer une telle situation ?

L’industrie agroalimentaire bénéficie d’une grande impunité. Ce secteur est marqué par la toute-puissance des lobbies dont l’action incite les autorités à l’inertie. Au niveau européen, ceux-ci bloquent la simple définition des perturbateurs endocriniens. Concernant les huiles minérales, on sait que des solutions existent : il est tout à fait possible pour les fabricants de mettre des barrières dans les emballages pour empêcher ces substances de migrer. Mais en France, rien n’a bougé depuis 2011. En Allemagne au contraire, les autorités s’apprêtent à légiférer, les acteurs industriels ont anticipé et la contamination recule. Si l’Etat français envoyait le même signal, le secteur se mettrait en ordre de bataille. Mais le système agroalimentaire impose ses règles sans que les citoyens aient vraiment leur mot à dire. Il est urgent que les pouvoirs publics s’emparent de ces sujets.

Si l’on pense aux AMAP, à l’essor des circuits-courts, au succès du bio, on voit pourtant que des alternatives émergent...

Oui avec la crise de la vache folle et les scandales alimentaires qui se sont succédé depuis, les consommateurs ont découvert dans l’agro-industrie un concentré de dérives et d’excès. Ces scandales ont agi comme des révélateurs et ont encouragé les gens à agir, à s’interroger sur la manière dont ils se nourrissaient. Mais au-delà de l’action individuelle, nous sommes convaincus qu’il faut infléchir le rapport de force de manière collective. Au moment de la crise de la vache folle, Thilo Bode, ancien directeur international de Greenpeace, s’est rendu compte qu’il n’y avait pas d’organisation indépendante de la société civile pour défendre les droits des consommateurs dans le domaine de l’alimentation. C’est ainsi que Foodwatch est né en Allemagne en 2002, avant de s’implanter en France il y a deux ans.

Quelle est la stratégie de votre association pour changer les règles du jeu ?

Foodwatch joue un double rôle pour la transparence et le droit à une alimentation saine. Dans un premier temps, celui de lanceur d’alerte. Cela passe par un travail de veille, le lancement de recherches indépendantes, afin de révéler des scandales. En ciblant précisément les marques, on entend exposer les responsabilités. L’objectif est de créer un espace de débat. Une fois informés, les gens ont envie de se mobiliser pour faire changer les choses. On mène alors des campagnes d’influence, avec eux, et on leur propose des outils, par exemple des pétitions. Ces campagnes sont accompagnées d’un travail d’influence au niveau politique, pour obtenir des évolutions de la réglementation, en France et au niveau européen, car c’est à cette échelle que sont prises 90% des décisions qui touchent à l’alimentation.

Votre page Internet « bilan de l’année 2015 » dresse l’inventaire de vos victoires. Vous gagnez à tous les coups ?

Certaines victoires sont très nettes, d’autres campagnes prennent plus de temps. L’une de nos campagnes vise la soupe « Boeuf carottes vermicelles » de Maggie qui affiche un morceau de bœuf sur l’emballage mais ne contient en fait que 1,1 % de jus de cuisson de boeuf et pas de viande du tout. Notre pétition a recueilli près de 15 000 signatures. Pourtant, la seule chose que nous ayons obtenue de Nestlé c’est une réduction de la taille du morceau de bœuf en photo sur l’emballage. C’est se moquer de nous. Par contre, pour les yaourts aux fruits de la marque Vrai nous avons remporté la bataille : ils ont été retirés du marché.

Dans les deux cas la tromperie ne présentait pas de danger pour la santé. Fallait-il vraiment s’en prendre à ces produits ?

L’idée n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent manger. Nous n’avons pas vocation non plus à lancer une pétition sur chaque produit. Il y en aurait trop. Mais comme il faut bien commencer quelque part on cherche des exemples variés et emblématiques. Le bio n’a pas de raison d’y échapper, car même dans ces rayons, des améliorations sont possibles. Dans le cas précis des yaourts Vrai, des fruits apparaissaient sur l’emballage alors que le yaourt ne contenait que de l’arôme... non bio. Cette « ruse légale » en elle-même ne pose pas de problème de santé. Mais notre combat est également celui de la transparence. Il est crucial que les produits qui se présentent comme des alternatives, bios ou équitables, le soient vraiment. Sinon la démarche risque d’être dévoyée.

Des marques comme Carrefour ou Casino ont commencé à prendre des mesures et donnent des garanties sur les hydrocarbures. Est-ce le signe que le pouvoir est en train de revenir dans les mains des citoyens ?

Un mouvement émerge pour contester ce système agro-industriel omnipotent. Nos révélations provoquent de l’intérêt, de la colère, qui sont des moteurs de mobilisation. La pétition contre un produit de Leclerc a recueilli près de 100 000 signatures et contraint le fabricant à changer son étiquetage. Ces premières victoires sont encourageantes. Les marques craignent pour leur image et les consommateurs réalisent qu’ils peuvent avoir un vrai impact. Foodwatch entend être le moteur de l’émergence d’un contre-pouvoir indépendant de dizaines de milliers de personnes désireuses de se réapproprier leur alimentation. Mais cette action citoyenne ne doit pas dispenser les autorités publiques d’agir, de prendre des mesures d’encadrement. Au-delà de l’enthousiasme, il faut rester vigilants. Les projets de traités internationaux comme le Tafta pourraient saper cet élan. Négociés en toute opacité, ces accords de libre-échange risquent d’affaiblir les normes sanitaires, sociales et environnementales ou du moins empêcher les pouvoir publics de les améliorer.
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  • Moi, j’ai toujours été méfiant vis-à-vis de ses produits en rayon. J’ai toujours privilégié les produits naturels que je cultive moi-même dans mon jardin potager ou si besoin, je me rends dans les épiceries bio et non les rayons bio des grandes surfaces. Je me renseigne sur des sites diverses comme http://gala-ensea.fr pour me tenir informer de tout et aussi pour savoir où me rendre pour trouver tel ou tel produits alimentaire. Je ne me rends dans les grandes surfaces que pour les produits dont j’ai besoin et qui ne se trouve pas dans les commerçants du coin. Heureusement, maintenant Carrefour ou Casino ont pris les choses en mains, ce qui me rassure partiellement mais n’enlève en rien le fait que plusieurs produits sont encore toxiques pour notre santé. Mais bon, c’est déjà ça, c’est mieux que de vivre dans l’ignorance complète. J’espère que dans les années qui viennent, il n’y aura plus de tromperie dans les rays et qu’on pourra y faire des achats en toute sérénité et en toute tranquillité.

    22.10 à 10h47 - Répondre - Alerter
  • Christophe Brusset, ingénieur de formation, acheteur durant 20 ans pour des grands groupes de l’agro-alimentaire français et étrangers, dénonce dans un livre réquisitoire les dérives de cette industrie "Vous êtes fous de manger ça !"
    http://www.franceinter.fr/player/re...
    L’émission Secrets d’info l’interview, du vendredi 18 septembre 2015
    disponible jusqu’au 13/06/2018 18h37

    5.02 à 11h35 - Répondre - Alerter
  • En cuisine, je prépare à manger en suivant une recette. De grand-mère, de chef étoilé, etc... L’agro-industrie cuisine pour moi grâce à des formules. Élaborations complexes de quelques druides modernes jouant aux apprentis chimistes. Dans ce monde à l’obscure transparence, on parle de recettes lorsqu’il s’agit de bénéfices !

    4.02 à 18h57 - Répondre - Alerter
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