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Et si le climat était la dernière chance pour la taxe Tobin ?

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Et si le climat était la dernière chance pour la taxe Tobin ?
(Crédit photo : ScriS - Flickr)
 
L'organisation par la France de la COP 21 va-t-elle tirer du néant la taxe européenne sur les transactions financières ? Quand François Hollande le jure, les ONG se frottent les mains… et les banquiers font grise mine.
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Eurêka ! Ils sont là ! Les milliards de dollars dormaient sous notre nez. Il suffisait d’ouvrir les yeux pour mettre la main sur le pactole. C’est ce que n’a pas dit (mais qu’il a sans doute pensé très fort) notre président de la République en ce tout début d’année. Dans une interview sur France Inter, François Hollande annonçait en effet qu’on allait trouver de quoi financer le fonds vert, destiné à l’adaptation au changement climatique des pays en développement. Et comment ? On vous le donne en mille : en remettant sur le tapis la taxe sur les transactions financières européenne (TTFE). Ce matin-là, une fois n’est pas coutume, les ONG ont repris un croissant et les banquiers se sont étranglés avec leur café. Car depuis une bonne quinzaine d’années, cette taxe et ses euros sonnants et trébuchants font l’Arlésienne. On l’annonce, mais elle ne vient jamais. « C’est un combat, c’est une lutte. Je les ai engagés », répétait pourtant le Président dans le micro. Engagés certes, gagnés, pas vraiment, jusqu’à présent.

Oh, elle figurait pourtant en bonne place dans le programme de campagne du candidat Hollande, cette taxe, dite Tobin, du nom de James Tobin, l’économiste américain qui en inventa le concept. Mieux, en janvier 2013, sous la houlette bleu-blanc-rouge, une procédure européenne de coopération renforcée, qui permet à un groupe de nations d’aller de l’avant sans attendre les autres, est lancée : onze pays se mettent à plancher. « Une petite révolution, se rappelle Alexandre Naulot, spécialiste des questions financières à l’ONG Oxfam. Pour la première fois, ce type de procédure était utilisée au niveau fiscal. » Les estimations prévoyaient et prévoient toujours que la taxe rapporte quelque 35 milliards d’euros par an. Pas vraiment une bagatelle. Tout le monde était censé se mettre d’accord rapidement. Cette corne d’abondance destinée à la fois à décourager la spéculation et à générer des recettes dans les caisses d’un Vieux Continent fauché semblait sur des rails. « Et puis, à partir de là, on a vu les acteurs financiers sortir les armes pour détruire le projet », explique Alexandre Naulot.

Pour les patrons, une taxe « destructrice de richesse et d’emplois »

Quelle vilaine bête a commencé à inquiéter le monde pourtant assez sauvage des établissements bancaires ? La Commission européenne propose à l’époque d’instaurer une taxe de 0,1% sur les actions et les obligations, et de 0,01% sur les produits dérivés. C’est ce que l’on nomme, dans le jargon, un taux faible et une assiette large. On taxe peu, mais sur la grande majorité des produits financiers qui font l’objet de transactions dans les places boursières. Si même les banquiers sont d’accord pour taxer les actions, la concorde n’est plus du tout de mise quand on s’attaque aux produits dérivés. Ceux-ci ne sont pas des titres de propriété, mais des contrats. Créés à l’origine par les agriculteurs pour se prémunir contre des risques financiers, comme la fluctuation du cours du blé, par exemple, ils sont devenus des instruments spéculatifs de haute voltige. « Depuis les années 1990, on assiste à l’explosion des transactions sur les produits dérivés qui représentent dix fois le PIB mondial ! », souligne Alexandre Naulot. Et les banques françaises en sont friandes. BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole font partie du peloton de tête européen en la matière. Leurs investissements représentent, dans l’ordre, 24, 10 et 8 fois le PIB français, selon une étude publiée il y a un an.

Il n’en fallait pas plus pour que les patrons du secteur – Fédération bancaire française (FBF), Association française des marchés financiers, Medef et Paris-Europlace en tête – prennent leur plus belle plume et n’écrivent, dès mars 2013, au ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, Pierre Moscovici, pour l’alerter sur « les conséquences dramatiques » d’une telle taxe, qualifiée de « destructrice de richesse et d’emplois ». Dernier avertissement en date, en janvier dernier, après l’éclat présidentiel de la rentrée, la Fédération bancaire française faisait de nouveau sa Cassandre en prévenant de « conséquences lourdes pour la finance européenne, mais surtout sur l’activité économique ».

Vers une fuite des produits dérivés ?

Que redoutent vraiment nos chers banquiers ? Auditionné par la Commission des finances de l’Assemblée nationale en mai dernier, le grand manitou, Gilles Briatta, secrétaire général adjoint à la Société générale, représentant de la Fédération bancaire française, l’a abondamment expliqué : la délocalisation des transactions, pardi ! Après les usines, après les fruits et les légumes, ce sont les dérivés qui risquent de se faire la belle. Direction des places boursières échappant à la taxe, comme la City de Londres – le Royaume-Uni ne faisant pas partie des pays engagés dans le processus. Pour couronner le tout, une étude commandée par le magazine Challenges tablait sur une chute de 75% à 90% des transactions sur les dérivés.

« En réalité, il est impossible de répondre à la question de l’impact : les banquiers non plus ne savent pas ! , explique Gunther Capelle-Blancard, économiste et professeur à l’université Paris-I. Il y a un risque pour la profitabilité des banques elles-mêmes, certes. En revanche, affirmer que cela aura un effet catastrophique sur l’économie réelle et l’emploi, c’est tout simplement ridicule. » Par définition, en effet, une taxe de 0,01% coûte cher quand le nombre de transactions est élevé. « Qui va payer ? Ceux qui réalisent le plus de transactions spéculatives, ceux qui jouent à très court terme », ajoute Pascal Canfin, conseiller climat du World Resources Institute. Celui qui fut ministre du Développement de 2012 à 2014 a bataillé pour la mise en œuvre de la TTFE, à l’origine destinée à abonder le Fond mondial contre le sida et la solidarité internationale. Sans l’obtenir pendant son mandat. Pour lui, les arguments techniques du secteur financier ne sont que poudre aux yeux puisque les mécanismes proposés par la Commission européenne sont aptes à prévenir les délocalisations. « Bien sûr, de nombreuses questions se posent, elle sont légitimes, tempère-t-il. Mais c’est parce qu’on a sans cesse remis en cause la pertinence politique de cette taxe que ces questions opérationnelles sont restées de côté : il faut réfléchir à un système de traçabilité, de contrôle, comme pour n’importe quel impôt ! »

A Bercy, on retourne sa veste

Une troupe de banquiers, certes couteau entre les dents, suffirait-elle à faire peur à un gouvernement socialiste ? Il faut croire que oui. Le discours autour de la TTFE a en effet connu des fluctuations toutes boursières. Au cœur de l’été 2013, le ministre Pierre Moscovici se fendait ainsi d’un commentaire devant un parterre de financiers réuni aux rencontres internationales de Paris-Europlace, une association de lobbyistes. Soudainement, alors qu’il était censé la porter sur les fonts baptismaux européens, la taxe, telle que proposée par la Commission, lui paraît « excessive ». En novembre dernier, le nouveau ministre des Finances, Michel Sapin, s’emballe lui aussi et crache sa valda : « Penser que nous pouvons engranger des dizaines de milliards d’euros sans que les transactions financières ne migrent vers des cieux où la taxe n’existerait pas, c’est aujourd’hui un fantasme dangereux ou un rêve futile ! », lance-t-il, dans une tribune des Echos. Il propose une taxe « à la française », c’est-à-dire qui ne taxe quasiment pas les produits dérivés (voir encadré).

Entre-temps, à Bruxelles, on a bien espéré, discuté, acté qu’on allait s’y mettre. Mais rien n’y fait, Bercy y met tout de même de la mauvaise volonté. L’extrême porosité entre le secteur bancaire français et la haute administration n’a pas dû aider ce dernier à se donner du mal dans les instances européennes. Révélé par Mediapart, le transfert de gros poissons du public vers les banques privées en est un symptôme. Comme le passage, sans tambour ni trompette, de Benoît de la Chapelle Bizot, responsable français des « affaires financières et monétaires » auprès des institutions européennes au poste de directeur délégué de la Fédération bancaire française. Forcément, quand on a un tel plan de carrière, mieux vaut ne pas trop chatouiller son futur employeur.

Quand le Président s’en mêle

A la mi-décembre, ce sont finalement les autres ministres européens des Finances engagés qui se sont fâchés tout rouge et ont presque claqué la porte des négociations au nez de cette France si timorée. Il faut dire qu’en Allemagne, par exemple, alors que la Deutsche Bank est leader européenne sur le marché des dérivés, les sociaux-démocrates ont mis la taxe sur les transactions financières dans leur corbeille de mariée du gouvernement de coalition. Forts de cette assurance politique, ils ne se privent pas aujourd’hui d’interpeller les voisins français sur leur mollesse. Dans la foulée, 140 députés socialistes hexagonaux, piqués au vif, se sont eux aussi fendus d’un courrier-pétition un tantinet énervé au Premier ministre.

Et c’est ainsi que, quelques jours plus tard, le Président a rattrapé publiquement son ministre des Finances par la culotte, en soutenant la taxe européenne. « Derrière les questions techniques, il y a toujours des résistances politiques ou des jeux de pression de groupes financiers », ajoutait, malin, celui qui ne pipait mot jusque-là. Pour les partisans de la taxe, malgré la versatilité, l’intervention est du meilleur augure. « Les choses peuvent vraiment changer si la décision reste au niveau du chef de l’Etat, si ça redescend à Bercy, le lobbying bancaire risque fort de gagner la bataille », commente Pascal Canfin.

Pourquoi notre Président reprendrait-il aujourd’hui la main sur la TTFE ? C’est qu’il a une COP 21 sur les bras ! Or, accueillir des centaines de délégations diplomatiques pour une négociation internationale de premier plan quand on a fait une offre de Gascon, cela fait mauvais genre. « Un succès à Paris est impossible si l’on n’est pas capable de montrer comment nous allons honorer notre part des 100 milliards de dollars pour le climat, souligne Pascal Canfin. On a besoin d’argent public supplémentaire et la seule manière d’en trouver dans ce contexte budgétaire, c’est de chercher un financement innovant. » Alléluia, la taxe est là. ONG et autres fervents partisans piétinent désormais d’impatience avant le Conseil européen de la mi-février, qui réunira les chefs d’Etat, et constituera à leurs yeux une étape politique décisive. Car au-delà du calendrier de la conférence sur le climat, c’est aussi une affaire d’image. « Cela fait quinze ans que le sujet est sur la table, estime Pascal Canfin. Il est devenu un symbole de la capacité du politique à reprendre la main sur la finance. »



Où est l’argent de la taxe ?

La France, comme d’autres pays en Europe et dans le monde, possède déjà sa taxe nationale sur les transactions financières. Depuis 2012, les achats et les ventes sur les actions d’entreprises cotées dont la capitalisation boursière est supérieure à 1 milliard d’euros sont taxées à hauteur de 0,2%. Tout comme les contrats d’échange sur défaut d’un Etat, des produits financiers dits « toxiques », qui restent marginaux et représentent 3% du marché mondial des dérivés. En conséquence, elle rapporte des nèfles. Censée remplir les caisses avec un rendement de 1,4 milliard d’euros par an, elle n’a rapporté que 700 millions d’euros l’année dernière. Et pour cause. Sont exonérées les transactions dites « intraday », c’est-à-dire les centaines, voire les milliers d’ordres d’achat et de vente passés par un trader dans une journée. Si, à la fin de la journée, le trader n’est plus détenteur de l’action en question, toutes ces opérations ont échappé à la taxe. En octobre 2013, un amendement voté par la Commission des finances de l’Assemblée nationale destiné à élargir la taxe à ces transactions a été vivement combattu par le gouvernement et retiré du projet de loi de finances 2014. Bercy avait argué que ces transactions « intraday » représentant 40% des transactions sur les titres des entreprises françaises sur la place de Paris, la bourse allait tout simplement mourir d’une taxe élargie…

A lire aussi sur Terraeco.net :
- « Taxe Tobin : et si la France montrait (vraiment) l’exemple ? »

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