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Vise le green

Par Benjamin Cliquet
26-06-2011

Quand navigation fluviale et protection de l’environnement ne font pas bon ménage

Quand navigation fluviale et protection de l'environnement ne font pas bon ménage
(Pêcheur à Tulcea, ville à l'entrée du delta du Danube)
Je retrouve Petruta qui m'explique cette fois-ci comment et pourquoi la navigation sur le Danube est un enjeu environnemental voire diplomatique important.

Les pays du bassin du Danube ont fait deux grandes erreurs :
- la construction de barrages sur le fleuve, dans les années 1970, pour pouvoir utiliser les zones humides pour l’agriculture. Le courant s’est accru et de plus en plus de sédiments sont transportés et "étouffent le delta". Ce dernier doit alors être davantage dragué, ce qui affecte la biodiversité. Le courant accru empire également les montées des eaux (le débit passe de maximum 4000 m³/s en temps "normal" à 18 000 quand le fleuve déborde, "à la vitesse d’une locomotive" témoigne Petruta). Ce courant rapporte également les déchets des affluents dans le delta ;
- la création de conditions favorables à la navigation dans le fleuve et dans le delta. La branche Sulina (la plus large des trois branches du Danube dans le delta) est le principal chemin utilisé par les bateaux venant de la Mer Noire. La Roumanie l’a raccourcie en créant des canaux (c’était un "M", c’est devenu une ligne droite). La branche a également été creusée car les bateaux avaient besoin de plus d’eau. Ainsi, alors qu’il fallait avant ces travaux un mois à l’eau pour traverser le delta, cela ne prend plus que 13 jours et les sédiments n’ont plus le temps d’être déposés.

Depuis 2007, huit nouvelles routes touristiques ont été créées dans le delta (il y en a désormais 15). Le tourisme non durable (jet des déchets dans la nature principalement) est une menace pour le delta. En outre, les aides financières sont très faibles pour les projets de restauration du delta.

Mais sur le Danube lui-même, ce n’est pas la navigation touristique (assez peu développée) qui menace l’écosystème mais plutôt la navigation commerciale. Petruta considère d’ailleurs que la plus grande réussite de l’ICPDR (International Commission for the Protection of the Danube River, l’institution qui oeuvre le plus pour la protection du Danube) a été de convaincre la Commission de la Navigation sur le Danube, un organisme indépendant, de collaborer avec l’ICPDR pour la protection du fleuve. En 2007, ils sont parvenus à ce que les 13 Parlements des pays du bassin (les pays où le Danube passe directement, non ses affluents) signent un traité qui régit que la gestion de la navigation doit se faire en collaboration avec la protection du Danube.

Mais si les compagnies privées font des progrès pour moderniser les navires, les Etats détiennent toujours les navires les plus anciens et les plus polluants pour les eaux du Danube. C’est notamment pour cela que ECCG (l’ONG dans laquelle j’ai travaillé, voir l’article précédent) proteste contre les pratiques classiques de navigation sur le Danube. Mais ce n’est pas l’unique raison : la navigation moderne signifie également des modules plus hauts qui sont un problème pour les ponts plus anciens qui ne sont pas toujours très hauts. Comme ces ponts ne peuvent pas s’ouvrir, les autorités continuent de draguer le fleuve.

Plusieurs projets concrets ont particulièrement mobilisé ECCG. Pour vous expliquer le cas très problématique du canal ukrainien de Bystroe, revenons un peu en arrière... En 1948, en signant le Traité de Belgrade, les pays du bassin se sont mis d’accord pour que tous les grands navires passent par le canal de Sulina (le principal canal, détenu par la Roumanie), pour rejoindre la Mer Noire et pour pénétrer dans le Danube. Cela signifiait également que tous ces navires devaient (et doivent) payer la Roumanie pour passer. L’Ukraine en a eu marre d’être taxé par son voisin...

En 2001, l’Ukraine décida de créer un nouveau canal de navigation (le canal Bystroe, 8,5km de long) pour éviter celui de Sulina, alors même qu’il était déjà de notoriété publique que, 10km de chaque côté du canal de Sulina, les colonies d’oiseaux ont disparu (à cause des méfaits de la navigation). L’opposition à ce projet est internationale, d’abord de la part des ONG ukrainiennes. L’ICPDR se devait d’agir et lança donc ce traité international en 2007 pour concilier navigation et protection de l’environnement. Malgré les alertes des ONG (basées sur les rapports scientifiques), l’Ukraine a poursuivi ce projet.

Un autre projet, d’une tout autre ampleur, a alerté les défenseurs de la biodiversité dans les fleuves européens : le Trans-European Transport Network (TEN-T). Initié par la Commission Européenne, le TEN-T est la planification d’un réseau de transport européen, par les voies routière, ferroviaire, aérienne et fluviale. C’est ce dernier point qui m’intéresse ici. Le projet fluvial du TEN-T est de faire la connexion entre la Mer Baltique et la Mer Noire en creusant des canaux entre les grands fleuves européens que sont le Rhin, l’Oder, l’Elbe et le Danube et établir ainsi une nouvelle route commerciale (voir la carte). 21 projets de dragage des "goulots" (parties des fleuves trop étroites pour les navires) à travers l’Europe ont émergé, 8 ont déjà été financés dont un en Roumanie. Ces travaux de dragage, vous l’aurez compris, détruisent la biodiversité locale.

Photo prise à Vienne (sur le Danube) cette semaine d’un bateau venant de Strasbourg. J’en déduis qu’il existe déjà des passages entre le Danube et le Rhin.

Troisième et dernier cas, tout proche de Galati cette fois-ci, le projet de dragage entre Brăila et Călăraşi a lui aussi mobilisé l’ECCG. En venant de la Mer Noire et en remontant le Danube, les navires ne peuvent pas aller plus loin que Brăila. Après cette ville (à 15km de Galati), la profondeur du Danube est de moins de 2,5m. Il y a donc un projet de dragage du Danube jusqu’à Călăraşi pour apporter plus d’eau dans le fleuve. Mais en réalité, la navigation n’est pas l’unique raison à ce projet : la seule centrale nucléaire du pays se trouve à Cernavodă sur les rives du Danube (entre Brăila et Călăraşi) et a besoin de plus d’eau pour être refroidie. Les ONG espèrent que l’épisode Fukushima refroidira les ardeurs des porteurs de ce projet, mais c’est assez peu probable selon Petruta. Ces travaux de dragage mettraient particulièrement en péril un acteur important de la biodiversité locale : l’esturgeon. Cette partie du Danube est en effet la seule partie du fleuve où il peut déposer ses oeufs. La pêche de l’esturgeon est interdite mais on laisse son habitat être détruit...

Malgré toutes ces critiques de la navigation fluviale, il faut tout de même reconnaitre qu’elle est plus compétitive que le trafic routier en terme d’émissions de CO². Cependant :
- la navigation dégage d’autres polluants tels que l’oxyde de soufre ;
- la gestion des déchets à bord des navires est bien trop pauvre, ce qui créé un autre problème pour l’environnement.

Finalement, il faut également remarquer que dans les 30 dernières années la navigation n’a pas été très intense sur le Danube. La guerre serbe en 1999 n’a pas aidé : les navires ne pouvaient alors aller plus loin que Belgrade, ville où un pont fut même détruit. À Galati, même maintenant, il n’y a à peu près que des barges qui alimentent l’usine d’Arcelor Mittal et un bateau touristique qui se rend chaque mois à Vienne.

Pour conclure ces deux articles sur le Danube, notons enfin que le Danube a la chance rare d’être très international. Une "chance" car, ainsi, des décisions peuvent être prises pour tout le bassin sans que chaque pays ne soit forcément très volontaire. Les intérêts globaux sont plus forts que les intérêts nationaux. Dans ce contexte, l’ICPDR a prouvé qu’il était un acteur très influent. Cet organisme peut faire beaucoup de choses que ne pourrait pas réaliser un pays du bassin. Par exemple, tous les 6 ans, l’ICPDR organise la prise d’échantillons tout le long du Danube pour analyser les polluants. Chaque pays doit aider et peut fournir des experts scientifiques, du matériel, des fonds... Même l’Ukraine, qui n’est pourtant pas dans l’Union Européenne, collabore.

En espérant que ces deux articles vous ont appris et intéressé, je vous donne rendez-vous prochainement pour une ultime étape à Copenhague, où je suis actuellement pour une semaine (oui, je suis conscience de l’immense chance que j’ai de voyager !).

A bientôt, Visez l’green, Ben

En bonus, quelques photos de mon excursion dans le delta...

Dragage du fleuve.

Une colonie de pélicans.

Un village, au coeur du delta.

COMMENTAIRES ( 5 )
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  • Bonjour,

    Écrire en 2011 un article, très critique, sur les projets sans savoir que le canal reliant le Main au Danube existe déjà depuis ...près de 20 ans :-) cela vous fait perdre tout crédit.
    Vous parlez des déchets rejetés par les mariniers :
    "la gestion des déchets à bord des navires est bien trop pauvre"
    Je pense que même à ce niveau quelque membre d’équipage (5/6) généreront moins de déchets que 80 chauffeurs routiers ...
    Sans parler de la pollution comparé entre un moteur de 3/400 cv et 80 moteurs de 3/500cv ...
    J’ai un ami qui habite à Sulina et votre affirmation par laquelle les colonie d’oiseaux ont disparues 10 km de part et d’autre de Sulina l’a fait bien rire...
    Salutations

    5.02 à 14h54 - Répondre - Alerter
  • Je viens justement de lire un article sur l’état déplorable de l’eau du Danube à cause de la pollution et maintenant de lire qu’en plus de cela, l’intense activité fluviale a un impact sur la biodiversité. Je trouve cela vraiment navrant.

    Je comprends que le Danube soit un moyen de navigation fort utilisé. Comme le dit Benjamin dans son commentaire, des solutions et des compromis peuvent être trouvés aux divers aspects de ce problème complexe.

    Christian Pellerin

    4.09 à 13h50 - Répondre - Alerter
  • Commentaire sur une des photo, ce n’est pas parce qu’il est inscrit Strasbourg sur un bateau que celui-ci vient de Strasbourg.. Il s’agit de son lieu d’immatriculation.. Il n’y est peut être jamais allé.
    Il existe effectivement depuis plus de quinze ans un canal à grand gabarit qui relie le Rhin au Danube et permet de relier Istanbul a Rotterdam sans passer par la mer.. Le trafic y est très important, ce qui décharge de milliers de camions les autoroutes allemandes, autrichienne, etc..
    En France, il y avait un projet presque abouti pour relier le Rhône au Rhin et au Danube mais pour des raisons obscures, le parti écolo la fait capoter.. en 1996.. Apparemment, ils préféraient les camions..

    28.06 à 13h01 - Répondre - Alerter
    • Ah, merci pour la précision sur la photo. J’étais pas sûr de moi.
      Mais les canaux existent donc déjà, merci pour l’info.
      Le trafic y est très important ? On m’a fait comprendre que ce n’était pas le cas sur le Danube.

      Et, comme j’essaie de le dire ici, il y a un dilemme entre retirer des camions des routes européennes, qui émettent du CO², et développer la navigation qui, sur certains tronçons en tout cas, détruit la biodiversité locale. Mais je suis sûr qu’il y a souvent des compromis acceptables qui peuvent être trouvés.

      28.06 à 13h13 - Répondre - Alerter
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