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12-06-2012
Mots clés
Finance
Société
Espagne
Interview

Prêt de l’UE : « L’Espagne vient de céder une partie de sa souveraineté »

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Prêt de l'UE : « L'Espagne vient de céder une partie de sa souveraineté »
(Crédit photo : lamimesis - flickr)
 
La zone euro vient de consentir un prêt de 100 milliards d'euros à l'Espagne. Les marchés sont rassurés, mais les Espagnols restent méfiants, estiment l'économiste Jesus Castillo et le sociologue Jaime Pastor.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Jesus Castillo est économiste chez Natixis et spécialiste de l’Europe du Sud. Jaime Pastor est sociologue et professeur de sciences politiques à l’université de Madrid, spécialiste des mouvements collectifs espagnols. Les intervenants n’ont pas été interrogés en même temps.

Terra eco : L’Irlande, le Portugal et la Grèce ont reçu une aide financière. Le prêt concédé à l’Espagne est-il comparable à celui de ses voisins européens ?

Jesus Castillo  : Non. La différence, c’est que ces pays n’étaient plus en mesure d’assurer leur refinancement. L’Espagne, elle, peut émettre des emprunts sur les marchés. Son problème, ce sont ses banques. Et l’enveloppe européenne vise à sauver uniquement ce secteur. Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) prête l’argent à l’Etat avec un faible taux d’intérêt, 3%, qui est transféré au Fonds public espagnol d’aide au secteur bancaire (Frob) créé en 2009 pour restructurer les banques.

Jaime Pastor : La différence tient d’abord dans le poids économique de l’Espagne. C’est la quatrième économie de la zone euro. Sa survie est cruciale pour l’Europe. D’où cette somme colossale de 100 milliards d’euros. Mais Bruxelles ne décide pas (contrairement à la Grèce par exemple où le Fonds monétaire international a imposé des règles, ndlr). L’Etat reste garant et redistribue cette somme aux banques comme il le souhaite.


Comment concrètement Madrid distribuera-t-elle l’argent aux banques ?

Jesus Castillo : L’Etat et la Banque d’Espagne supervisent et décident quelles banques ils recapitalisent, soit en achetant des actions - car si personne n’achète les actions de la banque, elle ne se recapitalise pas – soit en leur accordant des prêts à taux préférentiels. [1]


Le ministre de l’Economie Luis de Guindos l’a répété : « Ce n’est pas un plan de sauvetage. » Mais l’Europe peut-elle tout de même exiger, en contrepartie, des mesures d’austérité ?

Jaime Pastor : Bien sûr. Ce n’est pas une aide altruiste. L’Etat espagnol est responsable de ce qu’il prête aux banques. Et ce prêt sera forcément accompagné des conditions de la « troïka » (FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne, ndlr). Nous ne savons pas exactement ce qui sera exigé, mais on peut très clairement imaginer de nouvelles coupes dans le service public, une pression pour augmenter la TVA. Le pays s’est engagé à réduire son déficit public à 3% en 2014 (il est aujourd’hui de 8,9%). Un tel objectif inclura une réduction des droits sociaux dans la santé, l’éducation et les retraites. L’Espagne vient de céder une partie de sa souveraineté.

Jesus Castillo  : Depuis deux ans, l’Espagne a engagé des réformes. D’abord sur le marché du travail, sous Zapatero puis sous Rajoy (la réforme facilite les licenciements et les baisses de salaires, promeut la flexibilité des travailleurs, diminue le rôle des syndicats, ndlr) ; ensuite, via l’allongement de l’âge des départs à la retraite fixé à 67 ans. Il n’y a donc pas de raison d’exiger plus. Mais cela n’empêchera pas à l’Europe de donner des « recommandations ». Au lieu d’augmenter la TVA en 2013 comme le prévoit Madrid, Bruxelles pourrait fortement l’inciter à le faire dès 2012. Ce sont des « conseils à suivre », mais l’Espagne reste théoriquement maîtresse de son agenda de réformes. Le pays n’est pas sous assistance européenne à proprement parler, mais c’est un jeu subtil. L’Espagne adoptera ces mesures en disant « c’est moi qui l’ai décidé ».


Comment réagit le peuple espagnol ?

Jaime Pastor : La majorité des gens sont très méfiants ici. Ils ne comprennent pas pourquoi on distribue l’argent aux banques, et qu’en retour les banques cessent leurs activités sociales. A côté de chez moi, la bibliothèque que finançait Caja Madrid (la caisse d’épargne espagnole, ndlr) vient de fermer, mettant à la porte les 80 000 usagers.

Par ailleurs, à court terme, le sauvetage des banques, par l’intermédiaire de l’Etat, aura le gros inconvénient de creuser encore l’endettement du pays. Si l’Espagne prend le maximum de l’enveloppe proposée, les 100 milliards d’euros donc, cela signifierait un bond de 10% de sa dette publique (la dette publique atteindrait 79,8% du PIB à la fin de l’année, ndlr). Et les Espagnols ne savent pas comment les banques vont gérer cet argent. Un récent sondage a montré que plus de la moitié des Espagnols exigeaient une enquête publique sur Bankia, ce que refuse le gouvernement. Il y a un manque de transparence. Les mouvements du 15M et 15N (mouvement des Indignés espagnols, ndlr) pourraient s’intensifier. Une manifestation est déjà prévue samedi 16 juin à Madrid. Et on devrait voir de plus en plus de mobilisations populaires.


L’économie espagnole est rongée par un taux de chômage record de 24,44%, le double de celui de la zone euro. Quelle voie devrait-elle emprunter pour se relever ?

Jesus Castillo : Il faut laisser le temps aux banques de reprendre leur activité et ensuite de rembourser leur prêt. Mais on sait que 2012 et 2013 seront encore des années très difficiles pour l’économie espagnole. Les effets du prêt européen ne se feront pas sentir avant cinq ou six ans. Mais le système espagnol doit se remodeler en profondeur. Il doit passer d’un modèle de croissance principalement tourné vers son marché domestique avec notamment le bâtiment et les secteurs liés (biens de consommation durable, services financiers et immobiliers, consommation…) pour se tourner vers l’exportation. Ce sont là des changements à long terme qui ne pourront s’effectuer que sur dix ou quinze ans.

Jaime Pastor : Injecter des fonds dans les banques ne suffit pas. Il faut dans un premier temps les assainir et ensuite qu’elles accordent des crédits aux ménages. Car il faut stimuler l’investissement mais vers une économie productive et écologiquement durable. Et non plus en se focalisant sur le secteur quasi-unique du bâtiment, comme l’Espagne l’a fait jusqu’en 2008.


Quel intérêt l’Europe-a-t-elle à verser une telle somme ?

Jesus Castillo : Le Président du gouvernement, Mariano Rajoy, déclarait déjà avoir fait pression sur l’Europe pour obtenir ce prêt, or c’est l’inverse. On sera bientôt le 17 juin, date fatidique puisque les élections législatives grecques pourraient signifier la sortie de l’euro. Pour éviter la contagion, Bruxelles anticipe une quelconque tension supplémentaire avant d’avoir le couteau sous la gorge. En sauvant les banques espagnoles, l’Europe se sauve d’abord elle même.


Lire le communiqué de l’Eurogroupe sur l’Espagne

Rappel en chiffres :

L’Espagne représente 12% du PIB de la zone euro, contre seulement 6% pour l’Irlande, le Portugal et la Grèce réunis. Les plans de sauvetage de ces trois pays ont coûté respectivement 85 milliards, 78 milliards et 292 milliards d’euros.

[1] Pourquoi les banques espagnoles sont si mal en point ? Elles ont longtemps accordé des crédits aux ménages pour se loger, ainsi qu’aux constructeurs, aux promoteurs. Mais avec l’éclatement de la bulle immobilière, ces gens ne pouvaient plus rembourser. Ils se sont retrouvés à la tête de biens immobiliers fortement dépréciés, car quasiment invendables. Les banques ont saisi ces biens comme garantie, mais ces logements n’égalaient pas la valeur du prêt. Et les banques, qui s’étaient également endettées pour distribuer du crédit, se sont trouvées à leur tour en difficulté, comme Bankia, qui a été nationalisée le mois dernier et a reçu une aide publique de 23 milliards d’euros

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Née au bout de la Loire, un pied dans l’Atlantique, l’autre embourbé dans la terre, elle s’intéresse aux piafs et aux hortensias, observe ses voisins paysans et leurs élevages bovins. Elle enrage devant les marées noires. Licenciée en lettres, elle sort diplômée de l’Institut pratique du journalisme de Paris en avril 2012. Elle scrute les passerelles qui lient les hommes à leurs terres. Parce que raconter la planète, c’est écrire au-delà des pommes bio et du recyclage de papier.

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