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28-08-2014
Mots clés
Océans
Climat
France
Reportage

Grignoté par la mer, Soulac a dépassé la côte d’alerte

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Grignoté par la mer, Soulac a dépassé la côte d'alerte
(Laurent Tellet - Sud Ouest - PhotoPQR)
 
Dévoré par l’érosion, le littoral de cette ville girondine s’efface sous les immeubles. Leurs habitants, désemparés, sont les premiers réfugiés climatiques français métropolitains.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Le visage sombre, il entre avec précaution dans le hall de l’immeuble. Il emprunte les escaliers et s’arrête sur le palier du premier étage. « Je ne peux plus entrer, c’est pénible », s’excuse Jean-José Guichet, propriétaire de l’appartement avec vue sur l’océan qui sommeille derrière une porte close. « Je venais tous les étés depuis 1978. Mes filles, mes petits-enfants ont tous fait des pâtés de sable devant chez nous. Ce qui m’attriste, c’est que mon arrière-petite-fille ne viendra jamais à Soulac. » Depuis le mois de février, le jeune arrière-grand-père a débarrassé toutes ses affaires, embarqué ses meubles, fermé les volets, donné le chauffe-eau à une ONG. Avec 77 autres copropriétaires, Jean-José Guichet a renoncé à sa retraite océanique d’où il observait le ballet des cargos et des bateaux de pêche poursuivis par des nuées de mouettes. Il est l’un des premiers réfugiés climatiques métropolitains français.


Au bord de l’abîme

Construit sur le front de mer de Soulac-sur-Mer (Gironde) à la fin des années 1960, l’immeuble Le Signal est sur le point de s’effondrer. Le bâtiment n’est pas abîmé, il est simplement bâti sur ce qui est devenu le bord d’un abîme : une falaise dunaire grignotée par l’océan. En décembre, il y avait quinze à vingt mètres de dune supplémentaire, mais le littoral atlantique – et plus particulièrement la côte aquitaine – a connu cet hiver l’un de ses épisodes météorologiques les plus violents. A cause de la houle, des tempêtes successives et de marées exceptionnelles, le trait de côte a reculé de dix à vingt mètres par endroits. « L’hiver 2013 a été spécial, confirme Cyril Mallet, géologue au Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM). Tous les facteurs d’aggravation de l’érosion étaient réunis. » A la fin du mois de janvier, le préfet a signé l’évacuation définitive des 78 appartements. Les conditions hivernales ont accéléré l’évacuation de l’immeuble, mais « on pouvait s’y attendre depuis des années », tempère le spécialiste. « L’érosion de cette partie du littoral est un processus lent, mais documenté depuis des années. » « Personnellement, depuis Xynthia (la tempête de 2010, ndlr), je savais que c’était perdu, raconte Jean-José Guichet. Puis la tempête Joachim, en 2011, a fini de tout mettre en l’air ! » Le constat posé, que faire et vers qui se tourner ? C’est dans le désarroi le plus total que se retrouvent désormais les propriétaires. « Nous sommes dans un cul-de-sac, constate leur avocate, l’ex-eurodéputée Corinne Lepage. Le maire a adopté la stratégie du pourrissement : il ne veut pas racheter le bâtiment, ni le démolir, ni engager les moindres travaux – notamment pour refaire les digues –, ce qui est pourtant de son ressort. » Contacté par Terra eco, Xavier Pintat, sénateur-maire (UMP) de Soulac-sur-Mer, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Lors de la construction de l’immeuble, en 1967, le maire de l’époque – père de l’édile actuel – a dû faire face à une forte opposition. « Il voulait faire un La Baule bis, prétend Corinne Lepage. La mer était peut-être plus éloignée à la fin des années 1960, mais on savait qu’elle avait été beaucoup plus proche au début du XXe siècle. » A la fin des années 1960, dans un contexte de Trente Glorieuses et de vacances pour tous, quel maire du littoral aurait refusé le développement économique de sa commune ?


L’Etat s’en lave les mains

Dans ce dossier, qui, alors, est responsable ? La commune, en accordant un permis de construire dans les années 1960 alors que la mer se situait à plus de 250 mètres ? Le maire actuel, qui refuse de financer des travaux ? Les propriétaires, qui ont cédé aux sirènes d’un logement les pieds dans l’eau ? Difficile de trancher, mais, pour l’avocate des copropriétaires, l’indemnisation ne fait aucun doute. Pour les biens exposés à de graves risques, le Fonds de prévention pour les risques naturels majeurs ou « fonds Barnier » est en première ligne. Alimenté par un prélèvement de 12 % sur la prime « catastrophes naturelles » des contrats d’assurance, ce fonds plafonne à 190 millions de recettes annuelles. Il indemnise les propriétaires à hauteur de 100 % de la valeur du bien. Mais, dans le cas du Signal, d’après les services de l’Etat, il n’y a pas de risque majeur ! « C’est un risque majeur d’affaissement de terrain », objecte Corinne Lepage. Que la cause de l’affaissement soit l’érosion du littoral importe peu, le fonds Barnier indemnise ce type de risques sans en rechercher les causes. C’est dans cette faille juridique que s’engouffrera l’avocate. Or, l’Etat ne veut pas mettre un centime dans cette histoire qui représente la partie émergée de l’iceberg des indemnisations en France. L’immeuble est aujourd’hui estimé à 10 millions d’euros. « Les services de l’Etat sont conscients de l’injustice de la situation, mais ne veulent pas pour autant créer de jurisprudence », conclut Corinne Lepage. Car Soulac-sur-Mer n’est pas un cas isolé. A quelques kilomètres au sud, dans la station balnéaire de Lacanau, des tractopelles rechargent les dunes de sable. Une quarantaine de boutiques et de restaurants font face à la mer, séparés de la plage par une rue à deux voies. Le géologue du BRGM, Cyril Mallet, vient régulièrement suivre l’avancement des travaux. « Ce que l’on fait ici n’aura qu’une efficacité limitée à vingt ou trente ans, soupire-t-il. Nous savons que le trait de côte va se déplacer à l’intérieur des terres dans les prochaines décennies. A terme, il faudrait réaménager le front de mer et relocaliser habitations et commerces en retrait, dans les terres. Les hommes veulent figer l’environnement, mais le milieu naturel des grandes dunes est, par essence, très mobile. »


Maisons sur rails

La relocalisation est d’ailleurs l’une des pistes retenues par le ministère de l’Ecologie pour faire face au problème. A Lacanau, tout le front de mer – 1 km et 1 300 familles – sera relocalisé d’ici à 2050. A la Teste-de-Buch, près de la dune du Pilat, cinq campings devront être déplacés vers l’intérieur des terres. A Labenne (Landes), les équipements seront déplacés à quelques dizaines de mètres. Reste à financer ces plans d’adaptation. Cyril Mallet, lui, en appelle au bon sens. « Je connais un village portugais où les maisons sont posées sur des rails. Tous les étés, des bœufs tirent les maisons vers les plages et les ramènent vers l’intérieur des terres l’hiver venu. Aujourd’hui, chacun veut profiter du littoral toute l’année, quelles que soient les conditions et quels que soient les moyens. » Au mépris de cette nature, qui, sans cesse, viendra se rappeler au souvenir des hommes. —


Le littoral, une histoire mouvante

Il y a dix mille ans, l’immeuble Le Signal aurait été dans les terres, et pas qu’un peu ! « Le niveau marin était beaucoup plus bas, de 120 mètres environ, et se trouvait 150 km plus à l’ouest », indique le géologue Cyril Mallet. La côte recule du fait de phénomènes naturels : en dix mille ans, l’atmosphère de la Terre s’est réchauffée, l’océan s’est dilaté et les apports de sable se sont amoindris. Mais il y a dix mille ans, les 80 000 barrages de la planète n’existaient pas et les fleuves draguaient un paquet d’alluvions, ce qui formait nos plages. Au cours du prochain siècle, le trait de côte va encore se déplacer vers l’intérieur des terres. Le littoral bouge, et on a tendance à l’oublier. —

Article sur le blog d’une ex-habitante du Signal

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Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

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  • Il faut bien commencé à payer la facture du toujours plus... La transition est en marche... Cette histoire d’immeuble en est un des signes... Le littoral atlantique, c’est un des astres qu’il faut bien ramener sur terre, en laissant la mer prendre toute sa place...

    Il faut lâcher prise...

    épivantable

    29.08 à 11h52 - Répondre - Alerter
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