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A qui appartient l’eau ?

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A qui appartient l'eau ?
(Raphaël Demaret - Rea)
 
Gestion de l'eau par le privé ou le public ? Le point de vue de deux experts.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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« JE NE VOIS PAS L’INTÉRÊT DE CONFIER LA GESTION DE L’EAU AU PRIVÉ »

Paris a récupéré les clés de la régie de son eau le 1er janvier, après vingt-cinq ans de gestion privée. Anne Le Strat, présidente d’Eau de Paris, défend ce choix.

Pourquoi une gestion publique de l’eau serait-elle nécessairement meilleure qu’une gestion privée ?

La gestion publique n’est pas vertueuse en soi, elle est même catastrophique dans certains endroits du monde. Mais quand elle est mise en œuvre dans de bonnes conditions, elle répond mieux aux enjeux démocratiques : l’eau est un bien public.

C’est donc juste une question de principe ?

Pas seulement ! Dans le public, il n’y a pas de dividendes à verser aux actionnaires, ou de nécessité de maximiser les profits. Regardez en ce moment le procès de Jean-Marie Messier (ancien pédégé de Vivendi, aujourd’hui Veolia, ndlr) : il est clair que c’est une partie des profits tirés de la gestion de l’eau qui a permis de financer les dérives de M. Messier dans le business de la communication.

Cela prouve juste que la gestion privée n’est pas non plus « vertueuse en soi ».

Je suis désolée, ce n’est pas la même chose. Avec un service public de l’eau, tous les revenus financiers sont réinvestis dans le service : l’eau paye l’eau, et rien que l’eau. La comptabilité publique est totalement transparente. Tandis que les rapports transmis par les groupes privés ont toujours des parts d’ombre. En 2006, après avoir bataillé pour obtenir le droit de scruter la comptabilité générale de la Lyonnaise des eaux, la communauté urbaine de Bordeaux a pu récupérer 233 millions d’euros de trop-perçu. C’est maintenant devenu un cas d’école (depuis, des rabais similaires ont été obtenus notamment à Lyon, Saint-Etienne et Toulouse, ndlr).

Le Syndicat des eaux de l’Ile-de-France vient pourtant de renouveler sa confiance à Veolia pour le plus gros contrat sur l’eau en Europe.

Parlons-en ! L’audit rendu fin mai par la Chambre régionale des comptes est cinglant. Les rapporteurs parlent d’une comptabilité « tronquée », de « subterfuges comptables », et de pas moins de 187 millions d’euros de prestations attribuées à Veolia entre 2005 et 2007 sans le moindre appel d’offres ! Et j’en passe !

Les groupes privés ont tout de même une expertise technique indispensable, non ?

Je ne parle pas d’évacuer les groupes privés, mais de les cantonner à ce qu’ils savent faire : construire des usines ou faire de l’innovation technologique. Mais je ne vois vraiment pas l’intérêt de confier la gestion au privé. L’eau, c’est ce que les économistes appellent un « marché captif », une « économie de rente », c’est-à-dire qu’il ne peut pas y avoir de réelle concurrence. Même si on décide de remettre en concurrence les opérateurs tous les cinq ans, les captages, les usines et les tuyaux restent les mêmes. Alors autant que la gestion de cette « rente » reste publique.

Bertrand Delanoë avait promis une baisse du prix de l’eau grâce au retour en régie publique. Cela ne semble plus d’actualité aujourd’hui.

Non, nous nous étions toujours engagés sur la stabilité du prix de l’eau. C’est ce que nous avons fait alors que pendant la période de gestion privée, de 1985 à 2008, le prix de la production et de la distribution de l’eau avait augmenté de 260 %. Je n’évacue pas la possibilité d’une baisse du prix de l’eau, mais je pense que le faire aujourd’hui reviendrait à faire de l’affichage politique. Je préfère réfléchir plus globalement à la réutilisation des gains économiques obtenus grâce à la réforme. En menant, par exemple, une stratégie d’acquisition de terrains autour des points de captage pour y faire de l’agriculture biologique. —

Anne Le Strat est adjointe au maire de Paris, chargée de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des canaux, et présidente d’Eau de Paris.


« AUJOURD’HUI, L’EAU N’EST PAS ASSEZ CHÈRE »

Sortons du débat public/privé, c’est l’appel lancé par Bernard Barraqué, spécialiste des politiques de l’eau.

Que pensez-vous du débat entre gestion publique et gestion privée de l’eau ?

Revenir systématiquement à ce débat public/privé, ça masque des questions politiques bien plus cruciales, c’est de la myopie !

Pour quelle raison ?

Il faut reconnaître que les affaires ont sapé la confiance envers les groupes privés et les élus. Mais tous les contrats privés ne sont pas entachés de corruption. Et puis, je constate que, malgré les scandales, les retours en régie publique restent assez rares. Cela veut sans doute dire que la gestion privée n’est pas toujours si mauvaise.

Alors quel est le vrai enjeu ?

La gestion durable de l’eau bien sûr, que ce soit sur le plan économique ou écologique et que ce soit une gestion publique ou privée. Si on veut aboutir à cette gestion durable, il faudra mettre les moyens. Selon moi, ça veut dire commencer par élargir, en France, l’échelle de la gestion de l’eau à la région ou aux bassins versants des fleuves. Car notre service de l’eau est trop morcelé. C’est une nécessité pour aboutir à un processus plus sain et plus économique. 

Et ensuite ?

L’eau n’est pas assez chère pour faire face aux coûts de gestion à long terme et aux nouveaux problèmes, comme le changement climatique ou les micropolluants par exemple ! Or, si on augmente le prix de l’eau, les plus démunis ne pourront plus payer. Même dans les pays riches, il faut envisager de couvrir une partie des coûts par les impôts locaux. Le grand atout de ces impôts, c’est qu’ils sont redistributifs : les riches les payent plus cher que les pauvres. Mais, au final, les élus en auront-ils le courage ? —

Bernard Barraqué est directeur de recherche au CNRS, spécialiste des politiques de l’eau.

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Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

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