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«  La naissance d’un Européen équivaut, en terme d’impact, à celle de 10 Congolais  »

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Contrôler les naissances dans les pays occidentaux : l’idée paraît saugrenue aux yeux de certains, vitale pour d’autres. Duel acéré : Yves Cochet, député Vert, contre Henri Leridon, démographe.
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Terra Eco. Sommes-nous trop nombreux ?

Henri Leridon : Nous serons – c’est une certitude – au moins 8 milliards sur la planète en 2050, mais 9 milliards sans doute. Ensuite, la population pourrait stagner ou même décroître. Cette évolution (1) est plutôt une bonne nouvelle. C’est la première fois depuis plusieurs dizaines années que l’on peut se dire : « La croissance démographique pourrait s’arrêter là. » Maintenant, si l’on vise une population totale à 8 milliards plutôt qu’à 9, il faut intervenir là où il reste des réservoirs de croissance démographique. Et ceux-ci se trouvent surtout en Afrique et en Asie (Inde, Pakistan, Indonésie, ndlr).

Yves Cochet : Pardonnez-moi, mais nous ne serons jamais ni 9 milliards, ni même 8 milliards d’êtres humains en 2050. C’est impossible pour des raisons géologiques et agricoles. Ce qui compte, c’est ce qu’on appelle l’empreinte écologique. Pour la calculer, vous prenez la quantité de population sur un territoire donné et vous multipliez la consommation moyenne par ce nombre d’individus. Quand je dis consommation, c’est à la fois celle des ressources et le rejet des déchets. Et là, il n’y a aucune ambiguïté : l’empreinte écologique moyenne de la Terre ne cesse d’augmenter, et la biocapacité, c’est-à-dire l’aptitude de la planète à se régénérer ou à fournir, par exemple, de l’eau ou de l’alimentation, est, elle, décroissante. L’empreinte écologique moyenne actuelle correspond à 2,7 hectares/habitant/an contre 2,1 pour la biocapacité.

Et si l’on raisonne par grandes régions ?

Y.C. : La planète se divise en trois. Il y a des régions dont l’empreinte écologique augmente – essentiellement les pays riches ; il y a celles – la majorité – où l’empreinte est stagnante ; et enfin, les plus pauvres et les plus creuses, comme l’Afrique, où l’empreinte est en baisse. Attention aux idées reçues ! L’Afrique est un continent immense où il y a très peu de monde, alors que l’Europe, avec 500 millions d’habitants, constitue un territoire tout petit où il y a beaucoup de population. Cette situation est invivable à terme.

Si c’est invivable, où faut-il agir pour inverser la tendance ?

Y.C. : Ici, dans les pays riches. Disons sur le territoire de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour faire simple. Pour vivre partout dans des conditions acceptables, nous n’avons pas d’autre choix. Je passe 99 % de mon temps depuis trente-cinq ans à me battre pour la modification de nos comportements. J’en suis très triste, mais je m’aperçois que les choses ne vont pas assez vite. Je dis donc qu’il faut jouer aussi sur la variable démographie si l’on veut avoir une chance de réussir.

H.L. : Je ne vous suis pas du tout. Vous nous dites : « Agissons dans les pays riches. » Il se trouve que dans presque tous les pays de l’OCDE, hormis l’Amérique du Nord et la France, nous nous trouvons avec un taux de fécondité qui se situe déjà à 1,3 ou 1,4 enfant par femme. Si c’est cela que vous réclamez, eh bien, nous y sommes déjà ! Nombre de démographes dans ces pays estiment d’ailleurs que c’est très satisfaisant.

Y.C. : Depuis plus d’un siècle, la politique de la France a été nataliste. Les allocations familiales en sont l’illustration depuis maintenant quatre-vingts ans. Je réclame aujourd’hui la neutralité de l’Etat sur ce point. C’est-à-dire : on ne dit rien, mais on cesse de stimuler. Actuellement, à deux enfants, vous commencez à toucher 124 euros par mois. A trois, 283 euros, à quatre et plus, 159 euros supplémentaires par enfant. Le calcul est simple : nous consommons trop, nous sommes trop nombreux, et donc notre empreinte écologique se révèle beaucoup trop élevée. Sauf, si messieurs Sarkozy, Berlusconi, Brown, et madame Merkel nous disent demain : « Réduisons de 10 % par an nos émissions de gaz à effet de serre, le nombre de voitures par habitant, de téléviseurs, de portables… Bref, diminuons drastiquement l’extraction des ressources du sous-sol », qui par définition ne sont pas renouvelables. Là, je dis d’accord. Mais qu’on le fasse ! Hélas, on fait le contraire.

Il faut donc souhaiter une population déclinante ?

H.L. : Je ne suis pas certain que nous puissions agir plus efficacement sur la variable démographique que sur les variables de comportement individuel. Car comme vous le dites justement, le jour où le pétrole viendra à manquer, cette nouvelle donne nous sera imposée et nous devrons modifier nos comportements. En revanche, faire ou ne pas faire des enfants, cela repose davantage sur la volonté individuelle. J’ajouterais que si nous agissions fortement sur la variable démographique comme vous le prônez, nous subirions des coups de frein successifs et nous obtiendrions un vieillissement de la population avec des charges qui se poseraient de façon encore plus aiguë qu’aujourd’hui. Je ne veux pas agiter le chiffon des retraites en disant qu’il faut absolument maintenir la natalité à un niveau élevé. Mais cela peut provoquer des effets de court et de long terme ennuyeux si l’on va trop vite. On ne peut pas considérer que tout nouveau-né dans un pays riche est seulement un futur pollueur. Avec ce constat-là, les adultes aussi. Et si l’on vous suit, il faut liquider toute la population des pays les plus riches.

Y.C. : N’ayez crainte, je suis un homme raisonnable, démocrate et humaniste. Mais nous ne serons jamais 9 milliards ici-bas. Pour vous, le futur n’est qu’une extrapolation tendancielle du passé. Pour moi au contraire, les années 2010-2030 seront marquées par un bouleversement exceptionnel de nos modes de vie occidentaux. Nous allons assister à une chute démographique due, non pas à la volonté des individus ou à l’alphabétisation des petites filles dans le tiers-monde, mais provoquée par une baisse considérable de l’accès économique aux matières premières et à l’énergie. Et vous pouvez prendre tous les exemples que vous voulez, le nombre de voitures, de téléphones, de fringues… Jamais les Chinois, les Indiens, les Africains ne vivront dans les mêmes conditions que nous. Jamais. Et tout cela est très inégalement partagé. Disons que la naissance d’un petit Européen moyen équivaut en terme d’impact à celle de dix petits Ouzbeks ou dix petits Congolais. Il faut donc agir sur les deux facteurs.

Haro sur le troisième enfant donc ?

H.L. : On peut avoir envie de s’élever contre une politique trop nataliste, c’est tout-à-fait légitime, encore faudrait-il que celle-ci fonctionne. Les économistes, y compris français, sont très sceptiques sur l’efficacité de ces politiques, dans un sens comme dans l’autre. On obtient des résultats à la marge. Autre point : est-il légitime de traiter financièrement différemment le premier, le deuxième, le troisième ou le quatrième enfant ? Je pense que non. Donc, ce débat porte en fait sur les politiques familiales, monsieur Cochet. Il ne doit pas seulement être ramené à ses aspects natalistes.

Mais une démocratie peut-elle contrôler ses naissances de manière efficace ?

H.L. : Les démographes n’ont pas vu venir le baby-boom juste après la guerre. On a cru à un phénomène conjoncturel et ça a duré vingt ou trente ans. On n’a pas non plus vu venir la baisse. Ce que je veux dire, c’est que ce sont bien les couples qui ont pris sur eux et assumé leurs actes. Il y aura des moments où ces choix nous satisferont et d’autres moins. Nous sommes pris entre ces décisions par nature individuelles et leur impact collectif.

Y.C. : Ces questions touchent au plus intime. Aux yeux de l’Eglise, le contrôle des naissances reste encore tabou. Pour certains donc, une partie de la richesse consiste à avoir beaucoup d’enfants. Ce n’est pas en quelques années que l’on va pouvoir faire passer l’idée qu’être moins nombreux sur Terre, qu’une population vieillisse et que l’on consomme moins soit une projection désirable et souhaitable. Toucher aux allocations familiales n’aura peut-être qu’un effet secondaire sur les statistiques, mais réel sur l’imaginaire collectif.

Quel avenir nous promet cette raréfaction des ressources ?

Y.C. : 85 % de l’énergie du monde consommée est fossile. Et rien de tout cela n’est renouvelable. Ni le fer ni le pétrole. Ce sont des faits géologiques. La nature ne négocie pas. Toute la croissance économique et démographique dont nous parlons a une cause principale : l’abondance pétrolière et fossile depuis deux siècles. Dans les dix ans à venir, la planète ne va pas seulement être secouée par la hausse du prix du pétrole, la baisse de la production et des exportations, nous allons assister à un nationalisme énergétique très fort et ainsi qu’à des famines, des guerres et des épidémies. Les chutes démographiques vont être gigantesques dans les trente ans à venir. C’est humainement insupportable et pourtant, c’est un pur calcul énergétique par rapport aux écosystèmes et au sous-sol dont nous dépendons. N’oubliez pas que pour une seule calorie alimentaire dans votre assiette, il faut treize calories énergétiques en amont, dont huit de pétrole !

Les démographes intègrent-ils la diminution irréversible des réserves de pétrole dans leurs projections ?

H.L. : Honnêtement non. Mais si les choses devaient se dégrader, je pense que ce serait progressif. Les prix du pétrole grimperaient et on se dirait que l’essence est trop chère pour partir en week-end. Il y aurait tout de même des étapes que l’on peut imaginer se transformer en prises de conscience. Je suis, sur ce plan, plus optimiste que vous.

Y.C. : Non. La révolution agricole s’est faite grâce à la machinisation et aux intrants. Un riziculteur camarguais est dix fois plus productif qu’un gars qui plante en Thaïlande ! Parce qu’il a des tracteurs, des phytosanitaires, etc. Il faut être conscient de la puissance mobilisée par l’agriculture productiviste, en Amérique du Nord et en Europe. Ce n’est donc pas tenable, sauf à dire que l’on consacre tout le pétrole à ces tâches. Mais dans ce cas-là, ce sont nos systèmes de transport et de production d’énergie qui s’écroulent.

H.L. : D’accord avec vous. On ne peut pas suivre les économistes dans l’idée que tout produit venant à manquer peut toujours trouver un substitut. Pour autant, le fonctionnement de nos économies a cela de vertueux que lorsque quelque chose déraille à un endroit, nous nous trouvons dans l’obligation de réagir. Alors vous parlez de catastrophe démographique en vue, en particulier par la multiplication des famines. Il faudrait qu’elles soient extrêmement puissantes pour diminuer la population de façon drastique. Je n’y crois pas.

Vous tablez davantage sur une paupérisation générale de la population mondiale.

H.L. : Exactement, si les scénarios de réduction rapide des ressources se confirment.

Y.C. : Je crois pour ma part davantage aux seuils et aux ruptures. Vous savez, j’appartiens à la génération qui aura été exubérante comme aucune autre auparavant. Cette profusion, cette prodigalité, ces excès, tout cela constitue le mythe occidental des Trente Glorieuses. Mais tout cela n’aura touché qu’un milliard d’habitants, sur un temps très court, à la fin du XXe siècle. Malheureusement, ce mythe productiviste, prométhéen, s’est diffusé à l’échelle mondiale.

H.L. : Au cours de la même période, la planète a connu un taux de croissance de la population de 2 % qui était lui aussi totalement insoutenable. Quand un Africain faisant 7 ou 8 enfants pense qu’il reproduit ce que faisait sa grand-mère, il se trompe lourdement. Sa grand-mère a peut-être eu 8 enfants, mais la moitié sont morts en bas âge. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le XXe siècle a été, sur le plan démographique, un épisode unique dans l’histoire de l’humanité. 

(1) Prévue par les Nations unies dès la fin des années 1960.


YVES COCHET

1946 : Naissance à Rennes

1969 : enseignant à l’Institut national des sciences appliquées (Insa)

1973 : adhère aux Amis de la Terre

1984 : participe à la création des Verts, dont il devient porte-parole

1989 : député européen

1997 : député du Val-d’Oise puis vice-président de l’Assemblée nationale

2001 : ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement

2007 : réélu député de la 11e circonscription de Paris.

Dernier ouvrage paru : Antimanuel d’écologie, éditions Bréal (2009), 310 pp.

HENRI LERIDON

1942 : naissance à Alger

1962 : élève à l’Ecole polytechnique

1965 : entre à l’Institut national d’études démographiques (Ined)

1979 : chef du département de sociodémographie de l’Ined

2001 : directeur de l’unité mixte de l’Inserm-Ined-Paris IX « Epidémiologie, démographie et sciences sociales »

2007 : directeur de recherche émérite à l’Ined

2008 : professeur associé au Collège de France

Dernier ouvrage paru : De la croissance zéro au développement durable, Fayard (2009), 62 pp.

Photo : Frédéric Stucin / M.Y.O.P ; Nina Berman / Redux-Rea

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Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

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