publicité
haut
Accueil du site > Actu > L’économie expliquée à mon père > Pourquoi les Etats ne luttent pas contre les paradis fiscaux
8-04-2013
Mots clés
Finance
Economie
France

Pourquoi les Etats ne luttent pas contre les paradis fiscaux

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
Pourquoi les Etats ne luttent pas contre les paradis fiscaux
(Crédit photo : Roger4336 - flickr)
 
L'évasion fiscale prive les Etats de ressources conséquentes. Et pourtant, ils n'agissent que mollement contre les paradis fiscaux. Simplement parce qu'ils n'ont pas, au fond, intérêt à les voir disparaître. Explication.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
SUR LE MÊME SUJET

« Jurer prendre des mesures draconiennes pour lutter contre les paradis fiscaux relève d’une grande hypocrisie. » Pierre Lascoumes, directeur de recherche au Centre d’études européennes de Sciences Po est catégorique. « Le politique est sous influence des intérêts économiques et la confusion des genres est très forte entre ces deux activités, en France notamment », poursuit le co-auteur de Le capitalisme clandestin. L’illusoire régulation des places offshore (La Découverte, 2004). Selon l’expert, tout est ainsi « fait pour que la cassette soit la plus abstraite, la moins identifiable possible. Les Etats laissent faire car ils ont besoin de contracter des emprunts auprès des banques pour fonctionner... Et on les voit mal aller contre les intérêts de leurs principaux fournisseurs financiers ! »

Voilà bien le cœur du sujet. Si les paradis fiscaux sont dénoncés haut et fort par les autorités, nul, dans les sphères du pouvoir, ne semble avoir intérêt à les voir disparaître. Et ce, même s’ils viennent à embarrasser le pouvoir comme le montre l’affaire Cahuzac – notre ex-ministre du Budget qui a reconnu détenir un compte en Suisse – ou l’ « offshore leaks » qui sort, depuis vendredi de l’ombre des palmiers des noms d’individus et de sociétés qui préféreraient y rester...

50 milliards dans la poche plutôt que dans la caisse

Pourtant les paradis fiscaux coûtent cher. Rien qu’en France, l’évasion fiscale priverait l’Etat de 50 milliards d’euros de recettes chaque année. Soit quatre fois le déficit de la Sécu prévu en 2013. « Les paradis fiscaux déstabilisent les économies nationales et privent les budgets publics de ressources importantes », explique Vincent Drezet, secrétaire général de Solidaires Finances publiques, première organisation syndicale de la Direction générale des finances publiques (DGFIP).

En plaçant leur argent sur des comptes à l’étranger sans le déclarer (ce qui est illégal), ou en créant d’habiles montages financiers (lire cet article de Terra eco paru en 2004, toujours éclairant), c’est bien à l’impôt national qu’individus et entreprises veulent échapper. Alors pourquoi, malgré les sommes colossales qui leur filent entre les doigts, les politiques ne se donnent-ils pas les moyens d’agir efficacement contre ceux – pourtant aisés - qui se soustraient à la solidarité nationale ? On avait pourtant cru, après les déclarations tonitruantes du G20 en 2009, que les choses allaient changer. On avait même compris, à l’époque, que « l’ère du secret bancaire était révolue ». Nicolas Sarkozy lui-même avait affirmé : « les paradis fiscaux, c’est terminé ».

Un problème pour la démocratie

La politique de lutte, qui prévoit la signature de conventions bilatérales permettant un échange d’informations bancaires à la demande, « a complètement échoué », estime Gabriel Zucman, doctorant à l’Ecole d’économie de Paris, et spécialiste des paradis fiscaux. « Dans les faits, le secret bancaire est intact. Pour obtenir une information, il faut déjà avoir les réponses aux questions qu’on pose », et être extrêmement précis dans leur formulation, déplore l’auteur de « La richesse manquante des Nations », étude publiée en 2011 dans laquelle il chiffrait à 6 000 milliards d’euros le montant des placements des particuliers à travers le monde dans les paradis fiscaux. Les demandes d’information par la France à la Suisse sur le compte de Jérôme Cahuzac, restées vaines, en sont un bon exemple.

Le Forum Global sur la transparence fiscale, mis en place à la fin de l’année 2009, n’impose aux pays aucune contrainte forte pour tenir des registres publics sur les propriétaires des sociétés et il existe de nombreuses raisons pour lesquelles l’échange d’information peut être refusé. De plus, il n’y a pas de lieu de recours face à un pays récalcitrant.

A titre d’exemple, « depuis novembre 2010, l’administration fiscale française a formulé 72 demandes d’information auprès de la Suisse, avec laquelle elle a signé une convention. Elle n’a à ce jour obtenu que 23 réponses, et toutes ne sont pas exploitables », explique Vincent Drezet. « Au final, le peu de moyens qu’on a sont peu efficaces et peu utilisés », estime le syndicaliste.

Le paradis fiscal, the place to be pour faire du business

Un certain nombre de grands patrons français ne se cachent pas d’être implantés dans les paradis fiscaux. Ce qui, précisons-le, n’a rien d’illégal tant qu’on le déclare à l’administration fiscale. C’est le cas de Total. D’après un article de BFMtv, son patron, Christophe de Margerie estime que « lui fermer l’accès aux paradis fiscaux, [ce serait] lui fermer l’accès aux gisements gaziers et pétroliers les plus importants du monde. Les monarchies du Golfe ont, en effet, pris l’habitude depuis des dizaines d’années de monter des co-entreprises dans ces paradis fiscaux ». Idem pour les banques françaises, qui veulent capter l’épargne des plus grandes fortunes mondiales...

« C’est vrai, l’économie mondiale passe, depuis deux siècles, par les paradis fiscaux. C’est parfois pour un entrepreneur la condition sine qua non pour investir dans un pays, comme s’en est défendu Jean-Jacques Augier (le trésorier de campagne de François Hollande qui a un compte aux Caïmans pour investir en Chine, ndlr », confirme Pierre Lascoumes. Selon lui, « pour un Etat, lutter contre un paradis fiscal est une entreprise à risque. C’est lutter contre des montagnes. Et puis il ne peut pas se permettre d’être absent du marché international. C’est bien pour ça que dire qu’on va supprimer les paradis fiscaux est du blabla. »

Agir à l’échelon mondial

Faux, veut croire Gabriel Zucman. Selon l’économiste, « les paradis fiscaux ne sont pas nécessaires au bon fonctionnement de la mondialisation financière ». Non seulement « les gisements pétroliers existeront toujours même si le secret bancaire en Suisse était levé », mais il est même grand temps d’agir à l’échelon mondial via une solution « techniquement simple » : mettre en place « l’échange automatique d’informations avec les banques installées dans les paradis fiscaux ». Et donc lever le secret bancaire.

Vincent Drezet acquiesce : « La solution serait d’adopter une disposition supranationale obligeant l’échange multilatéral d’informations. Cela permettrait à un État de savoir systématiquement quand un de ses ressortissants ou une des entreprises ouvre un compte ou une filiale dans un autre pays. Le particulier comme l’entreprise seraient alors imposés sur leurs intérêts mondiaux. »

Pour Gabriel Zucman, l’impulsion pourrait venir d’une coalition France – Allemagne pour faire plier la Suisse, le Luxembourg, l’Autriche et les autres paradis fiscaux. « Sauf qu’au niveau européen, toute réglementation bancaire doit être prise à l’unanimité », tempère Pierre Lascoumes. Lui préconise une manière forte : « Si un Etat ne veut pas coopérer et fournir les informations demandées, il faut le mettre à l’index, et arrêter les échanges commerciaux et financiers avec lui. »

Le séisme provoqué par l’affaire Cahuzac va-t-il inciter le gouvernement français à envisager une réplique ? « La volonté politique est trop faible, juge Vincent Drezet. Même le gouvernement socialiste diminue les moyens humains alloués aux administrations fiscales, judiciaires et douanières. On est dans une très grande continuité avec ce qui se faisait avant. »

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter
TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
Soyez le premier à réagir à cet article !
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas