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17-02-2005
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Social
France

Les journalistes s’abonnent à la précarité

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Intermittents, chômeurs, précaires en tous genres sont en général de "bons clients" pour les médias. Ces derniers sont en revanche beaucoup moins diserts lorsqu'il s'agit de parler de leurs ouailles : les journalistes. Terra economica l'impudique lève le voile sur l'univers peu charitable des entreprises de presse et sur ces "scribouillards" précaires. Tous ne sont pas des hommes troncs présentant le 20 heures pour un salaire annuel supérieur à 150 000 euros.
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Journaliste depuis 18 mois, Juliette [1] peut déjà se prévaloir d’un joli parcours professionnel. Correspondante en Israël pour des radios françaises et plusieurs journaux francophones, cette ancienne élève du prestigieux Centre de formation des journalistes (CFJ) a récemment "couvert" l’agonie, la mort et les obsèques de Yasser Arafat. Depuis, elle produit au moins un "papier" par jour sur la crise politique israélienne et l’élection palestinienne. De quoi espérer marcher sur les traces des grands reporters d’antan, les Albert Londres, les Jean Daniel, les...

Stop ! Pour l’image d’Epinal, il faudra repasser. Car en fait de destinée manifeste, Juliette vit la galère quotidienne des milliers de journalistes pigistes. Un pigiste - dans le jargon de la presse francaise - est un journaliste payé à l’article ou au sujet, autrement dit à la tâche. Un tâcheron en somme, au sens propre comme au figuré. Bas salaires, respect aléatoire du Code du travail et de la convention collective par leurs employeurs, précarité à tous les étages, tel est l’ordinaire de nombreux pigistes. La jeune journaliste s’est ainsi apercue qu’un de ses patrons ne donnait pas de fiche de paie aux correspondants à l’etranger. "J’ai répondu que ça ne me paraissait pas très légal et que j’avais besoin de bulletin pour la retraite, les impôts et la carte de presse ! En réponse, ils m’ont annoncé qu’ils arrêtaient de collaborer avec moi parce que je posais trop de questions", raconte-t-elle, encore sous le choc.

300 à 400 euros de piges par mois

L’histoire de Vanessa est tout aussi édifiante. Sa spécialité à elle, ce sont les sports collectifs, version presse écrite. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), elle apprend le métier sur le tas. "Au tout début de ma carrière, j’écrivais des compte-rendus de matchs de foot pour des journaux régionaux, par l’intermédiaire d’un journaliste plus expérimenté qui me reversait au noir une petite partie du salaire correspondant à mon travail", explique-t-elle. Précision : le confrère, décédé depuis, employait ainsi une équipe de trois journalistes débutants. Aujourd’hui, les piges de Vanessa lui rapportent entre 300 et 400 euros mensuels. Pour arrondir ses fins de mois, elle travaille comme commerciale et responsable-qualité dans une PME. Et collabore bénévolement à un mensuel qui devait la rétribuer, "c’est sûr, à partir de janvier 2005". "Nous sommes beaucoup à proposer nos services, la concurrence est d’autant plus rude que les journaux n’embauchent plus", soupire-t-elle.

Les chiffres lui donnent raison. En dix ans, le nombre de pigistes a augmenté de 50 %, tandis que celui des journalistes, tous statuts confondus, progressait de seulement 25 %. La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (la fameuse carte de presse) comptabilise 6 374 pigistes, sur un total de 35 539 journalistes professionnels. Auxquels il faudrait ajouter les journalistes en CDD, recensés dans la même catégorie que les CDI. Même pendant les périodes de de vaches grasses publicitaires, dans les années 1998-2000, la masse de précaires a continué de grossir. Il s’agit donc d’un phénomène structurel.

Presse en souffrance

Les causes sont multiples. Patrons, sociologues, journalistes, syndicalistes, chacun y va de son explication. Pas question en tout cas pour les employeurs de porter le chapeau de la précarisation croissante de la profession. "La précarité n’est pas organisée pas les patrons de presse, il faut bien voir qu’un lancement est très périlleux, les banques rechignent à prêter de l’argent, les entrepreneurs sont donc obligés d’investir sur leurs propres deniers, d’où leur réticence à embaucher de façon pérenne", assure Francis Morel, directeur général du groupe Figaro et ex-président du Syndicat de la presse magazine et d’information. Francis Morel pointe surtout l’extrême fragilité de la presse. "Hormis Les Echos, tous les quotidiens français sont déficitaires", explique-t-il. Encore bénéficiaire il n’y a pas si longtemps, Le Parisien n’a-t-il pas perdu 50 millions d’euros au cours des trois dernières années ?

"De moins en moins acheteurs de quotidiens, les lecteurs s’habituent de plus en plus à rejoindre leur kiosque une seule fois par mois", observe Jean-Marie Charron, sociologue spécialiste des médias. Les Français sont en effet les plus gros consommateurs de magazines au monde. Les plus zappeurs aussi. "Dès que les ventes d’un magazine commencent à s’essouffler, on le relooke et si ça ne marche pas dans les six mois, on l’arrête", poursuit Jean-Marie Charron. Parmi les 300 à 400 magazines créés chaque année, la moitié ne survivent pas à leur premier anniversaire. Compétition oblige, les magazines occupent des niches de plus en plus réduites pour capter les ressources publicitaires. La tendance est plus que jamais à la segmentation des publics. Ménagères de plus de 50 ans, bricolos du dimanche, conducteurs de tondeuses à gazon, amateurs de karaté, tous ont leur mag bien à eux...

Rédactions fantômes

Quel que soit le degré de spécialisation de la revue ou du journal, un lancement relève toujours du pari un peu fou. Autant par conséquent en limiter au maximum les coûts, tant matériels qu’humains. Une poignée d’ordinateurs équipés de logiciels de mise en page et de connexions à Internet, quelques téléphones, un rédacteur en chef, un maquettiste qu’on affuble du titre de directeur artistique, une équipe de pigistes plus ou moins réguliers... et le tour est joué. "Aujourd’hui les magazines n’ont plus besoin que de quelques animateurs et d’une masse de pigistes", analyse Jean-Marie Charron. Au point qu’il n’est pas rare de voir figurer dans les sommaires des magazines, en dessous de l’unique rédacteur en chef permanent, les noms d’une dizaine voire plus de pigistes classés à la rubrique "ont collaboré à ce numéro". "J’ai l’impression que c’est le mouvement de l’histoire", résume la rédactrice en chef d’un magazine spécialisé [2].

Mais les contraintes économiques n’expliquent pas à elles seules l’explosion du nombre de précaires dans la presse. "Il y a trop de journalistes par rapport aux capacités d’absorption du marché du travail", constate abruptement Alexis Nekrassov, responsable du pôle pigistes au Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT). Le secteur journalistique n’échappe pas à la loi d’airain de l’offre et de la demande. "Les patrons de presse profitent de l’attrait de la profession et de la main-d’œuvre disponible pour imposer des conditions d’emploi déplorables (contrats précaires, temps de travail allègrement explosés, etc.) : c’est la théorie marxienne de l’armée industrielle de réserve", souligne Lionel Okas, pseudonyme d’un journaliste auteur d’un article au vitriol sur la précarité journalistique dans l’audiovisuel [3]...

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[1] En raison des risques encourus, les prénoms des témoins ont été modifiés

[2] Lire "Devenir journaliste", Direction du développement des médias, La documentation française, 2001.

[3] Le Monde diplomatique, avril 2004,

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