Edwin vient d’aligner douze heures consécutives de travail. Sa courte sieste s’achève et il retourne au four à base. Là où la merca subit sa première métamorphose vers la cocaïne. Après quelques heures de dilution, de filtrage et d’essorage, ivre des vapeurs d’essence et d’acide sulfurique, la fatigue l’assomme à nouveau. Autour, c’est la valse des kilos de cocaïne base qui passent et se succèdent à un rythme infernal dans les immenses filtres. Le cœur serré, il pense à sa femme, à son fils et à ses vieux parents qu’il n’a pas revus depuis de longs mois.
La police ou l’armée
Il approche de la quarantaine et n’a que la peau sur les os. La vie dans la forêt vierge du Caqueta le ronge. Cela fait cinq ans qu’il a quitté, à contrecœur, sa petite ferme dans la région caféière. Après la rupture du pacte cafetier, il a tenté de s’en sortir comme il a pu, mais s’est finalement résigné, juste avant d’hypothéquer sa ferme, à un poste de journalier "raspachin" dans les exploitations de coca et à passer de ferme en ferme au rythme des récoltes.
Pour en finir avec cet esclavage, Edwin vient d’accepter un "contrat" d’ouvrier dans un laboratoire de transformation de la merca en cocaïne. Même au bas de l’échelle, dans le four à base, il sait qu’il y sera bien mieux payé, mais pour des cadences tout aussi infernales.
Tant pis. En serrant les dents, il songe à la petite épicerie-bar qu’il montera lorsqu’il aura réuni les fonds suffisants. Il quittera alors sans regret cette zone inhospitalière pour regagner sa région caféière, verte et vallonnée. Il pourra alors revivre, débarrassé de cette peur permanente d’être arrêté par la police anti-drogue ou l’armée, malmené, jeté en prison et accusé d’être un guérillero. Car c’est le quotidien dans la région du Caqueta. Toute personne vivant sur ce territoire est considérée par les autorités comme un guérillero ou un auxiliaire de la guérilla et traité comme tel par la justice. Comme une clause du contrat de travail.
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