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21-12-2006
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Social
Société
France

Le palmarès des plus petites fortunes de France (et d’ailleurs)

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7 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté. Et doivent user du système D pour le logement, l'éducation, la santé ou l'alimentation. Terra Economica plonge dans cet "autre monde" des pauvres. En France, mais aussi en Europe et en Afrique. Exclusif.
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Un peu plus de 51 milliards d’euros de revenus en 2004 ! Une somme à faire pâlir Liliane Bettencourt, la première actionnaire de L’Oréal : ses dividendes n’ont rapporté que 186 millions d’euros en 2005. Seraient-ce les gains d’un magnat du pétrole ? Non, c’est le revenu moyen cumulé des 6,8 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté, selon l’Insee. Soit une moyenne de 627 euros par mois. Encore ne s’agit-il là que de statistiques, loin de refléter la galère des plus défavorisés. En premier lieu, avoir un toit ne va plus de soi. Le logement n’est pas devenu pour rien le premier poste de dépense des ménages : les frais qu’il occasionne (loyer, charges, énergie) augmentent de plus de 5 % par an depuis vingt ans, comme le constate l’Insee. Même les classes moyennes peinent à se maintenir dans le centre des grandes villes. Et "le prix du mètre carré pour les pauvres est plus élevé que pour les riches", rappelle Fabien Tuleu, délégué général d’Emmaüs France. Les logements sociaux, eux, sont trop peu nombreux et submergés de demandes. Ce qui entraîne une sélection par le haut. "Aujourd’hui, il faut gagner 1,5 smic en moyenne pour y accéder", note Fabien Tuleu, partisan de la création de "logements très très sociaux".

Ma vie à l’hôtel

Par ricochet, les plus démunis doivent patienter dans les dortoirs des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) où ils renouvellent leur place de six mois en six mois. Encore ceux-là s’en sortent-ils bien. Car il y a ceux qui cumulent les courts séjours dans les centres d’urgence. Ils côtoient les plus désocialisés, les clochards, qu’on nomme aujourd’hui pudiquement "sans abri". A l’incertitude de l’hébergement au jour le jour s’ajoute la contrainte des horaires. "Pour aller au centre de Nanterre, je devais attendre la navette à 22 h 30 porte Maillot, dans le nord-est de Paris, dans les courants d’air, sous la pluie, se rappelle Mehdi*. On arrivait une heure plus tard. Le temps de manger, je ne pouvais me coucher qu’à 1 h du matin. Et je devais me lever à 6 h 30 pour repartir. Or le sommeil est capital quand on est à la rue."

Les centres aussi sont saturés. Alors, certains hôtels - souvent plus proches du taudis que du palace - louent leurs chambres à l’année. Les services sociaux placent leurs pauvres pour 30 euros la nuit. Promo grandiose, la facture mensuelle est parfois ramenée à 600 ou 700 euros. Les chambres, où s’entassent fréquemment des familles, ne sont pas faites pour qu’on y cuisine. Mais il faut bien, puisqu’elles jouent le rôle d’appartements. C’est ainsi qu’un hôtel parisien, a pris feu en avril 2005, tuant vingt-cinq personnes.

Pas de logement, pas de travail

Pour échapper à la rue, certains ont, comme Pascal, choisi de rejoindre une communauté Emmaüs. Quadra, ancien "manager" dans un magasin, il est arrivé à celle de Longjumeau, dans l’Essonne, il y a un peu plus d’un an. Comme les autres compagnons, il y a obtenu une chambre individuelle et l’assurance d’être nourri, habillé et soigné gratuitement. Seule contrepartie demandée par le responsable de la communauté : travailler cinq jours par semaine à heures fixes pour un peu plus de 200 euros par mois et ne consommer ni drogues ni alcool. Il faut pouvoir supporter la vie en collectivité et la cohabitation, pas toujours facile, entre des êtres éprouvés et qui préfèrent souvent "garder leurs problèmes pour eux", comme le reconnaît Jean-Noël. Promenant sa silhouette de rugbyman triste, il affirme "se sentir bien ici" et vouloir y rester. D’autres voient davantage la communauté comme un nouveau départ. C’est le cas de Pascal, qui évoque sa "fierté d’avoir réussi à rebondir" et rêve de reprendre des responsabilités au sein d’Emmaüs, ou dans une autre association. Près de lui, un autre compagnon brûle de voler à nouveau de ses propres ailes... et peste contre ce HLM que lui et son amie attendent depuis un an et demi.

Obtenir un logement est ardu quand on n’a pas d’emploi stable. Et les contrats de travail se trouvent difficilement lorsqu’on est sans logement. C’est le cercle vicieux de la pauvreté. Aider les sans-domicile sur le chemin de l’emploi, c’est l’une des missions de l’Espace solidarité insertion (ESI) Saint-Martin, un centre de jour de l’Armée du Salut situé dans une ancienne station du métro parisien. "On les incite à se raser tous les matins, à entreprendre des soins dentaires - c’est très important -, à donner une bonne image d’eux-mêmes", explique Jean-Yves Dichappari, le chef du personnel. La plupart des personnes qui fréquentent l’établissement sont des sans-papiers écrasés par des démarches administratives complexes. Arnaud Benoît, travailleur social au sein de l’ESI, est chargé de les orienter. "Il est très facile de se désocialiser mais il est plus dur de remonter la pente, analyse-t-il. Les structures sociales sont très exigeantes vis-à-vis de ces gens. Elles font face à tant de demandes qu’elles sélectionnent en fonction des motivations de la personne et de ses capacités à s’en sortir."

7 millions de travailleurs pauvres

Mais le marché du travail n’incite pas franchement à l’optimisme, avec un taux de chômage officiel autour de 9 % - que les associations de chômeurs jugent très sous-estimé - et le développement du temps partiel imposé, particulièrement pour les femmes. Selon une enquête réalisée par l’Insee en 2003, un tiers des femmes sont employées à temps partiel et 27 % d’entre elles voudraient travailler plus. Or, "le coût du logement et le coût du transport sont les mêmes, que l’on travaille à temps plein ou pas", rappelle Fabien Tuleu. C’est pourquoi Emmaüs souhaite l’instauration d’un revenu de solidarité active, qui permettrait aux chômeurs de reprendre un emploi sans perdre d’argent. Une logique que Jacques Cotta considère d’un œil dubitatif. Selon ce journaliste, auteur du livre 7 millions de travailleurs pauvres, "cela peut laisser entendre que les gens qui ne travaillent pas le font par choix. Or, dans l’enquête que j’ai menée, je n’ai pratiquement pas trouvé de personnes qui soient à la marge par volonté."

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Le revenu disponible rassemble les revenus d’activité, les revenus du patrimoine, les transferts d’argent et les prestations sociales, moins l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, la CSG et la CRDS. A titre d’exemple, les personnes dont le revenu disponible annuel est supérieur à 22 875 euros font partie des 20 % des Français les plus riches.

Par déveine, en revanche... "Certains ont un don pour se mettre dans les difficultés", lâche Arnaud Benoît. Un Ivoirien quitte tout juste son bureau, dépité. Immigré régularisé, il venait enfin de trouver une place à l’année en chambre d’hôtel mais n’avait pas prévenu que sa femme, à peine débarquée en France, le rejoindrait. La procédure qu’il avait entamée était valable pour une personne. Pour deux, elle est à refaire.

Ghanty peut témoigner lui aussi. Ce Cambodgien arrivé dans l’Hexagone en 1975 a perdu son statut de réfugié politique en effectuant un simple aller-retour dans son pays d’origine, pour toucher un héritage de misère. Leurs droits, leurs obligations, tout cela est compliqué. "La vie et les services publics, pour eux, c’est un peu comme un tableau de Picasso", explique Fabien Tuleu. "Ils parlent de leurs problèmes de dos à leur référent emploi et de leurs difficultés avec le RMI au médecin", confirme Jean-Yves Dichappari. Plus grave, "ils ont un malentendu par rapport aux services publics, note Fabien Tuleu. Les familles vivent le regard de la PMI (protection maternelle et infantile) ou de l’assistante sociale moins comme une aide que comme un contrôle social, avec la menace du placement de leurs enfants."

"Rien n’est pour moi"

Une lueur d’espoir est tout de même apparue avec l’instauration, en 2000, de la couverture maladie universelle (CMU) et de sa complémentaire santé. Mais cela n’a pas été simple, comme le raconte Fabien Tuleu : "Les plus pauvres se sont dit : ’tout dans le monde quotidien me renvoie que rien n’est pour moi. Pourquoi est-ce que cette fois ce serait gratuit ’" Une question qu’ils peuvent encore se poser en constatant qu’un nombre important de médecins sont prêts à leur claquer la porte au nez.

Cette inégalité devant la santé ne surprendra pas les adeptes du Bip 40. Selon cet indicateur alternatif, les inégalités ont augmenté de plus de 39 % entre 1984 et 2004. Un constat que réfute Julien Damon, responsable des Questions sociales au Centre d’analyse stratégique (ex-Commissariat général du Plan). "La pauvreté a diminué depuis vingt-cinq ans selon les indicateurs monétaires [les chiffres de l’Insee, ndlr], note-t-il. Plus les situations s’égalisent, plus les personnes s’exaspèrent des inégalités qui demeurent."

Elles perdurent en tout cas jusque dans les assiettes. Certes, "on est en France, ce n’est pas ici qu’on va nous laisser mourir de faim", affirme Emile, qui vient de prendre un sachet-repas auprès d’un camion des Restos du cœur, stationné trois soirs par semaine derrière la gare Saint-Lazare, à Paris. A condition de connaître les lieux et de pouvoir se déplacer d’un endroit à l’autre de la ville, il est en effet possible de faire au moins un repas par jour. Mais se nourrir reste difficile, même pour ceux qui ne sont pas à la rue. Maria et Eric le savent bien. Ce couple de Belfortains s’est endetté jusqu’au cou pour se payer une maison. Il ne leur reste que 50 euros par semaine pour vivre. "Au supermarché, je ne regarde jamais les rayons en face de moi. Seulement ceux du bas, raconte Maria. Pour la viande, c’est pareil. Je regarde les promos et je me dis : elle n’est peut-être pas belle mais elle n’est pas chère."

Une frustration quotidienne à laquelle il est difficile d’échapper. Comme quatre Français sur dix, Maria et Eric ne partent pas en vacances. "On ne vit plus, on survit, explique cette mère de deux petites filles. On est du 1er janvier au 31 décembre au même endroit, à compter les sous, à réfléchir. Parfois on aurait juste besoin de s’évader un peu, comme tout le monde."

Alors, les mairies, offrent des places de cinéma. Les musées s’ouvrent gratuitement aux chômeurs ou bien aux RMistes... Mais les plus exclus n’en profitent pas forcément. Lorsqu’on demande à Mehdi si la culture importe quand on est sans domicile, il répond, avec son sens de la formule : "C’est un truc essentiel... qui passe après le reste." "Il ne faut jamais perdre de vue que le plus important reste la dignité, lance Rose, qui s’est retrouvée au Secours populaire, à Nantes, après avoir perdu son emploi. Mais il faut se battre pour cela. Ne pas baisser la tête et ne pas s’enfermer dans un monde à part. Même si nous ne vivons pas les mêmes réalités que les gens riches, nous appartenons malgré tout à la même société." Rose ne croit pas si bien dire. Selon un sondage BVA pour Emmaüs : un Français sur deux craint de devenir SDF.

* Certains prénoms ont été modifiés.

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