La maison en plaqué-collé

Périphérie de Berlin : le petit village tristounet de Mehrow semble comme endormi dans le froid. Quelques fermettes, un ou deux haras, une dizaine de maisons individuelles toutes identiques. Mais au numéro 29 de la Dorfstrasse trône, encore inachevée, "Haus Z" : la maison la plus avant-gardiste d’Allemagne, la première entièrement fabriquée à partir de matériaux recyclés.

Et pas n’importe quels matériaux : des plaques de béton utilisées il y a quelques dizaines d’années pour la construction d’immeubles dans l’ex-RDA. "Conçues pour durer l’éternité", disait la propagande est-allemande... A partir des années 70, les "Plattenbauten", ces "constructions en plaque", ont surgi partout en périphérie des villes et toujours sur le même modèle. Les cloisons de 6 mètres sur 3 étaient assemblées en parallélépipèdes rectangles que l’on empilait ensuite les uns sur les autres, comme un gigantesque jeu de Lego. Aujourd’hui, ces immeubles, laids et aux appartements exigüs, sont désertés. On en détruit plusieurs dizaines par an.

Un crime de lèse-matériau pour Claus Asam : "On les envoie à la casse, alors qu’elles sont encore en excellent état !" Cet ingénieur Berlinois a donc planché pendant trois ans pour tenter de récupérer ces plaques. "Notre truc : une machine qui ressemble à une tondeuse à gazon équipée d’un diamant à découper. Nous séparons les plaques les unes des autres." Une technologie de pointe sur laquelle nous ne saurons rien de plus. Herve Biele, l’architecte qui a travaillé de concert avec lui et mis au point cette méthode, reste lui aussi bouche cousue.

Jambon

Le projet "Haus Z", 212 m² répartis sur deux étages, sept pièces et une terrasse utilise 49 plaques, toutes modifiées. Les deux hommes y découpent comme ils le feraient dans un morceau de tissu. "Avec le temps, ce béton rejette de la vapeur d’eau et devient de plus en plus solide. Comme un jambon qui aurait bien séché : d’une excellente qualité !" Si "Haus Z", projet pilote, est très cubique, les prochaines maisons joueront sur l’arrondi et les plans inclinés. Très fier, Herve Biele exhibe sa dernière maquette : un pavillon flanqué d’une terrasse en forme de haricot et coiffé d’un joli toit pointu. Le cabinet affiche déjà une dizaine de commandes sur son carnet.

Mais la grande fierté des architectes et ingénieurs berlinois se cache ailleurs. "Haus Z" est une maison écologique. Pour la construire, inutile de couler du béton. Du coup, on économise eau et électricité, la résidence est montée six fois plus vite que pour un chantier ordinaire, le tout pour un prix inférieur.

Objectif France ?

Et l’entrepreneur est un malin. Les plaques sont récupérées quasi gratuitement - ("Nous payons seulement l’expertise pour s’assurer que le béton est encore en bon état", explique Herve Biele -, et les coûts de fabrication tombent de 30%. Avec les fonds épargnés, les architectes ont équipé la maison de panneaux solaires, d’un système de récupération d’eau et d’un chauffage géothermique. Résultat : "Haus Z", n’a coûté que 175 000 euros. "C’est la preuve qu’on peut enfin construire vite, bon marché et écolo en Allemagne. Grâce à la deuxième vie de ces horribles plaques de béton, l’architecture durable se retrouve accessible au plus grand nombre", s’enthousiasme Herve Biele.

Deux bémols cependant. La structure du béton empêche toute construction supérieure à trois étages. Pas de projet, donc, de piscines ou de stades construits sur la même recette. Deuxième problème : pour être rentable, le transport de ces plaques de béton ne peut excéder un rayon de 250 kilomètres. La marge de manœuvre des architectes reste donc limitée. Mais le cabinet réfléchit actuellement à la transposition de son modèle à d’autres types de bâtiments voués eux aussi à la destruction... Et ils ont déjà un œil sur les barres des cités françaises. A quand les Minguettes transformées en paradis écolo ?

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