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28-05-2014
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Alimentation
Agriculture
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La Louisiane en pince pour l’écrevisse

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Sur son petit bateau à pédale, un pêcheur peut couvrir des dizaines d’hectares par jour.

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Grâce au visa « H-2A », Armando est venu du Mexique pour travailler dur pour Paul et ses frères.

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La délicieuse « red swamp crawfish » est considérée en France comme une espèce invasive.

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Les écrevisses rejoignent les restos de La Nouvelle-Orléans en moins de trois jours.

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Le bourg de Crowley compte tant de silos qu’on y trouve une « rue des Greniers ».

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Grâce à un système rotatif, ce champ de riz fraîchement semé sera l’année prochaine un bassin à écrevisses.

 
Dans le pays cajun, quand la culture du riz a décliné, les agriculteurs se sont tournés vers le crustacé. Une riche idée : ils se partagent désormais entre les deux cultures, en fonction des saisons.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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« Ici, c’est la maison où a grandi ma grand-mère. Là, c’est celle de ma mère. Là-bas, celle de mon grand frère et là, celle de mon petit frère… On habite si près qu’on pourrait se tirer dessus. » Un doigt pointé à l’horizon et une main sur le volant de son truck, Thomas Faulk – dit Tommy – fait visiter, avec son chien George, les 1 400 hectares de ferme qu’il gère avec ses frères et ses neveux. A perte de vue, l’horizon sous le ciel lourd, les silos à grain et, sous les roues de l’engin, le bitume qui cède souvent la place aux chemins sablonneux. Niché au cœur de la « ceinture de riz », qui s’étend de l’Arkansas au Texas, Crowley, 13 000 habitants, est le chef-lieu de la paroisse de l’Acadie et surtout la « capitale américaine du riz ». Un titre qui l’autorise, tous les troisièmes week-ends d’octobre, à organiser un festival international dédié à la céréale, avec élection de miss et concours de mangeurs de riz.

« On a le plus grand nombre de moulins à grain par tête de pipe de la nation, claironne Greg Jones, le maire de la ville. Tout le monde dépend indirectement du riz dans la commune : les agriculteurs, les réparateurs de tracteurs, les vendeurs de pesticides, les commerçants ou les instits. » Fondée en 1887 le long de la voie ferrée, la localité a accueilli les fermiers acadiens qui ont exploité le potentiel agricole de la région. Des siècles plus tard, les rendements de leurs descendants sont faramineux : en 2013, la moisson a rapporté 90 millions de dollars (65 millions d’euros), estime Steve Linscombe, directeur du centre de recherche sur le riz de l’université d’Etat de Louisiane (LSU). Preuve de ce succès, « où que vous soyez, vous avez 90 % de chances que vos Rice Krispies (marque de céréales Kellogg’s, ndlr) viennent des alentours de Crowley ».

Jambalaya et gumbo

Et pourtant, le marché américain du riz a subi un mini-krach au début des années 1980. Une période très dure qui a poussé les agriculteurs à regrouper les parcelles et à se diversifier. Paul Zaunbrecher, qui dirige avec ses frères une exploitation à Rayne, à un coup de volant de Crowley, s’en souvient encore : « Quand les marchés descendent tous en même temps, que les coûts de production se mettent à monter, si tu veux rester dans ta ferme, tu dois te diversifier. Heureusement, Mère nature nous a offert une autre ressource : l’écrevisse. » Depuis trente ans, la cuisine traditionnelle cajun, goûteux mélange de mets français, espagnols et africains, jouit aux Etats-Unis d’une popularité croissante. Le riz est sa composante de base : on le retrouve dans le jambalaya (la paella locale), le gumbo (soupe consistante) ou le boudin, curieuse saucisse de riz et de viande. Mais l’écrevisse en est l’emblème : elle figure sur toutes les pancartes de restaurants, serviette au cou, fourchette à la pince.

« L’histoire dit que les Français ont lancé le commerce des écrevisses, mais ce sont les populations amérindiennes qui leur ont montré comment les pêcher », raconte Ray McClain, responsable des études sur le riz et les écrevisses à la LSU. « On a 35 espèces natives de ce territoire. Mais celle que le marché aime, c’est la red swamp crawfish (l’écrevisse rouge des marais). » Considérée comme espèce invasive en France (Voir encadré), ce crustacé aux grosses pinces rouges demeure dans tous les plans d’eau de la région, et donc dans les champs de riz ! « Quand j’étais gamin, j’avais 6 ou 7 ans, se souvient le fermier Paul Zaunbrecher, mon père nous faisait descendre dans les fossés après la moisson, et on ramassait les écrevisses. » De culture plutôt artisanale dans les années 1970, l’écrevisse assurait aux fermiers un confortable lagniappe, un « petit plus » en cajun, pour boucler l’année dans le vert. A l’heure actuelle, 95 % des écrevisses américaines sont produites en Louisiane, et 70 % de la production est consommée localement : un véritable marché de niche. Entre janvier et juillet, dans la plus grande ville de l’Etat, La Nouvelle-Orléans, comme à Breaux Bridge, chaque festival a son stand d’écrevisses bouillies, chaque gargote a son ragoût. Et comme le dit Paul, « si tu investis dans une tradition, avec des gens et des machines, ça devient un business. »

Du sous-sol à l’assiette

S’adapter à l’écosystème pour travailler avec les aléas des saisons et des marchés, c’est la solution que beaucoup de fermiers de la contrée ont adoptée. « L’écrevisse et le riz se complètent très bien », estime Kelly Hundley, agriculteur retraité. A la tête d’une collection de plus de 2 500 tracteurs miniatures, le bonhomme à casquette montre avec fierté sa langue de terre : la maison de ses grands-parents, qu’il a déplacée de 15 kilomètres, ses tondeuses John Deere, ses silos gigantesques. « Gentil comme tous les gens du sud de la Louisiane », comme il le dit lui-même, le paysan met un point d’honneur à retracer, avec force images, le parcours du crustacé, du sous-sol à l’assiette : « L’année qui suit la moisson du riz, on inonde le champ et les écrevisses se nourrissent des micro-organismes qui accompagnent la putréfaction des tiges de riz. Trois mois après, elles sont bonnes à attraper. Puis, quand vient l’été, celles qui restent retournent sous terre pour hiberner. On ne descend pas avec un mégaphone pour leur dire “ Enterrez-vous ! ”, elles savent. »

Un discours que Paul Zaunbrecher présente autrement : « En ajoutant et retirant de l’eau dans les bassins, on ne fait qu’imiter les inondations naturelles. On ne les nourrit pas, on ne les manipule pas. Les écrevisses que l’on piège, elles sont comme nous, elles sont d’ici. » Même si l’élevage commercial des écrevisses se satisfait des structures existantes, il a imposé bien des aménagements. En plus du matériel, comme les pièges et les bateaux, les fermiers se sont heurtés à un autre type d’ajustement : les traitements phytosanitaires. L’usage des pesticides et herbicides, traditionnellement pulvérisés en quantité par avion dans les champs de riz, a dû être revu et corrigé, car les produits chimiques peuvent rendre impropres à la consommation les écrevisses et détruire les micro-organismes dont elles se nourrissent. « Le centre de recherches de la LSU à Crowley travaille en étroite collaboration avec les producteurs pour faciliter le travail avec les écrevisses, améliorer les rendements et assainir les terres, détaille Steve Linscombe. On travaille par exemple avec le programme Clearfield, un programme sans OGM, qui élabore des semences peu demandeuses en herbicides. »

Pour Tommy comme pour Paul, il a donc fallu s’adapter, même dans le domaine des idées. Car pour lever les pièges, « un travail sale, pas drôle du tout », comme le qualifie Tommy, il faut une main-d’œuvre saisonnière. « Il y a vingt ans, on a essayé de faire travailler des gens d’ici, sans succès. Sans pêcheurs, on a failli tout perdre. On a décidé de travailler avec des Mexicains et ces gens nous ont littéralement sauvés. » Elevés dans ce Sud conservateur, où l’on dit coon (« sale nègre ») comme si de rien n’était, les agriculteurs rencontrés n’ont de cesse de saluer l’afflux de ces travailleurs invités par l’Oncle Sam pour donner un coup de main. Que ce soit pour ramasser les tomates de Californie ou cueillir les pamplemousses de Floride, le visa temporaire agricole « H-2A » est distribué à 30 000 personnes chaque année. Ce document protège les salariés et vise à limiter le recours aux immigrés illégaux : salaire minimum, gîte et couvert sont contractuels. Paul Zaunbrecher, une main sur la tête de Lucy, le labrador du voisin, observe depuis la digue son pêcheur, Armando, faire des allers-retours sur son petit bateau à auvent. La main sur le piège, le pied sur la pédale, le jeune homme peut couvrir des dizaines d’hectares par jour. « Les “ H-2A ” veulent travailler, ils sont volontaires et simples. Ce ne sont pas des profiteurs ou des terroristes, comme on peut l’entendre ici : ils paient des impôts, participent à la croissance. » Tommy Faulk va même jusqu’à parler de travail en famille : « Nous employons dix Mexicains saisonniers. Ce sont des frères, des fils ou des beaux-frères de deux familles venant de Los Mochis, près du Pacifique. Ils étaient vigiles, paysans ou maçons et ils reviennent chaque année. »

Difficile relève

Malgré la force de ces Latinos qui saisissent leur part de rêve américain, les fermiers de l’Acadie s’inquiètent de la relève, qui est loin d’être assurée. Les fils – on ne parle jamais des filles – partent à Lafayette ou à Baton Rouge pour leurs études, et reviennent de moins en moins. « C’est effrayant d’être fermier, lance Kelly Hundley en triturant une écrevisse en plastique. Tu te bats contre la météo et contre les prix. Et puis, si un petit jeune sans terre veut se lancer, c’est un cauchemar… sauf s’il peut épouser une fille d’agriculteur. » Pour Paul Zaunbrecher, passé par des études de finance, tout est histoire de choix de vie : « On a grandi en travaillant dur et en apprenant des aînés. C’est comme ça qu’on s’est tenus debout. Nos fils, on les encourage à faire autre chose aujourd’hui : la ferme, ça a été une belle vie de travail en famille, mais ça a été une vie difficile… Mais s’ils aiment les champs, alors peu importe, ils reviendront. » —

En France, plus on est de fous, moins il y a de riz

En Camargue, 230 agriculteurs cultivent le riz sur 20 000 hectares. Pourtant, selon Bertrand Mazel, président du Syndicat des riziculteurs de France et filières, 7 000 hectares seront sacrifiés en 2014 : « C’est la crise : la France a abandonné la riziculture. » Plus de 2 000 emplois seraient sur la sellette, selon lui. Et le salut ne viendra pas des écrevisses. Si les petites françaises ne se plaisent que dans les rivières et ruisseaux, les crawfish américaines sont la cible des autorités. L’écrevisse de Louisiane est en Camargue considérée comme une espèce exotique endémique. —

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Journaliste indépendante de 29 ans, Anne-Laure a toujours aimé découvrir ce qui se cache derrière les murs et les visages, inconnus surtout. Des tréfonds du bocage vendéen aux abords du Mississippi en passant par les bordels de Catalogne, en Espagne, elle a écouté ces histoires particulières qui forment la grande Histoire. Après trois ans passés au magazine Causette, elle s’est lancée dans le vaste monde de la pige, les idées en pagaille et l’enthousiasme à la plume.

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  • Il me semble que le terme d’espèce exotique endémique est une oxymore en écologie scientifique. Sauf erreur de ma part, on parle d’espèce exotique envahissante pour les espèces non-endémiques introduites par l’homme dans des milieux allochtones, et c’est le cas de l’écrevisse de Louisiane en Europe, qui occupe la niche écologique de sa cousine autochtone l’écrevisse à patte blanche.

    5.10 à 01h58 - Répondre - Alerter
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