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29-12-2015
Mots clés
Urbanisme
Bois-forêts
Russie
Portrait

Evguenia Tchirikova, l’appel de la forêt

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Evguenia Tchirikova, l'appel de la forêt
(Crédit photo : Artur Sadowski pour « Terra eco »)
 
En Russie, cette trentenaire s’est battue, en vain, pour qu’une forêt ne soit pas détruite. Malmenée, parfois arrêtée, elle a su fédérer et devenir l’icône d’un mouvement citoyen.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Elle se dresse contre des bulldozers et accroche des icônes aux arbres. L’ange gardien des forêts moscovites, Evguenia Tchirikova, vit aujourd’hui à Tallinn, en Estonie. Coupe à la garçonne, yeux clairs et pétillants, rayonnante dans son pull en laine, la trentenaire ouvre la porte de son modeste appartement. Un chien grogne, montre les dents. « Je l’ai trouvé dans les bois il y a deux ans, abandonné », s’excuse sa maîtresse avant de le caresser. La jeune femme dissimule derrière un doux visage arrondi une détermination féroce – « comme un poisson infatigable prêt à vous attaquer si vous empiétez sur son territoire », avoue-t-elle dans sa cuisine, en concoctant un mélange de baies fraîches et de miel local. Sa terre à elle, c’est Khimki. Avec son mari, elle choisit en 1998 de s’installer dans ce poumon vert au nord de Moscou (Russie) : 1 000 hectares de bouleaux et de chênes centenaires pour mieux respirer après les semaines de travail stressantes et fonder une famille dans un endroit moins pollué que le centre. Un matin de 2007, enceinte de sa deuxième fille, Evguenia Tchirikova se promène. Des arbres sont marqués d’une croix rouge. Inquiète, elle appelle la mairie. Les autorités ont décidé de construire en plein milieu de la forêt un tronçon de l’autoroute qui reliera Moscou à Saint-Pétersbourg, sans consulter les habitants. La jeune femme s’engage par intuition. « Je veux que mes enfants puissent se promener plus tard dans la même forêt que moi, explique-t-elle. Je compare cet acte à celui de mon grand-père qui a défendu son village lors de la Seconde Guerre mondiale : tu protèges ta petite patrie, ce qui t’est cher, ta terre. » Rien ne prédestinait cette ingénieure en congé de maternité à devenir l’icône du mouvement écologique le plus mobilisateur de Russie : des parents « très soviétiques » – obéissants aux autorités –, aucun intérêt pour la politique, une petite entreprise de conseil en ingénierie électrique montée avec son mari… Mais Evguenia Tchirikova est aussi ambitieuse que courageuse. « C’est une femme dédiée à l’intérêt général : elle est mue par une grande foi dans ses compétences et sa capacité à déplacer des montagnes », souligne William Bourdon, avocat et défenseur des droits de l’homme, qui a collaboré avec elle. Un spécimen rare selon lui. Armée de ses trois diplômes – d’ingénierie, d’économie et de management –, Evguenia Tchirikova gère sa nouvelle passion comme un business. Sauf que celui-ci ne lui rapporte pas d’argent, il la rend seulement « plus heureuse ». « La vie est courte et j’ai toujours fait ce qui m’intéressait, souligne-t-elle. Je voulais un travail qui ait un sens. »

Rage et désespoir

La novice en activisme, soutenue par son mari, démarche les autorités, colle des affiches, reçoit des appels, contacte des journalistes, étudie les moyens d’action utilisés par des écologistes à l’étranger. Elle réussit à prouver que le projet viole la législation forestière. « La réponse à mon dossier détaillé fut très courte : tout est légal parce que Vladimir Poutine (actuel président de la Russie, ndlr) l’a décidé », raconte-t-elle encore abasourdie. Peu à peu, les habitants sont informés, une équipe se met en place. La militante à la poussette organise des manifestations, les participants sont parfois battus par la police ou arrêtés. Un journaliste local, Mikhaïl Beketov, met au jour un schéma de corruption, au niveau de la mairie, du gouverneur et peut-être même plus haut, derrière le contrat d’1,6 milliard d’euros avec le concessionnaire, Vinci. A la suite de ses articles, il est violemment agressé par des inconnus en novembre 2008 : il restera lourdement handicapé, amputé d’une jambe, de plusieurs doigts et incapable d’écrire ou de parler, jusqu’à son décès en 2013.

Traumatisme pour les militants, le passage à tabac attire l’attention des médias internationaux. Evguenia Tchirikova n’abandonne pas, au contraire. « Energique », « gentille », « gaie » : sa complice et amie Alla Tchernycheva ne tarit pas d’éloges – ses qualités fédèrent. Le mouvement « Pour la défense de la forêt de Khimki » récolte plus de 50 000 signatures. « Les gens ont compris que l’écologie était un combat essentiel », assure l’activiste. Sous la pression, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et la Banque européenne d’investissement se retirent du projet. Dmitri Medvedev, alors président, décrète sa suspension en août 2010. Une victoire de courte durée : les travaux reprennent l’année suivante, sur le même tracé. « Nous avions pourtant élaboré avec des experts onze alternatives, moins coûteuses et avec moins d’impact sur l’environnement », se désole la militante. Un campement tente d’empêcher le passage des bulldozers, en vain. Il rassemble 3 000 personnes, un record à l’époque pour un mouvement issu de la société civile, en dépit du danger. Tous les opposants sont là, dont Boris Nemtsov – assassiné en février 2015 – ou encore Alexeï Navalny, ainsi que des écrivains, des artistes, et même la Fédération des automobilistes de Russie, soutien incongru. Evguenia Tchirikova dérange. Sévèrement malmenée, parfois arrêtée lors de ses actions, elle manque de perdre pied lorsque les services sociaux menacent de lui arracher ses filles. L’obstinée poste sa rage et son désespoir sur Internet. Les calomniateurs reçoivent tellement d’appels de citoyens scandalisés par ces méthodes que la procédure est abandonnée. « Encore petites, mes filles ont été marquées, je les ai emmenées consulter un psychologue, raconte-t-elle. Après cet épisode, j’ai décidé de changer de tactique. Il fallait aller encore plus loin et se battre contre la corruption. C’est comme pour les terroristes : si l’on baisse les bras, ils continueront avec les prochains. » La protectrice de la forêt de Khimki – où la section d’autoroute a finalement été inaugurée en 2014 – devient l’une des figures des grandes manifestations anti-Poutine après les fraudes électorales de l’hiver 2011-2012. Et elle dépose en juin 2013 une plainte en France contre Vinci, et contre X, avec des associations européennes et russes. Celles-ci décideront en 2016 de se constituer ou non partie civile, l’enquête préliminaire est encore en cours.

« L’espionne » souvent traînée dans la boue

Tous ces combats n’ont pas entamé la joie de vivre de « l’espionne » souvent traînée dans la boue. Ils lui ont même valu le prestigieux prix Goldman pour l’environnement en 2012 : « Pour la première fois, je me suis sentie une héroïne », confie Evguenia Tchirikova dans un rire communicatif. Elle continue la lutte depuis sa ville d’adoption, Tallinn. Son mari a légué leur entreprise aux salariés – de plus en plus difficile à gérer avec l’image d’« extrémiste » de sa moitié – et trouvé un poste en avril 2015 dans l’ONG 350.org, qui se bat pour le désinvestissement dans les énergies fossiles. « Ici, je suis plus efficace car moins vulnérable, affirme celle qui a vu plusieurs de ses amis jetés en prison ou menacés ces derniers temps. Aussi, je ne veux plus payer d’impôts qui servent à faire la guerre en Ukraine. » Un exil de deux ans pour le moment, avec l’espoir de retourner vivre un jour dans son pays. La militante chevronnée reçoit des citoyens engagés de toute la Russie, pour leur prodiguer des conseils et leur prêter sa voix, via son site Internet Activatica.org. Cette mauvaise publicité suffit parfois à éviter des désastres écologiques. « La Russie est un grand pays, au potentiel énorme, conclut Evguenia Tchirikova. Des militants me contactent tous les jours. Même si personne n’en parle, les mouvements citoyens se multiplient. » Optimiste, comme toujours.

1976 Naissance à Moscou, en Russie

2007 Débute son combat pour conserver la forêt de Khimki

2012 Obtient le prix Goldman pour l’environnement

Avril 2015 S’installe en Estonie

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Jeanne a voyagé de Saint-Pétersbourg à Irkoutsk, avant de partir vivre à Moscou comme nounou pour enfants de milliardaires. Une expérience enrichissante… qui n’était qu’une parenthèse dans sa vie de journaliste et qu’elle décrit, sous le pseudo de Marie Freyssac, dans un livre socio-anecdotique, Ma vie chez les milliardaires russes (Stock, 2013). Diplômée de l’école de journalisme de Strasbourg, elle a travaillé pour la presse spécialisée, oscillant entre microéconomie et développement durable. Ses plaisirs : partager un verre de vodka piment-miel et flâner dans le parc Gorki.

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