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29-12-2015
Mots clés
Eau
Pollution
Amérique Latine
Portrait

Nélida Ayay Chilón, au nom de l’eau mère

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Nélida Ayay Chilón, au nom de l'eau mère
(Crédit photo : DR)
 
Au Pérou, cette jeune étudiante en droit se bat depuis plusieurs années contre une mine d’or qui a asséché les environs de son village. Elle est aujourd’hui l’héroïne d’un film.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Prolongeant une vallée verdoyante embaumée d’eucalyptus, les champs de pommes de terre et de maïs de Porcón Bajo s’étendent sur les flancs de la colline. Au loin apparaît le mont Quilish, dominant un territoire qui semble sien. Aux yeux des habitants de cette région des Andes, au Pérou, ce mont est sacré. « C’est lui qui nous donne de l’eau ainsi qu’à la ville de Cajamarca », précise Nélida Ayay Chilón, jeune femme de Porcón Bajo enveloppée dans un poncho pour lutter contre le froid de ce village situé à plus de 3 400 mètres d’altitude. Fille aînée d’un couple d’agriculteurs, Nélida Ayay Chilón, aujourd’hui âgée de 31 ans, était encore au collège quand elle a défendu pour la première fois le mont Quilish contre les menaces de Yanacocha. Ce géant minier s’est installé en 1992 à Cajamarca, région du nord du Pérou connue pour les richesses de son sous-sol. Aujourd’hui, Yanacocha est la plus grande mine d’or à ciel ouvert d’Amérique latine. « Toutes nos montagnes ont disparu avec la mine, seul reste le Quilish », constate Nélida Ayay Chilón qui, en 2004, faisait partie du mouvement ayant exigé que la compagnie respecte l’intangibilité du mont sacré. Pour la première fois, la mine avait reculé et s’était engagée à ne pas exploiter ce lieu. Depuis, elle a respecté ses promesses mais l’eau se fait de plus en plus rare à Porcón Bajo.

« Ils disent que c’est à cause du changement climatique mais c’est la mine qui dévie les eaux de la montagne », affirme Nélida Ayay Chilón. La jeune femme ne comprend toujours pas pourquoi, en 2012, la justice péruvienne a décidé de classer sans suite la plainte des habitants du village accusant Yanacocha d’être à l’origine de la disparition de deux cours d’eau. « Le juge a dit qu’il n’y avait pas assez de preuves… C’est injuste », souffle-t-elle. Menue et de petite taille, Nélida Ayay Chilón est de ces orateurs qui imposent le respect dès qu’ils prennent la parole. « Les gens m’écoutent », reconnaît celle qui, depuis l’âge de 18 ans, représente son père aux réunions municipales. Il y a cinq ans, elle a quitté son village pour rejoindre Cajamarca afin d’étudier le droit. « Je voulais comprendre comment fonctionnent les lois », raconte-t-elle. Une décision prise à contrecœur. « C’est à la campagne que je suis heureuse », confie l’étudiante aux longs cheveux noirs parfaitement tressés, qui pour rien au monde ne renoncerait à porter ses jupons de laine superposés comme le font les femmes de sa communauté. A l’époque, elle voit cependant dans le métier d’avocat le meilleur moyen de défendre les siens et la « Yakumama », « l’eau mère » en quechua – la langue des Incas toujours parlée dans de nombreux villages andins. Pour elle, les ressources naturelles sont « des êtres vivants ». Une « cosmovision » (1) qui a immédiatement séduit les membres de la maison de production Guarango. « La façon dont elle s’adresse à l’eau a quelque chose de poétique », estime le réalisateur Ernesto Cabellos Damián, qui a fait de Nélida Ayay Chilón le personnage principal de son documentaire Hija de la laguna, (« Fille du lac »).

Son attitude dérange

Diffusé à la fin de l’année 2015, le film a propulsé la Péruvienne, presque malgré elle, en emblème de la lutte pour la sauvegarde de l’eau contre l’industrie « extractiviste ». Un intérêt que l’étudiante a du mal à comprendre. « Je ne suis qu’une simple paysanne inquiète pour ses terres, comme toutes les femmes d’ici », tente-t-elle de minimiser. En vain. Toutes ne combattent pas la mine, l’accusant d’affecter l’ensemble de l’écosystème. « Je n’ai pas décidé d’être contre Yanacocha, c’est juste qu’ils n’ont jamais répondu à mes préoccupations sur l’état de nos lagunes », précise Nélida Ayay Chilón, consciente que son attitude dérange ceux qui voient dans la mine l’unique moyen de développer une des régions les plus pauvres du pays. Car à Cajamarca, la question minière divise. Mais les critiques à son égard n’ont pas empêché la jeune femme de protester, en 2011, contre Conga, un méga projet minier du groupe Newmont – propriétaire de Yanacocha –, qui prévoyait d’exploiter à ciel ouvert une immense zone à 4 000 mètres d’altitude et de remplacer plusieurs lacs par des réservoirs. Un combat qui l’a menée en 2012 jusqu’à Lima, la capitale, pour participer à la Marche nationale pour l’eau. « Oui à l’eau, non à l’or », ont alors crié les anti-Conga qui ont fini par avoir gain de cause. Face à la pression populaire, le Président Ollanta Humala a ordonné la suspension du projet. Cette victoire a toutefois coûté cher à Nélida Ayay Chilón. « Mon père est un jour rentré à la maison en disant qu’on l’avait licencié par ma faute », raconte-t-elle, les yeux rougis. Salarié de Yanacocha pendant des années, son père a été remercié peu après la manifestation. Des membres de la mine lui auraient alors laissé entendre que la présence de sa fille parmi les opposants à Conga aurait motivé son licenciement. Vrai ou faux, le mal était fait.

Pendant des mois, la militante n’a pu se rendre à Porcón Bajo. « C’était comme perdre une partie de moi », se souvient-elle en baissant la voix. Aujourd’hui, elle s’est réconciliée avec ses parents mais reste l’objet d’attaques de certains oncles, convaincus qu’elle est la raison pour laquelle ils ne trouvent pas de travail. « Il faut les comprendre, ici la mine est la seule qui emploie les gens », excuse Nélida Ayay Chilón, en rage contre les gouvernements successifs qui ont abandonné le secteur agricole, qui ne représente plus que 12 % du PIB de la région en 2013, contre 36 % pour le secteur minier. A Cajamarca, beaucoup ont délaissé leurs champs n’assurant pas de revenus fixes et cherchent à travailler pour la mine qui offre davantage. Alors qu’un ouvrier minier gagne entre 350 et 440 euros par mois – soit entre 11,6 et 14,6 euros par jour –, un travailleur perçoit dans les champs ou dans la construction rarement plus de 7 euros par jour.

« Nous avons peur pour elle »

Dans ce contexte tendu, la famille de Nélida Ayay Chilón avoue être inquiète depuis la sortie du documentaire. « Nous avons peur pour elle », confesse sa sœur. « Je crains qu’il lui arrive quelque chose », reconnaît aussi son conjoint, dont elle préfère que l’on taise le nom. Ont-ils reçu des menaces ? Aucune directement, selon le jeune homme. Son commerce a toutefois perdu des clients lui ayant reproché l’attitude « anti-mine » de sa concubine. Une perte cruciale pour un couple aux faibles revenus. « Peu importe, conclut le trentenaire. Nélida est courageuse et je suis fier d’elle. » Stagiaire à Grufides, une ONG connue pour défendre des paysans face à Yanacocha, la jeune femme est proche de terminer ses études mais n’est plus sûre de vouloir exercer. Elle rêve parfois de tout abandonner. « Nélida préférerait être dans ses champs mais elle sait qu’elle doit continuer pour défendre les siens », souligne Mirtha Vasquez Chuquilin, membre et avocate de Grufides. « Elle sera bientôt la première femme de sa communauté diplômée de l’université », se réjouit Marco Arana, ancien prêtre désormais à la tête d’un parti écologiste qui a beaucoup guidé Nélida. Pour ce faire, il lui reste à finir sa thèse. Son sujet ? « Disparition et pollution des sources d’eau à Cajamarca », sourit-elle. —

(1) Terme utilisé par les tribus indigènes, autrement dit « vision du monde ».

1984 Naissance à Porcón Bajo, au Pérou

1992 Installation de la mine de Yanacocha

2012 Participe à la Marche nationale pour l’eau à Lima

Septembre 2015 Sortie de Hija de la laguna au Pérou. Diffusion en France, dans des festivals, dès la fin de l’année 2015.

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  • Quelle histoire. L’homme a le chic pour détruire la terre qui le porte et la fait grandir. Il faut garder la foi malgré tout et l’oeil du tigre iciet là pour préserver notre bien-être dans certaines contrées reculées qui en terme humain n’ont rien a envier aux occidentaux. La ruée vers l’or et les métaux précieux pour faire des bijoux ou s’enrichir est destructeur car on crée de la richesse en appauvrissant ce que nous avons de plus cher.

    8.06 à 05h41 - Répondre - Alerter
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