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Regards croisés sur la fiscalité environnementale : doit-elle remplacer les taxes sur le travail ? (3/3)

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Regards croisés sur la fiscalité environnementale : doit-elle remplacer les taxes sur le travail ? (3/3)
(Illustration : Wozniak)
 
Fin mai, « Terra eco » publiait un entretien avec l'économiste Jacques Weber sur la biodiversité. Il a suscité de nombreuses réactions dont celle de Rodrigue Coutouly, passionné par la fiscalité de l'environnement. Les deux hommes ont échangé. Voici le résultat.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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La taxation écologique peut-elle entraîner l’abolition des taxes sur le travail ?

Rodrigue Coutouly : Cela « suppose le basculement des régulations, le remplacement de tout ou partie des taxes et charges pesant sur les salaires et sur l’outil de travail ». Cette vision est erronée et naïve : en plein débat sur les retraites, cela supposerait, par exemple, que l’on finance les futures retraites par une taxation sur l’essence ou la pêche. Cette organisation de la confusion des genres entraînerait tellement d’effets pervers qu’il n’est pas difficile de comprendre que cette idée n’a aucun avenir : elle supposerait que nos retraites dépendent… de la consommation de pétrole ! Il faut, au contraire, revendiquer l’idée que la taxation écologique est un nouvel étage de politiques publiques, qui le rend certes, plus complexe. Mais mélanger problèmes écologiques et sociaux serait passer du complexe au compliqué. Il faut éviter le « basculement des régulations », accepter l’idée que la régulation environnementale se suffit à elle-même, possède sa propre logique qu’il faut intégrer.

Jacques Weber : Vous dites que l’abolition des taxes sur le travail est « naïve et erronée ». Je comprends et admets la critique d’un raisonnement, mais m’étonne de tels qualificatifs. Je ne crois pas avancer à coups d’arguments, mais de raisonnements, et sauf à ce que vous me disiez où le raisonnement est faux, je le maintiendrai.

« Croire que la taxation écologique va entraîner l’abolition des taxes sur le travail » est erroné et naïf , dites-vous. Je ne « crois » pas. Il me semble que c’est vous, ici, qui avez une approche quasi religieuse des liens entre travail, Sécurité sociale et retraites. Et l’argument d’effet pervers n’est guère acceptable, quand il n’est pas explicité. En quoi cela vous gênerait-il que votre retraite soit liée, non à telle ou telle consommation de ressource comme vous le dites (« pétrole », « pêche ») mais à l’ensemble des consommations de nature ? Il se trouve que le travail, en situation mondialisée des économies, tend à jouer de l’accordéon, ce qui n’est pas le cas des consommations de nature : le financement par les consommations de nature aurait une stabilité plus grande que par le travail. Elle ne restreindrait pas l’assujettissement aux seuls travailleurs mais bien à l’ensemble des activités.

Vous dites vous-même que la « naïveté » tient à ce que le travail finance la Sécurité sociale et les retraites. Pensez-vous vraiment que l’année où je dois prendre ma retraite, et après quarante ans de métier, cela m’ait échappé ? Je pose seulement la question de savoir s’il est inéluctable que travail, Sécurité sociale et retraite soient indissolublement liés. Oui pour vous. Non nécessairement pour moi. La sécurisation du financement me semble être la question pertinente, et non celle de son lien avec le revenu du travail.

Plus important encore, la déconnexion du travail et du financement de la Sécurité sociale et des retraites, ramènerait les salaires à la productivité du travail, qui est en France l’une des – sinon la – meilleures au monde. Elle rendrait le travail bien moins cher et les autres facteurs de production, notamment matières premières et énergie, bien plus coûteux. Elle encouragerait donc le retour de l’emploi. Bien sûr, il est impossible de substituer d’un jour à l’autre les charges sur le travail par des taxes sur les consommations de nature. Mais en faire l’hypothèse est-il naïf ou erroné ? Ne confondez-vous pas raisonnement aux extrêmes et faisabilité dans l’instant, état d’arrivée et transition ?

Rodrigue Coutouly : La majorité des observateurs qui s’intéressent à cette question et défendent la mise en place d’une fiscalité environnementale vivent dans leur époque. Or, l’époque est absolument rétive à l’impôt, conçu comme une privation de liberté et une contrainte. De plus, on craint toujours qu’une taxation diminue la compétitivité d’une économie. La seule façon pour ces promoteurs d’une fiscalité verte d’être conformes à leur époque semble être de proposer des taxes substitutives, qui en remplaceraient d’autres.

Ce choix d’une fiscalité substitutive hypothèque, à mon avis, tout espoir de voir émerger une fiscalité environnementale efficace. En effet, substituer suppose de reconsidérer le système fiscal dans son ensemble et de trouver un nouvel équilibre à la fois financier et social, un nouveau contrat social en somme, ce qui semble bien difficile.

En effet, je suis d’accord avec vous : « La sécurisation du financement me semble être la question pertinente. » Or, cette sécurisation peut-elle être assurée si l’on taxe les consommations de nature ? Comme vous le dites si bien, tout dépend quand on se situe dans le processus : dans une période transitoire ou dans une situation stabilisée d’économie décarbonée, auquel nous aspirons tous les deux ?

Prenons la phase transitoire, la plus immédiate. L’instauration d’un lien entre les consommations de nature et les recettes permettant de financer le chômage, les retraites et la Sécurité sociale va créer un lien entre elles, une dépendance des secondes envers les premières. Il faudra donc bien maintenir ces consommations de nature si on veut financer notre système social. La sécurisation de ce financement ne sera donc en fait jamais assurée. Nos retraites dépendraient alors de la continuation de notre consommation de pétrole et autres produits issus de la nature. On mesure ainsi l’effet pervers. On le connaît déjà pour les taxes sur les cigarettes ou, de manière plus dangereuse pour la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers).

Cette (fausse) taxe carbone est devenue si importante pour le budget de l’Etat que celui-ci n’a aucun intérêt à diminuer la consommation d’essence ! D’autre part, ce choix déconnecterait, à terme, les charges sociales du principe de solidarité nationale. Tout le pacte sur lequel se fonde le ciment européen serait remis en cause.

C’est pourquoi je suis partisan d’une étroite spécialisation des contributions environnementales : une taxe sur l’essence doit servir à financer une organisation du transport décarbonée, limitant la voiture individuelle. Une contribution sur les surconsommations en énergie des logements doit voir son produit utilisé pour investir dans l’isolation des logements. Ce choix me semble plus cohérent, simple à mettre en place et plus facilement régulable qu’un système complexe mêlant cotisations sociales et taxes écologiques.


Lire la suite des échanges entre Jacques Weber et Rodrigue Coutouly :
- Fiscalité environnementale : doit-elle être élevée ?
- Fiscalité environnementale : doit-elle être mondiale


Jacques WEBER est chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Il est aussi membre du comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot et vice-président de l’association « Les petits débrouillards ». Présent au comité scientifique de Natures Sciences Sociétés, de l’International Journal of Sustainable Development, du Journal of Sustainable Agriculture et de Population and Environment.

Rodrigue COUTOULY est agrégé d’histoire-géographie, principal de collège, formateur d’enseignants et de personnels d’encadrement depuis de nombreuses années. Il s’intéresse depuis longtemps aux problèmes environnementaux. En effet, il a d’abord été technicien-forestier, dans le privé puis à l’Office national des forêts, avant de reprendre des études de géographie et d’urbanisme. Il s’est longtemps intéressé aux problèmes de désertification au Sahel, région du monde où il a travaillé. Il est l’auteur de deux blogs :
- Fiscalité environnementale
- Innovation politique écologie

Sources de cet article

- (Re)lire l’entretien de Jacques Weber sur « Terra eco » : Jacques Weber : « Il faut taxer toutes les consommations de nature »

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Principal de collège, agrégé d’histoire-géographie, j’ai été, dans une autre vie, technicien forestier à l’Office national des forêts et j’ai travaillé en Afrique sahélienne.

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