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3-07-2008
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Tourisme
Développement Durable
Monde

Tourisme de masse : stop ou encore ?

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Partir en vacances, c’est faire (un peu) chauffer la planète. Acteur et victime du changement climatique, le tourisme est plombé par la fin du pétrole bon marché. Le secteur va devoir alléger ses valises.
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Baie de Strahan en Australie (gerd ludwig / cosmos)

Voir la banquise et mourir… Avant que les glaces de l’Arctique ne fondent complètement, les touristes affluent au pôle Nord : ils étaient 1,5 million l’an dernier contre 1 million au début des années 1990. Cet exemple éclaire d’une lumière boréale les dilemmes du tourisme, à la fois victime du changement climatique et responsable de l’effet de serre. L’Organisation mondiale du tourisme (OMT), une agence des Nations unies, en convient elle-même depuis son sommet de Davos en octobre 2007. Son mea culpa a jeté un froid.

Des destinations sont d’ores et déjà menacées – certaines stations de ski par le manque d’enneigement, quelques îles paradisiaques par la montée des eaux – et elles le doivent en partie à la croissance phénoménale de l’activité touristique mondiale. L’an dernier, 898 millions de touristes ont sillonné la planète. Un record : on n’en comptait que 166 millions en 1970. Du coup la note est salée. Le secteur du tourisme génère, selon l’OMT, 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Les trois quarts d’entre elles sont dues aux transports – 40 % pour la seule aviation. Les chiffres donnent le vertige. En 2007, 2 milliards de vols ont été recensés, en hausse de 7 %.

La fin du « bougisme »

Pas de temps à perdre donc, si vous voulez avoir une chance d’apercevoir les neiges du Kilimandjaro. Les rejets de GES provoqués par le tourisme pourraient augmenter de 150 % dans les trente prochaines années. Et les transhumances estivales n’en sont qu’à leurs débuts. Entre les départs à la retraite des babyboomers dans les pays développés et l’émergence de classes fortunées au Sud, ce sont 1,6 milliard de voyageurs qui devraient être sur les routes en 2020. Cette prévision n’est tout simplement pas « raisonnable  » aux yeux du géographe Jean-Pierre Lozato- Giotart [1] : « Deux fois plus de touristes, cela signifie doubler ou tripler le nombre d’avions, de bateaux et de voitures. Utiliser le pétrole prioritairement pour les transports ne va-t-il pas provoquer des pénuries d’énergie  ? Et les gens pourront-ils suivre les inévitables hausses de prix ? »

Evoquer un terminus pour le tourisme de masse semble néanmoins paradoxal à l’heure du « low cost » (vols, hôtels, forfaits…), des séjours au bout du monde et du décollage du tourisme spatial. Que nenni. D’après plusieurs chercheurs et responsables du secteur, comme Yves Godeau, président d’Agir pour un tourisme responsable (ATR), nous sommes simplement en fin de cycle. Juste avant que le pétrole cher et le changement climatique ne signent l’arrêt de mort d’une « certaine façon de faire du tourisme », celle de l’hypermobilité, du « bougisme  » né avec les Trente Glorieuses.

Le nombre de vacanciers a en effet doublé en France entre 1964 et 2004, passant de 20 à plus de 40 millions, d’après une note récente du ministère de l’Ecologie, qui relève surtout un changement des comportements. Les touristes prennent de plus en plus la poudre d’escampette. Plus souvent, de moins en moins longtemps et de plus en plus loin. En quarante ans, la durée moyenne d’un séjour est passée de 20 à 12 jours, la part des vacances à l’étranger est passée de 12 % à 19 % et le nombre annuel de séjours par vacancier est passé d’une moyenne de 1,5 à 2,2 actuellement. Pour Ghislain Dubois, du cabinet Tourisme Environnement Conseil (TEC), le secteur doit inverser cette tendance s’il veut limiter son impact et ne pas scier la branche sur laquelle il est assis : « 100 touristes qui passent trois semaines au Sénégal, c’est autant de retombées pour le pays que 300 touristes passant une semaine chacun, et c’est trois fois moins de trafic aérien. »

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Ascension du glacier Perito Moreno (Argentine) - Nicolas goldberg / panos-rea

Evidemment, de tels itinéraires bis pour le tourisme ne sont pas disponibles sur le site de géolocalisation Mappy, ni conseillés par les gros voyagistes. Voici trois raisons de penser que ceux-ci vont rapidement devoir négocier un virage en épingle.

1/ Des touristes sans le sou Passer à la caisse pour mettre les voiles en décourage plus d’un. Avec un pouvoir d’achat au point mort et un prix du pétrole qui a doublé en un an, le taux de départ en vacances des Français a baissé l’an dernier pour la cinquième année consécutive, selon le baromètre de l’agence de voyages Opodo. En 2007, 59,7 % seulement sont partis en long ou court séjour marchand, contre 64 % en 2003, soit 1,6 million de personnes de moins. Le recul est même de 14 % pour les ménages gagnant moins de 1600 euros par mois. Sur les 30,6 millions de Français partis l’an dernier, 32 % seulement ont opté pour un séjour à l’étranger, un taux qui stagne depuis cinq ans. Et 1 Français sur 4 ne part jamais en vacances. « La baisse des départs est un phénomène inquiétant pour l’industrie du tourisme, qui n’a pas pu être enrayé malgré l’essor des offres “ low cost ” ou des séjours à budget tout compris », analysait, le 11 mars, Petra Friedmann, la directrice générale d’Opodo France.

Est-ce au moins une bonne nouvelle pour l’environnement  ? Pas vraiment. Aujourd’hui en France, 5 % des touristes contribuent à eux seuls à 50 % des émissions de GES dues aux déplacements touristiques. Ce sont les plus riches, qui prennent souvent l’avion et n’échangeraient pour rien au monde trois jours à San Francisco contre un mois à Palavas-les-Flots, et pas les « pauvres dégueulasses qui polluent », comme l’affirmait récemment la pub d’une agence de location de voitures. Donc, les Français partent… en France. Et les étrangers aussi : notre beau pays est la première destination touristique mondiale. Il accueille volontiers des Belges, des Italiens, des Allemands (tous en short). Nos visiteurs étrangers sont européens dans leur écrasante majorité – l’essentiel des flux touristiques mondiaux se réalise d’ailleurs entre pays du Vieux Continent. A l’avenir, l’OMT mise plutôt sur les ressortissants du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine, ceux qu’on appelle les « BRIC ».

Sous les BRIC la plage ? Une réforme récente du gouvernement de Pékin impose aux Chinois de ne pas prendre leurs trois semaines de congé en bloc et d’opter pour des courts séjours. Voilà qui devrait faire rire jaune ceux qui prédisaient l’afflux de touristes venus de l’empire du Milieu.

2/ Des bagages englués dans l’or noir Certes, la Chine prévoit de construire 97 nouveaux aéroports d’ici à 2020. Mais seront-ils utilisés ? Certains annoncent volontiers un film catastrophe, du genre « Y a t-il un passager dans l’avion ? ». Economiste à l’université de New York, Michael Levine prédisait, le 5 juin 2007, un effet boomerang pour les compagnies aériennes. Leur rentabilité allait être mise à mal par « l’inflation inévitable du prix du carburant en raison des réserves limitées du pétrole ». Eh bien, nous y sommes. Le 2 juin, l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui représente plus de 240 compagnies et 94 % du trafic international régulier, a évoqué une perte de 2,3 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros) pour le secteur cette année, peut-être de 6 milliards de dollars si le baril se maintient au-dessus des 130 dollars. En avril, l’IATA prévoyait pourtant encore 4,5 milliards de dollars de profit !

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Au Blue lagon, station thermale au sud-ouest de l’Islande pablo cabado / agence VU

Aujourd’hui, le crash guette nombre de compagnies, car le kérosène, pourtant non taxé, compte pour 30 % à 40 % des coûts. Toutes les entreprises américaines naviguent dans le rouge et certaines, comme Frontier ou Skybus, ont déjà déposé les armes. En Europe, les taux d’occupation chez Ryanair ou British Airways sont en baisse. Tandis que les bénéfices de Air France- KLM piquent du nez, Alitalia est au bord de la banqueroute et le directeur général d’EasyJet France, François Bacchetta, prédit une hécatombe : « Actuellement, nous sommes une cinquantaine de “ low cost ” sur le marché européen, c’est absurde. Dans quelques années, nous ne serons plus que trois ou quatre compagnies de ce type en Europe. » Car contrairement à Air France-KLM, l’un des leaders mondiaux, les compagnies « low cost » préfèrent limiter les quotas de places à bas prix ou faire payer pour les bagages plutôt que taxer les voyageurs au gré des fluctuations du pétrole. « Depuis 2004, nous avons dû répercuter dans nos tarifs 17 augmentations de surcharge carburant imposées par Air France sur le prix de ses billets, fulmine Jürgen Bachmann, secrétaire général du Ceto, l’association des tour-opérateurs français qui représente 90 sociétés et 7 millions de voyages par an.

Ces hausses de prix peuvent représenter jusqu’à 200 euros pour un vol long courrier. » Au Ceto comme chez d’autres voyagistes (Kuoni, Thomas Cook), et même chez Air France, on affirme toutefois que les tarifs du transport n’ont pas encore eu d’incidences sur leurs ventes. Les flux se tournent tout au plus vers des destinations moins lointaines et moins onéreuses, comme la Tunisie. Mais si les gros tour-opérateurs peuvent compenser en rognant sur les prestations offertes en sus du transport, d’autres accusent le coup. « J’ai enregistré 30 désistements en raison des augmentations de prix de billets, ou des annulations de vol, contre 25 départs », note Caroline Debonnaire, de la société de voyages solidaires Vision éthique (lire aussi page 33). Mais au-delà de la « niche » du tourisme équitable, l’ensemble de l’industrie commence à tirer la langue. Selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme, la croissance devrait être de 3 % cette année – soit 5,270 milliards d’euros –, au lieu des 4,6 % envisagés.

3/ Des avions en sursis ? « Nous préparons des cargos à éoliennes pour transporter un milliard de voyageurs », ironise Laurent Dupé, directeur du marketing de Thomas Cook, le 3e voyagiste mondial, lorsqu’on lui demande si des alternatives à l’avion sont envisagées. « Tout autre moyen de transport que l’aérien est inconcevable pour des familles qui n’ont qu’une dizaine de jours de congés et font plus de 1 000 kilomètres », répond Jürgen Bachmann, du Ceto. A moins que des clients pas découragés par le piratage du Ponant au large de la Somalie s’entichent de voyages en troismâts, l’industrie du tourisme ne se pliera pas en quatre pour les faire partir au Maghreb en bateau ou en Croatie par chemin de fer. Les principaux tour-opérateurs se contentent de proposer à leurs clients de compenser leurs émissions de carbone et renvoient la balle dans le camp des transporteurs pour trouver des solutions viables.

Mais si Boeing expérimente la pile à hydrogène, son application à des vols de ligne n’est pas prévue avant vingt ans… Une éternité, selon une étude de la Deutsche Bank Research sur les conséquences du changement climatique pour le tourisme [2]. Les avancées technologiques ne répondront pas assez vite à la hausse des prix du pétrole, car les avions possèdent une plus longue durée de vie que les voitures. L’arrivée de nouveaux engins plus économes en carburant (Boeing 787, Airbus 380) et la réalisation du « ciel unique européen », qui doit raccourcir les routes aériennes, permettrait seulement de « ralentir la tendance à la hausse des prix des billets », d’après ce document.

Les compagnies ont un autre intérêt à rendre leurs avions moins gourmands. Les transports internationaux vont – enfin – intégrer en 2012 le protocole de Kyoto, et elles devront respecter des quotas d’émissions de CO2, en s’échangeant éventuellement des permis de polluer. Air France s’y oppose et la Commission européenne estime que cela devrait renchérir de 40 euros le prix d’un billet long courrier. Mais pas de quoi faire plonger la demande, estime encore la Deutsche Bank Research. Sauf peut-être sur les courtes distances, sur lesquelles Air France envisage d’affréter des trains de voyageurs lorsque le rail sera ouvert à la concurrence.

Une carte CO2 rechargeable ?

« Mais même à 200 dollars le baril, d’autres solutions deviendront rentables pour l’aviation, estime Ghislain Dubois, du cabinet Tourisme Environnement Conseil (TEC). Notamment la transformation de charbon en carburant, le “ coal to fuel ”, un procédé utilisé pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce serait encore pire en termes d’émissions de CO2. Il faut donc taxer davantage l’aviation, ce qui nuira peu aux pays pauvres, car 95 % des voyages se font entre pays riches. » Il existe aussi des solutions radicales. Ghislain Dubois plaide, avec le Tyndall Institute britannique ou Isabel Babou et Philippe Calot [3], pour une carte CO2 rechargeable. « Une façon de respecter les libertés individuelles dans la limite des contraintes collectives. » Exemple : on laisse son monospace pendant un an au garage pour pouvoir partir en Airbus à Caracas.
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Plage de Quigdao en Chine - Mark Henley / Cosmos

Ghislain Dubois estime que l’Europe devra mettre le paquet sur les infrastructures ferroviaires. Et ne plus cantonner le citoyen à une alternative entre voiture et avion. « Cela permettrait de remplacer les lignes aériennes partout où c’est possible. Les Anglais doivent, par exemple, pouvoir aller en train en Espagne. » Autres obstacles structurels, selon le consultant : la dette de Réseau ferré de France, qui rend impossible la remise en état des voies secondaires délaissées au profit des lignes à grande vitesse. Il pointe également l’inexistence, à l’échelle européenne, de systèmes de réservation orientant les voyageurs vers les modes de transports les plus économes et neutres en carbone. La SNCF et six compagnies ferroviaires du continent ont bien saisi le problème.

Lancée l’an dernier, la première alliance ferroviaire européenne Railteam veut faciliter les voyages dans sept pays européens – France, Allemagne, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Royaume-Uni – et tailler des croupières au trafic aérien. Elle pourra compter sur le triplement des lignes à grande vitesse prévu d’ici à 2020. Idéal lorsque les Espagnols voudront aller chercher un peu de fraîcheur sur les plages allemandes. —

[1] Auteur de Le Chemin vers l’écotourisme, édition Delachaux et Niestlé (2006).

[2] l’étude

[3] Auteurs de Les Dilemmes du tourisme, édition Vuibert (2007).

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