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31-08-2009
Mots clés
Culture
Médias
Education
France

La télévision peut-elle changer le monde ?

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« Terra eco » a convié Jérôme Clément, président d’Arte, et Bernard Stiegler, philosophe des « technologies de l’esprit » à débattre des conditions nécessaires au développement d’une mire durable.
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La télévision peut-elle changer le monde ?

Bernard Stiegler : Elle l’a déjà fait. Elle l’a même bouleversé de fond en comble. Sans elle, la société consumériste, qui repose sur la transformation permanente des modes de vie, ne se serait jamais imposée. La télévision est devenue presque exclusivement – Arte est une exception – le bras armé du marketing. Et au cours des dix dernières années, elle s’est transformée sous la pression de son hégémonie.

Jérôme Clément : Oui, elle a beaucoup évolué. Au début, l’une de ses missions premières consistait à créer du lien social. Autrefois, la famille se réunissait devant le poste. Il y avait un côté rituel. Le lendemain au bureau, dans la presse, on voyait naître des discussions collectives autour des programmes. La télé pouvait aussi créer des événements. Il y a eu Les Perses, la tragédie d’Eschyle adaptée à la télévision par Jean Prat en 1961, ou les conférences de presse du général de Gaulle, les grands débats politiques des années 1970-1980, l’émission «  Vive la crise  » d’Yves Montand. Mais ce qui jouait un rôle de lien social dans une famille joue aujourd’hui un rôle d’éclatement. Maintenant, chacun est dans sa chambre à regarder son émission sur des supports qui ne sont d’ailleurs plus forcément des postes de télévision.

Malgré cet éclatement, peut-on encore créer de grands événements à la télévision susceptibles d’influencer les comportements ?

J.C. : La multiplication du nombre de chaînes a rendu la chose plus difficile. Les Jeux olympiques ou la Coupe du monde de foot créent encore des événements. Mais sur le plan politique, c’est terminé. Il n’y a plus de débats télévisés ou de grands accrochages. Même l’affaire Cohn-Bendit-Bayrou, lors des européennes, ne restera qu’anecdotique. Aujourd’hui, il faut passer par Internet. La télévision est reléguée au second plan. Comment répondre à cela ? Pour moi, être producteur d’une ligne éditoriale est l’élément le plus important. Une chaîne de télévision, c’est d’abord un concept et un projet. A partir de là, peuvent naître des événements. La diffusion du Monde selon Monsanto [documentaire sur la multinationale américaine des semences OGM, Ndlr] en a été un. Il s’est accompagné d’un livre, de débats… Ce sont des paris économiques et intellectuels. Mais quand la mayonnaise prend, l’impact est très fort.

Lorsque vous définissez votre ligne éditoriale, avez-vous la volonté d’orienter les télespectateurs ?

J.C. : Dans la mesure où l’on fait des choix, on a forcément une influence qui correspond en gros à notre ligne éditoriale. Ce qui est important pour nous, à Arte, c’est de pouvoir proposer une offre et non de nous plier à une demande. Si l’on peut le faire, c’est parce que la préoccupation économique n’est pas très importante pour nous. Pour les chaînes qui dépendent de la publicité, c’est un sacré problème. Du coup, je crois que la mission de la télévision telle qu’elle existait dans les années 1950, 1960 et 1970 est terminée.

Comment a évolué cette mission ?

B.S. : La mission d’informer, d’éduquer et de distraire est loin derrière nous. L’information est aujourd’hui essentiellement devenue un spectacle. Les médias audiovisuels et en réseau monopolisent de plus en plus l’attention (8 h 30 par jour aux Etats-Unis pour les adolescents), c’est-à-dire le « temps de cerveau disponible », qui devient du même coup indisponible pour ceux qui sont en charge de former l’attention – car l’attention n’est pas une faculté psychique mais aussi sociale et qui donc se forme. Résultat : l’attention est déformée par sa captation. La télévision est devenue une machine à canaliser la libido pour l’attirer vers les objets de consommation. Le problème est que cette captation industrielle de ce que Freud appelait l’énergie libidinale a conduit à sa destruction. La libido est le fruit d’une transformation des pulsions en désirs. Tandis que la pulsion veut être immédiatement satisfaite, la libido est, au contraire, ce qui se forme en différant le moment de la satisfaction, ce qui est aussi une socialisation de la pulsion. N’importe quel parent sait que son rôle est de transformer l’énergie pulsionnelle en énergie socialisable. Or, la télé a court-circuité parents et école, et, ce faisant, a détruit cette économie transformatrice des pulsions.

La télé a-t-elle perdu toute mission éducative ?

B.S. : Dans les faits, c’est une évidence. En droit, cela devrait pouvoir changer dans la mesure où la télévision qui est analogique devient numérique. La télé analogique était un instrument idéal pour le marketing parce qu’unidirectionnelle, elle mettait le téléspectateur dans une situation de pure consommation. Les technologies numériques sont au contraire de plus en plus collaboratives. L’internaute est un contributeur. Or, ni la culture ni les savoirs ne se consomment : ils se pratiquent. La télévision, lorsqu’elle aura intégré cette technologie, pourra véritablement devenir un instrument éducatif, aussi précieux que le manuel scolaire et la bibliothèque le sont pour la constitution et la transmission des savoirs.

Peut-on imaginer que la télévision puisse rendre les téléspectateurs plus citoyens sur le terrain du développement durable ?

B.S. : Non seulement on peut l’imaginer, mais le changement indispensable des comportements n’aura pas lieu si la télévision elle-même ne change pas fondamentalement. Que nous l’admettions ou non, nous savons tous que nous devons quitter le modèle industriel consumériste qui détruit la planète à grande vitesse, et que cela ne se fera que par un changement comportemental. Or, celui-ci dépend fondamentalement des médias. La question environnementale nécessite d’élaborer une écologie de l’esprit dont les médias doivent devenir les vecteurs.

J.C. : Un média ne peut pas rester étranger au mouvement général de l’opinion. On s’est bien rendu compte qu’il y avait là une thématique importante – la planète – qui intéressait beaucoup de gens. Sur Arte, nous avons maintenant «  Global Mag  », un magazine hebdomadaire sur le sujet, qui va peut-être devenir une émission quotidienne. Il faut répondre aux préoccupations générales. C’est notre boulot.

Mais là vous suivez, vous n’initiez pas. La télévision ne doit-elle pas être le fer de lance ?

J.C. : Nous, notre mission au départ, c’était la culture et l’Europe. Nous faisons aujourd’hui ce que nous avons à faire. Les autres peuvent avoir un rôle. Mais les télévisions ne sont pas militantes. Elles n’ont pas à faire le boulot des politiques, des associations…

B.S. : La télévision pulsionnelle a détruit l’opinion en la transformant en audience. Opiner, c’est juger. Le temps de cerveau disponible ne juge pas, il absorbe. Il faut repenser en totalité les missions des médias audiovisuels et suspendre l’hégémonie que le marketing exerce sur eux. Il faut diminuer les ressources publicitaires sur tous les médias, et pas seulement sur le service public. La télévision doit se mettre au service de nouvelles utilités sociales et doit redevenir un instrument de socialisation et de formation de la responsabilité et de l’intelligence collectives.

Est-ce réellement possible ?

B.S. : Bien sûr. C’est même inévitable – même si c’est évidemment très compliqué. De très gros intérêts sont en jeu. Mais les actionnaires finiront par être contraints d’admettre que les télévisions dans lesquelles ils investissent appartiennent à un passé révolu. Les puissances publiques doivent accompagner une mutation industrielle dans le domaine audiovisuel, comme pour l’automobile ou l’énergie. Il faut que, durant une dizaine d’années, la part de la publicité baisse régulièrement, disons de 5 % à 10 % par an. Pendant cette période, de nouveaux types de financements doivent rémunérer de nouvelles missions – éducation, environnement, emploi, télétravail… – et être apportés par des marchés publics. Les médias doivent cesser de détruire l’éducation et en devenir au contraire un instrument majeur et nouveau. Par ailleurs, si vous voulez que les gens arrêtent de produire du CO2 excessivement, il faut qu’ils aillent mieux. Beaucoup de CO2 est produit par le comportement pulsionnel, qui est lui-même un symptôme de mal-être. L’université américaine du Maryland a suivi 45 000 téléspectateurs pendant plus de trente ans et a montré que la consommation régulière de télévision favorisait la dépression. Les personnes interrogées parlent en effet de la télévision comme d’une drogue.

Pour aller mieux, il faudrait donc éteindre la télé ?

B.S. : Ce n’est pas ce que je veux dire. Mais il faut changer tout le système consumériste, qui est devenu compulsif et très dangereux. Il faut redévelopper les médias et l’éducation. C’est une transformation de civilisation. Le téléspectateur n’est pas un crétin qui vole toujours plus bas. Les gens veulent toujours s’élever, malgré ce conditionnement. Le Collège de France a mis en ligne des centaines d’heures de cours, et dès les trois premiers mois, il y a eu un million de téléchargements !

J.C. : Il faudra des années… C’est compliqué de changer la mission, le fonctionnement, l’organisation d’une entreprise.

Est-ce que vous sentez aujourd’hui une volonté au sein du gouvernement d’investir dans la télévision ?

B.S. : Malheureusement, il semble vouloir maintenir à bout de bras un système caduc et toxique – tout à fait à l’inverse de ce qu’il faudrait faire.

J.C. : Moi, je pense qu’il y a une sensibilité. Nicolas Sarkozy est un homme pragmatique. Mais énoncer un discours c’est facile, aller jusqu’au bout, c’est plus compliqué. Il est beaucoup trop tôt pour savoir si ça ira dans cette direction ou pas.

B.S. : Nicolas Sarkozy est confronté à une contradiction. C’est un génie de la télécratie. Or, cette télécratie est finissante – comme cela se manifeste en particulier du côté des plus jeunes générations. Si le président de la République était capable de rompre avec le système dont il provient, mais qui s’écroule, il deviendrait un personnage historique. Avouons que c’est peu probable.

A vous écouter, changer le monde en changeant la télévision passe par une grande politique qui viendrait à réformer l’ensemble du PAF ?

J.C. : Je ne crois pas que nous changerons le monde en changeant la télé. La télévision est l’un des acteurs du système, mais il ne faut pas non plus exagérer. Nous nous trouvons face à un problème politique dont les implications sont très nombreuses. Indiscutablement, la télé est dans une période de mutation considérable. Alors c’est vrai : autant qu’elle s’oriente dans la bonne direction, une direction plus utile. Qu’elle retrouve sa mission initiale en quelque sorte. —

JÉRÔME CLEMENT

Président d’Arte, journaliste, énarque et auteur, entre autres, de La culture expliquée à ma fille et Plus tard, tu comprendras.

BERNARD STIEGLER

Directeur du département du développe-ment culturel au Centre Georges-Pompidou et auteur notamment de La Télécratie contre la Démocratie et Pour en finir avec la mécroissance.

Photos : Frédéric Stucin -MYOP

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Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

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