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29-03-2010
Mots clés
Politique
Sciences
Etats-Unis
Interview

La climatologie est un sport de combat

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La climatologie est un sport de combat
 
Climatologue et professeur à l’université de Stanford en Californie, Stephen Schneider vient de publier « Science as a Contact Sport : Inside the Battle to save Earth’s climate ». Pour « Terra eco », il explique pourquoi il est impossible de prédire l'adoption d’une loi sur le climat aux États-Unis, profère quelques conseils pour neutraliser les climato-sceptiques et tacle au passage Claude Allègre.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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La loi sur la réforme du système de santé venant d’être adoptée, pensez-vous que le Sénat américain soit prêt à voter en faveur de la loi sur le climat et l’énergie, loi tout aussi controversée que celle sur l’assurance maladie ?

J’ai moins d’hésitations à prédire que l’année 2010 battra tous les records de chaleur qu’à affirmer que les Etats-Unis voteront une loi sur le climat car il faut prendre en compte des événements imprévisibles qui pourraient changer l’atmosphère politique tels qu’un désastre climatique ou une attaque terroriste. Si les Etats-Unis sont victimes d’une vague de chaleur caniculaire similaire à celle que le pays a connu en 1988 ou d’un ouragan, il est clair que la lutte contre le réchauffement climatique redeviendra une priorité, car les médias s’empareront inévitablement du sujet. En 1988, lorsque les températures étaient supérieures de 10 degrés Fahrenheit (plus de 5,5 degrés Celsius, ndlr) aux températures saisonnières, les humains n’avaient contribué qu’à hauteur de 1 degré à ce réchauffement. Mais il est évident aujourd’hui que nous sommes de plus en plus vulnérables et que ce type de désastres naturels nous affectera plus fréquemment. Si cet été le pays est touché par la canicule, il est clair que le climat législatif sera propice à l’adoption d’une telle loi. Autre événement imprévisible mais susceptible en revanche de faire pencher la balance de l’autre côté : une attaque terroriste réussie contre les Etats-Unis qui conduirait l’administration à ne se préoccuper que de la sécurité nationale.

Ajoutons enfin que le passage d’une loi sur le climat dépendra également de la capacité de l’administration Obama et des démocrates à convaincre suffisamment de républicains de la nécessité d’une telle loi. Barack Obama et son camp ont enfin eu le courage de dire aux républicains d’aller se faire voir afin d’adopter la réforme de l’assurance maladie mais ils ont dû recourir pour cela à une procédure exceptionnelle dite de réconciliation qui permet aux sénateurs de se passer de la majorité des 60 voix : (seule une majorité simple de 51 voix permet alors le passage de la loi, ndlr). Or, ils ne pourront pas se servir de cette arme pour faire adopter la loi sur le climat car ce procédé de réconciliation ne peut être utilisé que pour des mesures susceptibles d’avoir un impact sur le budget fédéral (les dépenses obligatoires et les recettes). Ils devront donc obtenir 60 voix pour faire passer la loi au Sénat, ce qui veut dire qu’ils seront contraints d’« acheter » le soutien des sénateurs démocrates qui représentent les Etats dont l’économie dépend massivement de l’industrie fossile en promettant par exemple de subventionner généreusement l’industrie du charbon… Les hommes politiques appellent cela un compromis. Les gens comme moi, qui disent la vérité, préfèrent le terme de pot-de-vin.

Que répondez-vous aux climato-sceptiques qui accusent la communauté scientifique d’avoir exagéré les dangers du réchauffement climatique ou même d’avoir manipulé certains chiffres et que conseillez-vous à vos collègues pour mieux contrer leurs attaques ?

Je n’aime pas utiliser le terme de « climato-sceptiques » et préfère parler de « dénigreurs du changement climatique » tout simplement parce que les scientifiques sont par nature sceptiques et que les attaques de ceux qui s’opposent au réchauffement climatique ne s’inscrivent pas dans une démarche scientifique. Il s’agit de propagande idéologique. Le problème est sérieux car ils ont un impact sur l’opinion publique même si les gens qui croient ces accusations sont ignorants et que ceux qui les propagent sont des menteurs. Dans mon livre, je pose la question de savoir si la démocratie peut survivre à la complexité : le public ne comprend pas des problèmes complexes majeurs tels que le réchauffement climatique et c’est l’une des choses qui m’inquiètent le plus.

Dans votre ouvrage, vous suggérez également que les journalistes ne devraient pas tenter de faire preuve d’impartialité en accordant le même temps de parole aux « dénigreurs du changement climatique » qu’à la majorité des scientifiques qui défendent la théorie du réchauffement climatique… Pourquoi ?

Lorsque je dis que les journalistes ne doivent pas faire preuve d’impartialité sur ces questions, je veux simplement dire qu’ils ne doivent comparer que des arguments qui méritent d’être comparés et sont donc tout aussi crédibles. Je n’ai jamais suggéré que les médias ne pouvaient pas communiquer tous les points de vue. Le problème, lorsque vous accordez la même place à des arguments qui n’ont pas la même portée scientifique, c’est que vous laissez au public la tâche d’aller s’informer lui même pour pouvoir trancher sur la véracité des propos. Or il ne fera jamais. Cela me fait penser à un dessin que je montre toujours à mes étudiants qui montre deux séances de cinéma, l’une affichant Une vérité qui dérange, le film d’Al Gore, et l’autre un documentaire intitulé Un mensonge crédible. La file pour le film d’Al Gore est vide alors que les gens se pressent au portillon pour aller voir l’autre film. La communauté scientifique a un handicap lourd par rapport à ses adversaires : nous avons un code non écrit qui consiste à dire la vérité. Il est donc crucial de communiquer à l’aide de métaphores qui suggèrent à la fois l’urgence et l’incertitude ce qui n’est pas très facile.

Je suggère par exemple de comparer la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique à celle de contracter une assurance incendie pour protéger sa maison d’une telle éventualité, même si les risques sont faibles. Considérez également l’investissement considérable des gouvernements nationaux pour protéger leur pays de toute une série de menaces militaires et stratégiques. Il est essentiel que la communauté scientifique réalise qu’il est parfaitement acceptable de n’être pas en mesure de prédire l’occurrence d’événements à 95%. Je suggère aussi de ne pas dire que le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) recommande de limiter la hausse des températures à 2 degrés car il s’agit d’un jugement de valeur qui implique une acceptabilité de risque. Je pense qu’il est beaucoup plus efficace de dire que les études du Giec montrent qu’au-delà d’une hausse de 2 degrés, un grand nombre de système (géophysiques, biologiques et socio-économiques) seront dangereusement menacés car il s’agit d’une affirmation beaucoup plus objective.

Que pensez-vous de la décision récente du gouvernement Sarkozy de renoncer à la taxe carbone ?

Il va falloir que j’attende de discuter avec des experts français comme Stéphane Hallegatte pour vous répondre et analyser les raisons de ce recul. Tout ce que je sais à ce sujet est ce que j’ai vu sur CNN or CNN ne sait même pas où se situe la France, donc je ne vais sûrement pas me baser sur leurs analyses. Permettez-moi également de souligner mon étonnement quant au revirement de Claude Allègre, un homme avec lequel j’ai cosigné un article en 1994 dans la revue Scientific American intitulé « The Evolution of Earth » (« L’évolution de la Terre »). A l’époque ce dernier ne niait absolument pas l’existence du réchauffement climatique. A-t-il depuis complètement perdu la tête ?

A lire aussi sur terraeco.net :
- Pas de loi sur le climat pour Obama en 2010 ?
- Tour du monde des tribus climato-sceptiques
- Obama et le nucléaire : chronique d’une relance annoncée

Sources de cet article

- Le site de Stephen Schneider
- L’article de Scientific American cosigné en 1994 avec Claude Allègre

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Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement.

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  • Bonjour,
    Cet article me dérange profondément, notamment le passage suivant :

    Les dénigreurs du réchauffement anthropique "ont un impact sur l’opinion publique même si les gens qui croient ces accusations sont ignorants et que ceux qui les propagent sont des menteurs. Dans mon livre, je pose la question de savoir si la démocratie peut survivre à la complexité : le public ne comprend pas des problèmes complexes majeurs tels que le réchauffement climatique et c’est l’une des choses qui m’inquiètent le plus."

    La vision d’un monde partagé entre savants et ignorants est sincèrement rétrograde. Elle tend à soutenir l’idée que ceux qui pratiquent les sciences désignées comme expertes développent des savoirs auxquels on doit faire une confiance aveugle et dévoué car nous ne comprenons rien à la complexité du monde. La conséquence grave est que ceux qui détiennent ces savoirs sont donc les seuls qui légitimement peuvent aider le pouvoir à prendre des décisions rationnelles (idéologie de la compétence, Roqueplo, 1974).

    En tant qu’éducateur scientifique, Je ne partage absolument pas cette vision car je constate que "le public", au contraire, demande à comprendre la complexité, le fonctionnement et les limites de l’expertise, accepte les incertitudes mais souhaite qu’on réponde à la question : "que faire face aux risques ?".

    Si je peux me permettre, et parce que je n’ai pas de compétence en sciences du climat, vous devriez plutôt militer pour plus de transparence sociale dans vos travaux scientifiques et un partage de vos questionnements avec ceux des citoyens. Vous risquez sinon, à terme, de perdre leur confiance, notamment si vous continuez à communiquer sur le registre du consensus scientifique, de l’incompétence, voire de la malhonnêteté des dénigreurs.

    Pourquoi pour ne choisissez vous pas d’ouvrir votre expertise plutôt que de développer tant d’énergie à marginaliser les dénigreurs et à demander des sanctions politiques à leur égard ? Parce qu’ils contribueraient à semer le doute dans la tête des ignorants que nous sommes ? Ou parce qu’ils contribueraient à une re-négociation de pouvoirs et à une ré-interrogation des relations entre sciences et société ?

    Au plaisir de lire vos réactions,
    Benoit URGELLI.

    30.03 à 12h29 - Répondre - Alerter
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