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27-04-2006
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Société
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Candide au pays de l’économie

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Travailler 4 heures par semaine, se chauffer gratuitement, vivre sans impôts... Cette semaine, Terra Economica joue les Candide et interroge sans tabou les économistes de toutes tendances. "Un autre monde" est-il vraiment possible ? Leurs réponses sont étonnantes.
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C’est l’histoire d’une journaliste de Terra Economica qui sollicite l’interview d’un grand économiste français. "Bonjour Monsieur, je souhaiterais vous poser quelques questions portant sur de grandes questions économiques. Nous faisons un journal tout à la fois exigeant et grand public. ‘A quoi ressemblerait une France sans impôts  ; Pourquoi notre économie ne pourrait-elle pas se passer de la monnaie  ; La semaine de quatre heures  : une solution anti-chômage  ?" Silence agacé au bout du fil. Puis la réaction fuse. "C’est un canular  ? Vous proposez de revenir à l’Age de pierre ou quoi  ? Non Madame, je ne répondrai pas à vos... questions, désolé, je suis un économiste sérieux."

Fermez le ban. Désolée de vous avoir importuné, Monsieur le grand économiste. Il est vrai que Terra Economica a fait le vœu de s’adresser au plus grand nombre. A tous ceux qui s’intéressent à l’économie comme de simples citoyens, sans être forcément titulaires d’un doctorat. Et en évitant de trop se prendre au sérieux, justement. Démagogie facile  ? Pas pour ceux qui pensent que l’économie n’est pas l’apanage des professionnels et autres experts patentés, plus ou moins chouchoutés par une poignée de médias dominants. Les mêmes qui glosent du matin au soir sur les thèmes "Trop d’impôt tue l’impôt" ; "Sans croissance, pas de développement économique" ; "Les 35 heures ont ruiné l’économie française", etc. Jugements frappés au coin du bon sens ou idées reçues  ? Cela se discute.

Fidèle à son engagement, Terra Economica ouvre le débat, sans tabou ni a priori. Des économistes de sensibilités différentes passent au crible neuf grands thèmes économiques d’ordinaire cantonnés aux colloques universitaires. Pour le reste, à vous de juger  !

1- A quoi ressemblerait une France sans impôts  ?

Philippe Simonnot , économiste, fondateur de l’Observatoire économique du droit.

Ce serait une société magnifique  ! L’impôt, c’est du vol ni plus, ni moins, car l’Etat en fait un gâchis épouvantable, notamment dans la gestion de l’éducation, de la santé. Eliminer les impôts reviendrait à créer plus d’activité économique, plus de richesses. Les assurances privées géreraient la santé, l’éducation. Ce serait idéal. Dans un système uniquement privé, l’école serait plus égalitaire car les parents auraient la possibilité de choisir librement leur établissement. Et les enfants seraient davantage responsabilisés et impliqués dans leur scolarité, tout simplement parce qu’ils auraient conscience de ce que leurs parents paient.

Henri Sterdyniak , économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques.

Un pays sans impôts serait un pays sans dépenses publiques et sans transferts. Le salarié aurait certes un salaire disponible beaucoup plus important, mais il devrait épargner pour se constituer une réserve en cas de chômage. Il devrait payer des primes d’assurance maladie  : celles-ci seraient plus fortes pour les familles ou pour les personnes en mauvaise santé. Il n’y aurait pas d’allocations familiales. Les pauvres, les infirmes ne disposeraient d’aucune aide  ; ils devraient compter sur la charité publique ou s’organiser en bande pour attaquer les plus riches, qui devraient à leur tour cotiser pour payer une police privée pour se défendre.

2- Peut-on fermer les frontières et vivre en autarcie économique  ?

Yves Cochet , député vert de Paris, ancien ministre de l’Environnement.

Nous sommes encore dans une phase de mondialisation. Mais nous allons bientôt entrer dans un processus inverse de "dé-mondialisation". C’est à dire de relocalisation des activités économiques. En raison de l’augmentation des prix du pétrole liée à sa raréfaction croissante, le transport va devenir tellement cher que produire sur place sera plus rentable que produire dans les pays lointains. Même chose pour la Politique agricole commune, trop vorace en énergie. Il faut une agriculture plus locale, plus saisonnière et accepter de ne plus manger des bananes et des ananas toute l’année.

Henri Sterdyniak , économiste.

Un pays a besoin de matières premières. Il ne peut prétendre tout produire, être à la pointe du progrès sur tous les produits. La fermeture de l’économie amène donc à des pertes d’efficacité - on est obligé de fabriquer difficilement ce que l’on pourrait acheter à bas coût - et à des frustrations de la population, qui se voit refuser l’accès à certains produits. Toutefois, un pays devrait pouvoir décider de ne pas importer certains produits (OGM, viande aux hormones), pouvoir choisir de protéger certaines productions nationales comme l’agriculture, par exemple, pour la beauté des paysages et le maintien de traditions régionales  ; l’industrie cinématographique, etc.

3- Pourrait-on se passer de la Bourse  ?

Jacques Généreux , professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, dirigeant du courant Nouveau parti socialiste du PS.

Non, sauf à refuser totalement une économie d’échanges monétaires. La Bourse est un marché public de l’occasion sur lequel on peut vendre des actions et des obligations. En l’absence de Bourse, les détenteurs d’actions seraient obligés de les garder à vie ou d’attendre la faillite de l’entreprise pour récupérer leur mise. Quant aux obligations elles ne sont remboursables qu’au terme de l’emprunt. Ce blocage découragerait les épargnants et poserait un gros problème aux entreprises, dans l’impossibilité de faire appel à l’épargne publique pour se développer.

Henri Sterdyniak , économiste.

De nombreux pays ont connu des taux de croissance importants sans disposer d’une Bourse développée. Ce fut le cas des pays de l’Europe continentale entre 1945 et 1973. C’est le cas de la Chine à l’heure actuelle. Les fonctions d’apporteur de capitaux, de choix d’investissement et de contrôle de la production peuvent être remplies directement par le capitaliste (c’est le capitalisme familial), par le système bancaire (comme naguère en Allemagne), par l’Etat (comme jadis en France). Reste à savoir quel est le système le plus performant (pour choisir les bons investissements) et le moins coûteux.

4- La croissance est-elle bonne pour l’économie  ?

Serge Latouche , professeur émérite d’économie à Paris-XI et "objecteur de croissance".

Croître, c’est augmenter la production, pour augmenter la consommation, pour augmenter la production et ainsi de suite. Et on soutient cette mécanique infernale grâce à une intense propagande, la publicité, sans se soucier du fait que la croissance détruit la nature. Une telle société n’est pas soutenable car on ne peut croître indéfiniment dans une biosphère limitée. Il faut casser ce mythe d’une croissance vertueuse qui, grâce au progrès technique, en finirait avec le gaspillage et la pollution. Certes, les innovations permettent de réduire de 30 à 50 % notre consommation de matières premières mais ce bénéfice est aussitôt anéanti par l’augmentation de la quantité produite. Exemple, les voitures sont moins polluantes qu’il y a vingt ans, mais leur nombre s’est multiplié. Le progrès ne fait donc que prolonger l’agonie. La seule solution  : nous sevrer de cette toxicodépendance de la croissance.

Michel Aglietta , professeur d’économie à Paris-X Nanterre.

La croissance du PIB est le moteur de l’économie capitaliste. Elle crée les emplois nécessaires aux populations en augmentation et améliore le niveau de vie des ménages. Dans le même temps, elle engendre pollution, inégalités sociales et frustrations. Ses limites seront atteintes le jour où l’économie sera affectée par l’épuisement des ressources non renouvelables. Il faudra donc imaginer un autre type de croissance. À moins qu’entre temps, cette rareté nous ait conduit à entamer une grande révolution technologique. On peut ainsi imaginer qu’on ait trouvé le moyen de transformer l’hydrogène en source d’énergie.

Jacques Généreux , de l’IEP de Paris.

La croissance du PIB est mauvaise pour l’économie. Nous avons mis au point un modèle de développement pour un milliard d’habitants et non pour 6. Il faudrait plusieurs planètes pour étendre au reste du monde le mode de production occidental. Seule solution  : réorienter la croissance vers des activités non destructrices en développant les services relationnels, éducatifs et culturels qui ne consomment que du temps et de la parole. Exemple  : en mettant un enseignant supplémentaire par classe, vous développez l’intelligence des gamins et favorisez leur intégration. Vous arrivez ainsi à 100 % de réussite au Bac.


Bonheur contre croissance, au Kerala

C’est une "anomalie" qui n’en finit pas de titiller les méninges des inconditionnels de la croissance. Comment, malgré des performances économiques longtemps médiocres, le Kerala, petit Etat du sud-ouest indien, est-il parvenu à exploser ses indicateurs de développement humain  ? Le revenu par tête y est dérisoire et la croissance a plafonné à 0,3 % entre 1980 et 1992, contre 3,2 % pour l’ensemble de l’Inde. Et pourtant, le taux d’alphabétisation est l’un des plus élevés au monde (90 %). L’espérance de vie (71 ans) avoisine celle des pays riches et le taux de mortalité est le plus bas du sous-continent. Ce cas d’école ne tient pourtant pas du miracle. Son origine, une intervention étatique précoce ­- dès le XVIIIè siècle -, une réforme agraire dans les années 60 qui a interdit les grandes propriétés et des investissements massifs dans la santé et l’éducation, menés par l’ex-gouvernement communiste. Ces dernières années, ce processus a aussi porté ses fruits économiques. Le Kerala a pris le chemin de la croissance. Et tout est rentré dans l’ordre. Lire la suite de l’enquête

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