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Un nouveau monde

Par Pierre JAPHET
25-10-2012

Le développement durable fait-il fausse route ?

Trente ans après l'invention du concept, force est de constater que le développement durable n'a pas su impulser les changements nécessaires à notre société pour affronter les défis sociaux, environnementaux et économiques de ce siècle.

On accuse souvent les démarches environnementales des entreprises et des collectivités, et plus généralement les stratégies dites de "développement durable", d’être avant tout des stratégies de communication, politiciennes pour les uns, marketing pour les autres. Et, hélas, on n’a pas tort. Les politiques de Responsabilité Sociale des Entreprises ou les Agendas 21 des collectivités servent encore trop souvent à "verdir" (ou à "rosir" pour le volet social) la façade pendant qu’à l’intérieur, c’est "business as usual" ou presque. Comme le dénonce régulièrement Elizabeth Laville du cabinet Utopies, beaucoup d’entreprises - et certaines collectivités - font du développement durable "Canada Dry" : cela en a le goût et la couleur mais ça n’en est pas en réalité.

A qui la faute ? La critique s’adresse généralement aux principaux acteurs de ces démarches, qu’il s’agisse des dirigeants d’entreprise ou des responsables politiques qui sont censés donner la direction, l’impulsion et les moyens nécessaires au changement. Par manque de conviction et par myopie court-termiste, ils videraient la démarche de sa substance, donc de résultats tangibles, ce qui, par un effet pervers, viendrait en outre conforter leur scepticisme de départ ! On pourrait sans doute reprocher également aux cadres intermédiaires un certain manque de courage pour défendre des propositions ambitieuses face à leur patron. Même si, par les temps qui courent, on peut les comprendre...

Tenons-nous les coupables ?

Oui, évidemment, les acteurs ont une part de responsabilité dans l’échec de ces démarches à transformer en profondeur les organisations et les territoires. Mais je suis aujourd’hui convaincu que cet échec est largement du à la logique même de ces démarches, qui est celle de "l’amélioration continue". Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec cette notion, cela veut dire que la démarche consiste à 1- faire un état des lieux de départ, 2- identifier des axes de progrès par rapport à des objectifs environnementaux et/ou sociaux que l’on s’est donnés puis 3- à mettre en place un plan d’action et des indicateurs de mesure et enfin 4- actualiser régulièrement les objectifs et le plan d’action en fonction des premiers résultats obtenus (d’où la dimension "continue" de l’amélioration). Cette logique, issue des démarches "qualité", est parfaite pour "améliorer" un produit, une organisation et même un territoire. Mais elle ne l’est pas pour les transformer radicalement, en rupture avec l’existant.

Or, pour faire face et espérer sortir un jour de la triple crise économique, environnementale et sociale que le monde connaît globalement depuis 40 ans, il ne s’agit plus "d’améliorer" le système. Il faut le changer, en profondeur. Changer nos valeurs, repenser les indicateurs de richesse et la notion de progrès, redéfinir nos objectifs et nos priorités économiques, transformer nos compétences, organiser la résilience des territoires, etc. "On ne peut pas résoudre un problème avec le même type de pensée que celui qui l’a créé", comme disait fort justement Albert Einstein.

Les outils existent mais ils ne sont pas utilisés.

Mais alors, comment faire ? Et que manque t’il au développement durable pour "faire le job" ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, je crois que la réponse est en fait assez simple.

Tout d’abord, il manque la vision de ce que l’on veut construire ou plutôt reconstruire. Où va-t-on ? À quoi ressemblera l’entreprise ou le territoire dans une société sans pétrole, par exemple ? Quels seront les besoins sociaux et environnementaux essentiels auxquels l’entreprise ou le territoire devront répondre, et avec quels moyens économiques ? Une fois cette vision définie et partagée, alors l’organisation peut se mettre en mouvement et agir en direction de cette cible. On imagine bien que les actions et les résultats seront bien différents de ceux obtenus en essayant d’améliorer l’existant dans la continuité. Et notez au passage qu’il est bien plus motivant d’agir en direction d’une cible idéale et désirable que pour corriger les imperfections d’un existant.

La bonne nouvelle, c’est que les outils existent. Les démarches de développement durable peuvent être adaptées pour intégrer cette dimension de transformation radicale. Ce faisant, elles devront s’inspirer largement des "initiatives de transition" (*) qui intègrent cette vision de long-terme, en rupture avec l’existant.

La mauvaise nouvelle, c’est que la plupart des dirigeants d’entreprise et des responsables politiques ne sont pas prêts à s’engager dans une telle transformation. Ce qui nous ramène au début de la chronique. Mais c’est justement le deuxième aspect qui doit être modifié dans la méthode. Le changement doit venir "de la base", pas d’en haut. Il doit se construire à partir d’initiatives locales, à petite échelle. Pas à partir d’un plan de la direction ou des élus.

Là encore, les "initiatives de transition" (*) sont riches d’enseignement et d’inspiration. Leur message essentiel est sans doute que, où et qui que nous soyons, nous avons la capacité d’initier des transformations radicales, sans attendre un grand soir venu d’en-haut. Leur philosophie est résumée par cette citation délicieuse de Bill Mollison, le co-créateur du concept de permaculture : "Je ne peux pas sauver le monde tout seul. Il faudrait au moins être trois !". Plutôt rassurant, non ?

(*) Pour en savoir plus sur les initiatives de transition, on pourra lire le Manuel de Transition de Rob Hopkins, paru aux éditions Ecosociété et consulter les nombreux sites web sur le sujet, dont www.transitionfrance.fr.

Retrouvez toutes mes chroniques vertes sur lexpress.fr : http://communaute.lexpress.fr/journ...

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