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Une France bio en 10 leçons

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Une France bio en 10 leçons
(Crédit photo : )
 
Du champ à la table en passant par le magasin, pas besoin de baguette magique pour passer au bio. « Terra eco » a sorti de sa boîte à outils une dizaine de leviers à actionner. Mode d’emploi.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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TOUS À LA CANTOCHE

AUGMENTER LES AIDES BLEU-BLANC-ROUGE

TRANSFORMER LA PAC EN ARME DE BIO MASSIVE

PLANTER DES FERMES EN VILLE

INVITER LES SUPERMARCHÉS AU GRAND BAL DU BIO

MULTIPLIER LES CIRCUITS COURTS

ACCUEILLIR DANS LA FAMILLE BIO LES PRODUITS PRÉPARÉS

DEVENIR DES ANGES GARDIENS POUR LES PAYSANS SANS TERRE

SE SERRER LES COUDES

EN FINIR AVEC LA VALSE DES LABELS

ET L’AGRICULTURE CONVENTIONNELLE ?


TOUS À LA CANTOCHE

Le bio est trop cher. Les enfants n’aiment pas le chou. Le quinoa, pas beaucoup plus. Pourtant, le Grenelle de l’environnement est clair : il faudra 20 % de bio en 2012 dans la restauration collective. Pourquoi ? Parce que c’est la meilleure façon d’offrir des débouchés sérieux aux producteurs. Pas faisable, disent les plus pessimistes, car la production française n’y suffira pas. Et s’il faut importer massivement du bio, à quoi bon ? Pourtant, les cantoches sont de plus en plus nombreuses à jouer le jeu. Selon l’Agence bio, 51 % des cantines scolaires déclarent proposer des produits bio en 2010 – contre 46 % en 2009 – et 45 % des cantines d’entreprise – contre 40 % en 2009. C’est énorme ? Eh bien non, car ces gros pourcentages cachent de petites quantités. En réalité, les produits bio représentaient uniquement 1,3 % des achats alimentaires de la restauration collective en 2009. Et les cantines « absorbent » seulement 3 % du marché de l’alimentation biologique. Le chemin est encore long, donc. Reste que la restauration collective est un levier essentiel pour développer le bio. Le WWF a d’ailleurs lancé une mobilisation sur ce thème. Et si le responsable de votre cantine vous assène que le bio, ça marche à la rigueur dans les petites communes mais sûrement pas dans les grandes, répondez-lui tout simplement : « Saint-Etienne ».

La préfecture de la Loire sert 3 000 repas par jour à ses 94 écoles maternelles et élémentaires. Elle est passée à 50 % de bio à la rentrée 2009, puis à 60 % en 2010. Elle compte ajouter ainsi 10 % chaque année pour atteindre les 100 % en 2014. Le tout, en baissant ses tarifs pour les 180 000 Stéphanois, de 10 % en moyenne. Par un coup de baguette magique ? Non. Plutôt grâce à une conjoncture positive.

Des filières locales

« Nous avons changé de prestataire à cette occasion, explique Caroline Van der Heijde, en charge du dossier à la mairie. Or le contrat précédent avait été signé il y a quatorze ans, à une période où le marché n’était pas favorable. » Après un appel d’offre en bonne et due forme, c’est la société Avenance – rien à voir avec un groupe de babas cool sur le retour – qui a emporté le morceau.

Cette « major » de la restauration collective, a dû montrer qu’elle était capable de développer des filières locales d’approvisionnement car Saint-Etienne réclamait du producteur bien de chez nous. Les menus sont déjà « locaux » à près de 40 % cette année, bio ou non confondus. L’entreprise Avenance, acteur conventionnel, se frotte au bio depuis 2004 à Lyon, qui « pèse » 20 000 couverts par jour. « On a commencé à recenser les producteurs de la région Rhône-Alpes. Puis on a construit des partenariats avec eux pour parvenir à 30 % de bio et 20 % de local à Lyon, raconte Gilles Patin, directeur régional Rhône-Alpes-Auvergne d’Avenance. Il a fallu faire des audits sur les modalités d’approvisionnement : un point crucial. On référence plutôt des associations de producteurs dotées d’une plate-forme logistique. On fait aussi des réunions avec la Chambre d’agriculture pour caler nos besoins avec les capacités locales. C’est avec ce bagage qu’on est arrivés à Saint-Etienne. »

Du long terme pour fidéliser

Les autres ingrédients de la recette ? D’abord, un contrat signé pour sept ans entre Avenance et la ville. C’est « du long terme, pour fidéliser et rassurer les producteurs », précise Caroline Van der Heijde. Mais encore ? « Financièrement, on aurait pu attaquer directement à 100 % de bio. Mais la progressivité permet de laisser le temps aux agriculteurs de s’organiser. » Ensuite, les menus sont prévus un an à l’avance, pour que les producteurs programment leurs cultures en fonction des commandes. Et puis le pourcentage de bio n’est pas calculé sur le volume du plateau-repas mais sur le nombre de composantes. En clair, chaque menu se divise en cinq composantes : entrée, plat, accompagnement, dessert, pain. Multiplié par 140 jours de cantine par an, cela donne 700 composantes. En 2011, 60 % d’entre elles, soit 420 seront bio. « Ce système nous permet de respecter notre engagement vis-à-vis des consommateurs, en gardant de la souplesse, justifie Caroline Van der Heijde. On peut introduire plus de bio en été quand la production est abondante, par exemple. » —

AUGMENTER LES AIDES BLEU-BLANC-ROUGE

L’Europe, via la Politique agricole commune (PAC), déboursera 84 millions d’euros pour soutenir l’agriculture biologique française en 2011. Le gouvernement Fillon a jugé que ce soutien européen suffisait. Dans la loi de finances 2011, le montant du crédit d’impôt sur le revenu accordé aux agriculteurs convertis en bio est divisé de moitié, passant de 4 000 à 2 000 euros. Au total, l’enveloppe globale pour le sujet s’élève à 17 millions d’euros.

« Trahison », « régression »… L’annonce a provoqué la colère des acteurs du secteur. A titre de comparaison, 196 millions d’euros ont été accordés à la filière agrocarburants dans le même budget ! Le député Vert Yves Cochet dénonce « l’incohérence économique et politique de cette décision, alors que la France, déjà très en retard sur ses voisins européens, importe près de 40 % des produits bio consommés ». Les conversions ont beau afficher un taux record, seules 2,9 % des surfaces agricoles sont bio, quand l’objectif fixé est de 6 % en 2012 et 20 % en 2020. La Fédération nationale de l’agriculture biologique estime que les budgets européens ne seront pas suffisants et « que cela risque de diviser par deux la dynamique de conversion en 2012 ! » Le 26 janvier dernier, le ministre de l’Agriculture Bruno Lemaire a promis, avec la ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet, l’annonce prochaine de mesures pour « appuyer les petites exploitations de maraîchage bio ».

TRANSFORMER LA PAC EN ARME DE BIO MASSIVE

La Politique agricole commune (PAC) a vu le jour en 1962, pour stimuler la production et assurer la souveraineté alimentaire de l’Europe. Un demi-siècle plus tard, les enjeux ont changé : biodiversité, gestion de l’eau, énergies renouvelables… Et l’Union est passée de 6 à 27 pays. Il faut tout remettre à plat. Ce devrait être chose faite en 2013, avec une nouvelle réforme. En attendant, dans les couloirs de Bruxelles, ça négocie, ça cogite, ça lobbyise déjà à tous les étages. Est ainsi né le « groupe PAC 2013 » qui rassemble une vingtaine d’associations françaises (Fondation Nicolas Hulot, Amis de la Terre, WWF, Fédération nationale de l’agriculture biologique, Terre de liens, etc.) et souhaite rétablir « des liens trop souvent séparés entre l’agriculture, l’alimentation, l’environnement et le développement rural ».

Moins d’espèces cultivées

Il faut dire que l’actuelle PAC ne favorise guère les pratiques écologiques. Depuis 1999, elle repose sur deux « piliers ». Un : des mesures d’aide aux marchés et aux revenus des producteurs. Deux : les mesures environnementales et le développement rural. Même si le budget attribué au second augmente chaque année, il ne pesait que 26 % – soit 14,1 milliards d’euros – du budget total en 2008. « L’intensification de l’agriculture européenne, constate le groupe PAC 2013, en partie guidée par la PAC, s’est faite au prix de fortes dégradations environnementales. » Régression des prairies permanentes, raccourcissement des rotations avec de moins en moins d’espèces cultivées, utilisation accrue des pesticides…

Et le bio dans tout ça ? « La PAC soutient son développement au titre de la qualité des produits et de la conversion des exploitations agricoles. » Problème : certaines dispositions ont limité son développement. Les aides pénalisent par exemple les plus faibles rendements. Du coup, le groupe PAC 2013 propose de changer de critères. Et de ne plus fonder les aides sur la production passée des agriculteurs, mais sur les services environnementaux qu’ils rendent – gestion des ressources en eau, préservation de la biodiversité – et sur les emplois qu’ils créent. Pour lutter contre le changement climatique, le collectif veut recréer le lien entre grandes cultures et élevage, « ce qui permettrait une forte réduction de l’empreinte écologique de l’agriculture ». il estime même que la PAC devrait s’intéresser aux consommateurs. Et « élargir ses outils d’intervention en direction de l’information et de l’éducation alimentaire pour encourager l’évolution des modes de consommation : davantage de végétaux locaux diversifiés, moins de sucres, moins de graisses animales et végétales issues de modes d’exploitations intensifs et non durables. » Elle pourrait même favoriser « les circuits courts pour rétablir les relations de confiance entre producteurs et consommateurs. »

On cache son jeu

Mais au fait, que pèse au juste le groupe PAC 2013 dans la négo ? « On a notre place en France et on est écoutés à tous les échelons, assure Samuel Ferret, le coordinateur du groupe. Mais pour l’instant, la diplomatie agricole au niveau communautaire cache son jeu. Elle a une posture verte, mais n’entre pas dans les détails. Et puis il y a des blocages chez la plupart des leaders des syndicats conservateurs et au ministère. Ils ont du mal à envisager que l’agriculture puisse être à la fois favorable à l’environnement et performante. » —

PLANTER DES FERMES EN VILLE

Séquence science-fiction. Imaginez au cœur de votre ville un gratte-ciel gonflé de verdure. Chaque jour, vous y cueillez vos tomates et vos fraises. Ce type de ferme urbaine verticale fait fantasmer les architectes du monde entier. Une bonne douzaine de projets ont vu le jour ici ou là, sur le papier. Parmi eux, celui de la Tour vivante, du cabinet parisien SAO Architectes. Il réunit production agricole, habitations et activités dans un même bâtiment de trente étages. Les salades y seront bio, grâce au compostage des déchets alimentaires… des habitants.

D’accord, la « sky farm » n’est pas pour demain. En revanche, l’agriculture urbaine et périurbaine est déjà une réalité. Elle fournit, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), la nourriture à près de 700 millions de citadins et peut contribuer à améliorer la sécurité alimentaire. Ainsi, à Dar es Salaam en Tanzanie, dans les arrière-cours et les terrains vacants, on élève des vaches, des poules et on produit des légumes sur 650 hectares. A Dakar, au Sénégal, la FAO a lancé un projet de culture de tomates sur les toits.

Des potagers dans les quartiers

Autre exemple à Detroit, aux Etats-Unis, la ville de Ford et de General Motors. Crise oblige, les 2 millions d’habitants des années 1950 ne sont plus que 900 000. Friches industrielles, quartiers à l’abandon, chômage, étalement urbain… Beaucoup ne peuvent s’offrir une voiture pour se rendre au supermarché. Des associations soufflent la solution : créer des fermes urbaines et des jardins ouvriers, apprendre aux plus pauvres à cultiver un potager chez eux. Cette révolution verte a même attiré un riche homme d’affaires qui veut y développer la plus grande ferme urbaine au monde, Hantz Farms.

A San Francisco, des habitants ont, eux, investi une ancienne rampe d’autoroute brisée par le séisme de 1989 pour la transformer en verger et en potager. On y expérimente la permaculture urbaine. Au cœur de Brooklyn à New York, la Eagle Street Rooftop Farm occupe un toit de 500 m2 avec vue imprenable sur Manhattan et vend ses légumes bio aux membres d’une Amap et aux restaurants du coin.

Cours de cuisine et de compost

Direction Londres. Dans le quartier de King’s Cross, l’ONG Global Generation apprend aux ados à faire pousser des herbes aromatiques et des légumes dans les zones délaissées. Ils reçoivent aussi des cours de cuisine, de compost et vendent leur production aux restos du quartier. Le credo de l’ONG : « Il y a des centaines d’hectares de toits qui pourraient rendre Londres bien plus autosuffisante. » Sur les toits de Tokyo, l’association Oedoyasai chouchoute des potagers sans pesticides depuis onze ans. L’agriculture urbaine a même désormais son université d’été : sa 3e édition aura lieu en août à Montréal. —

INVITER LES SUPERMARCHÉS AU GRAND BAL DU BIO

Où achète-t-on le plus de produits bio ? Dans les grandes et moyennes surfaces pour 70 % des acheteurs en 2010, selon l’Agence bio. Faut-il en conclure que la grande distribution est la meilleure amie du secteur ? Rien n’est moins sûr. En juillet 2010, la Fédération nationale de l’agriculture bio (Fnab) publiait un communiqué intitulé « Le bio, victime collatérale de la guerre commerciale entre géants de la grande distribution ? » Et voici comment elle résume la situation : « L’enseigne Auchan a lancé l’offensive en proposant depuis mai dernier 50 aliments bio à moins d’un euro. L’enseigne Leader Price (groupe Casino) a riposté par une campagne publicitaire la positionnant moins chère que deux enseignes nationales sur un panier de 29 produits. Leclerc a contre-attaqué en lançant un site Internet visant à comparer les prix des produits bio de marques nationales ou distributeurs. » Or des prix écrabouillés, cela signifie plus de pression sur les producteurs et plus d’importations. « Les enseignes qui lancent la guerre des prix du bio sans autre forme de considération pour les enjeux économiques, environnementaux et sociaux d’une telle stratégie, portent une responsabilité importante dans la fragilisation de la filière dans son ensemble », cingle la Fédération. « C’est toujours le même schéma dans la grande distribution, explique Lionel Bobot, professeur à l’école de commerce Negocia et auteur en 2010 de l’étude « Fournisseurs-distributeurs dans le bio : une négociation durable ? » On vous ouvre les rayons avec beaucoup de volume. Puis on fait pression sur les prix. Et on crée des marques distributeurs. »

Tout est perdu, alors ? Non, et la Fnab le reconnaît : le couple infernal est capable de s’entendre. « D’autres mécanismes sont possibles, comme le démontrent plusieurs expérimentations mises en place entre des groupements de producteurs bio et des enseignes de distribution spécialisée : outils de planification des cultures et de lissage des prix. » Ouf ! —

MULTIPLIER LES CIRCUITS COURTS

« Consommateurs cherchent maraîcher bio pour alliance durable ». En dix ans, près de 700 Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) sont sorties de la terre française. A tel point qu’aujourd’hui les maraîchers ne peuvent satisfaire la demande. Selon la dernière enquête sur les structures des exploitations agricoles, les circuits courts concernaient, en 2007, 80 000 exploitations en France, soit un quart d’entre elles, sous une forme ou une autre : marchés de producteurs, vente à la ferme, abonnement à des paniers, etc. Sans oublier les fermes-cueillette et les jardins d’insertion. Et depuis, les Amap ont encore grossi. Bref, les circuits courts sont en effervescence. Et pour cause : sans intermédiaire, le producteur garde la marge pour lui et le client bénéficie de prix plus bas, d’une parfaite traçabilité et de produits frais. En prime, les citadins recréent un lien avec les paysans.

Des histoires de tomates

Chez Val Bio Centre, on produit des fruits et des légumes bio livrés chaque semaine à 2 500 abonnés – engagés pour un an – des agglomérations parisienne et orléanaise. Dans les « paniers du Val de Loire », 4 à 5 variétés de légumes et, le plus souvent possible, une variété de fruits. A l’arrivée, 5 à 6 repas pour deux personnes, pour 13,80 euros. L’association a démarré en 2004 avec 15 producteurs de la région Centre. Elle en réunit aujourd’hui 34, qui cultivent 300 hectares, auxquels il faut ajouter 6 jardins d’insertion, un lycée agricole et un Etablissement de service d’aide par le travail. 600 tonnes de fruits et légumes ont été produits en 2010 et déposés dans 100 000 paniers, pour un chiffre d’affaires de 1,66 million d’euros. Et les voyants sont au vert. Grâce à 28 producteurs de plus d’ici à 2013, on atteindra 137 000 paniers annuels.

Ce succès tient en un mot : planification. Dans « l’agriculture de demain, on ne peut plus se permettre de planter et de voir si ça se vend le jour de la récolte », affirme Thierry Hanon, administrateur de l’association. Ici, on se réunit chaque année en octobre pour décider qui va produire quoi. Et les producteurs fixent eux-mêmes leurs prix. Les membres du réseau « s’échangent des tuyaux, raconte Thierry Hanon. Et on a embauché un technicien qui fait circuler les bonnes pratiques. Si l’un des producteurs livre des choux-fleurs plus beaux qu’un autre, le technicien va voir le premier pour donner des conseils au second. » Il y a aussi les « fermoscopies ». Un consultant fait alors l’analyse complète d’une exploitation. Sans compter les réunions par produit. Une ou deux fois par an, on rassemble par exemple les producteurs de tomates qui se racontent des histoires de tomates, avant d’établir un calendrier de production. « Et en 2011, promet l’administrateur, on va démarrer des formations sur l’analyse financière des fermes. Parce que l’organisation et le temps de récolte ont un impact important sur le coût des légumes. »

Persil tubéreux

Pour Thierry Hanon, « assurer la régularité et la variété des livraisons, c’est plus facile quand on est 35 que quand on est tout seul. Dans une Amap, si tu as le moindre incident climatique, tu peux assurer. Nous avons une logique de planification différente, une grande sécurité. Ce qui nous permet d’élargir la gamme, de faire de l’igname, du persil tubéreux, des asperges… Un producteur seul ne peut pas faire les légumes de base plus les légumes oubliés sans que ça devienne invivable. » —

ACCUEILLIR DANS LA FAMILLE BIO LES PRODUITS PRÉPARÉS

Le groupe Léa Nature fabrique et distribue plus de 1 300 produits bio et naturels. Son patron, Charles Kloboukoff, en est convaincu – comme bien d’autres –, le secteur ne pourra pas décoller sans une solide industrie de transformation. En façonnant des biscuits, des compotes ou des plats préparés, on élargit les débouchés et on gagne en valeur ajoutée. Dans les faits, le nombre de « préparateurs » augmente d’année en année. Pour l’Agence bio, cette appellation regroupe les bouchers, boulangers, restaurateurs, terminaux de cuisson, entreprises de transformation… En 2010, ils étaient 7 300 certifiés bio. C’est 16 % de plus qu’en 2009.

Le voyage des tournesols

« Pendant vingt ou trente ans, raconte Charles Kloboukoff, l’industrie de la transformation bio était essentiellement concentrée sur des PME-PMI. Mais elles n’ont pas les outils dimensionnés pour des grosses séries. Depuis deux ans, on voit donc des acteurs du secteur conventionnel détourner des plages de production pour répondre aux demandes des marques de distributeurs. Ils font du bio pas cher à leurs clients classiques, pour leur faire plaisir. »

Chez Léa Nature, entre 65 % et 70 % des références sont fabriquées en interne, dans l’une des trois unités de production, près de La Rochelle, dans le Gers et dans le Lot-et-Garonne. Le reste est importé, principalement d’Europe de l’Ouest. « On s’est aperçus par exemple que le tournesol cultivé près de chez nous est pressé à l’étranger et parcourt près de 2 500 km avant de nous revenir sous la forme d’une bouteille d’huile. » Pour lutter contre ce genre d’aberration, Charles Kloboukoff développe à tout va. Il vient de cofinancer l’érection d’un silo avec d’autres entreprises et des coopératives agricoles de Poitou-Charentes. L’objectif : initier un véritable pôle agro-industriel. Le patron pressé a aussi une nouvelle usine de biscuits dans les tuyaux ; il s’est rapproché de la société Ekibio pour coproduire des soupes et des galettes de riz dans le Parc naturel de Camargue ; il a racheté deux entreprises de produits traiteur, Kambio et BPC…

Respecter les savoir-faire

« Si on ne valorise pas les produits bio, les grandes enseignes iront chercher ailleurs, plaide-t-il. L’enjeu est le suivant : est-ce qu’on veut une seule usine pour toute l’Europe qui fabrique des produits standardisés ou bien des petites unités, inscrites dans une filière locale, avec une variété de produits qui respectent les savoir-faire de chaque région ? » —

DEVENIR DES ANGES GARDIENS POUR LES PAYSANS SANS TERRE

Les candidats à l’installation en agriculture bio ne manquent pas. La terre disponible, elle, si. Et quand on n’est pas du sérail, l’obstacle se transforme en montagne. Sébastien Beaury a 42 ans. Après avoir bourlingué en Afrique, il passe son brevet professionnel au lycée agricole en 2007-2008, avec une spécialité caprine et fromagerie. « Dès ma formation, j’ai cherché des terres. C’était un gros souci. Si on n’hérite pas de ses parents, si on n’est pas du milieu, on ne vous fait pas confiance. »

Terre de liens tente de remédier à ce problème depuis 2003. Chaque semaine, martèle l’association, 200 fermes sont rayées de la carte et 1 300 hectares de terres fertiles couverts de bitume. En deux mois, c’est la surface de Paris qui disparaît. Les rares terres libérées sont accaparées par de grandes exploitations, pour des cultures souvent tournées vers l’exportation (maïs, céréales).

Terre de liens répond avec trois outils. La Foncière permet à chacun d’acheter des actions à partir de 100 euros. Le capital récolté est investi dans des terres. Il s’élève aujourd’hui à 14,8 millions d’euros, avec 5 200 actionnaires. 70 fermes ont été acquises ou vont l’être. Sur ces 1 900 hectares, 138 agriculteurs ont pu s’installer. Le second outil est un fonds qui reçoit des legs, des dons en argent ou en terres agricoles. Enfin, la France est maillée d’associations pour accompagner les projets et sensibiliser le public.

Chèvres parrainées

Sébastien Beaury a pris langue avec Terre de liens début 2009. « J’avais présenté mon projet aux élus du coin. Quand ils voyaient passer quelque chose, ils m’appelaient. » Pour convaincre un propriétaire d’Indre-et-Loire, Sébastien a dû s’accrocher, mais il a fini par parapher un compromis de vente en mars 2009. Mais avec un apport personnel très faible, des terres et un bâti à 250 000 euros, plus un budget matériel et travaux à 200 000 euros, il a eu besoin du coup de pouce de Terre de liens.

« Ils m’ont conseillé de créer un groupe de soutien. J’ai réuni 15 ou 20 proches, des agriculteurs bio, des élus, des citoyens. Je leur ai demandé de devenir des ambassadeurs du projet et de récolter de l’épargne pour moi. » Quand on souscrit une action à la Foncière, on peut choisir de l’affecter à un projet en particulier. « Avec Internet, c’est allé très vite. J’ai reçu 60 000 euros de promesses d’épargne en trois semaines ! Mon dossier a été accepté fin avril au comité d’engagement. Mon réseau a continué à travailler tout seul et peu après j’ai atteint 93 000 euros. » Sébastien nourrit ses 80 chèvres laitières grâce aux 22 hectares de pâturage appartenant à la Foncière. Il a « signé un bail environnemental de neuf ans » et s’engage « à des pratiques proches du cahier des charges bio ».

Pour boucler son budget, Sébastien est allé voir des banques classiques. « Ils ont émis des doutes sur mes capacités techniques, sur la commercialisation de mes produits, alors que tous mes indicateurs étaient au vert. J’avais fait parrainer mes chèvres par des membres d’une Amap : contre 15 euros, ils leurs donnaient un prénom et je les dédommageais en fromages. Cinq Amap s’étaient engagées à l’avance. J’avais une lettre du pédégé de Biocoop France s’engageant à acheter mes produits… » Les banques ont dit non.

Se réapproprier l’alimentation

L’éleveur s’est alors tourné vers la Nef, qui a accepté en 24 heures. Le Crédit coopératif a suivi. Mais ils l’ont fait aux taux du marché, les deux établissements n’étant pas habilités à proposer les taux bonifiés – à 1 % – prévus pour les agriculteurs. Selon Sébastien, les banques classiques n’aiment pas Terre de liens. « Avec eux, la terre appartient à tout le monde, c’est aux citoyens de se la réapproprier, tout comme ils doivent se réapproprier leur alimentation. Les paysans sont là pour respecter la terre. Je trouve ça très beau. » —

SE SERRER LES COUDES

Chaque jour, 11 nouveaux producteurs sont certifiés bio. En pleine croissance, le secteur doit s’organiser. Filière par filière, on réfléchit à la meilleure façon de construire un marché équilibré. C’est le cas par exemple dans celle du lait, en plein boom. Selon le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, la production a augmenté de 8,8 % entre 2008 et 2009. Et la progression est exponentielle : il y a eu autant de conversions au premier semestre 2010 que pendant toute l’année 2009. Mais malgré les 256 millions de litres de lait bio collectés en 2009, on en importe encore massivement du Danemark, d’Allemagne, ou de Suisse. « Nous n’avons pas de chiffre précis, concède Stéphanie Pageot, secrétaire nationale de la Fédération nationale de l’agriculture bio et responsable de la commission lait. Mais nous estimons le volume des importations entre 70 et 100 millions de litres. »

Ce monde-là n’est pas encore très soudé. Il existe 10 organisations collectives de producteurs laitiers bio en France. Mais plus de 70 % des éleveurs bio n’en font pas partie. Se serrer les coudes serait pourtant une bonne idée. Le lait conventionnel est vendu sur un marché international. Une partie de la production française part à l’export sous forme de poudre de lait. Ses prix fluctuent en fonction d’aléas mondiaux. Du coup, celui du lait bio aussi. « Mais on ne veut pas être connecté au prix du lait conventionnel, déclare Stéphanie Pageot, elle-même productrice en Loire-Atlantique. Notre marché est différent. Nos débouchés sont nationaux. Nous transformons encore très peu. Et les prix du conventionnel ne tiennent pas compte des coûts de production. »

L’organisme Biolait, qui collecte et commercialise la production de 500 producteurs sur 50 départements, avec pour objectif un « développement solidaire de la filière », a trouvé la parade. Depuis quelques années, il signe des contrats avec les transformateurs. Du coup, « l’ensemble des producteurs, adhérents du groupement, perçoivent le même prix de base quels que soient leurs volumes et leur situation géographique », explique Christophe Baron, président de Biolait. Cette pratique, Stéphanie Pageot voudrait la généraliser. « La loi de modernisation agricole (de juillet 2010, ndlr) impose une contractualisation entre acheteurs et producteurs. Il faut que l’on s’organise pour négocier ensemble. De la même façon, lorsque l’on attend des surplus, nous devons décider conjointement de produire moins pour éviter une chute des prix. » —

EN FINIR AVEC LA VALSE DES LABELS

S’il n’y a pas de label, je n’achète pas ! Pas de bio sans système de certification légitime. Or ce système coûte cher. « Pour les plus petits, qui ont une production variée, qui font de la transformation et de la vente directe, les frais sont trop lourds », souligne Juliette Leroux, chargée de mission réglementation à la Fédération nationale de l’agriculture bio. C’est vrai aussi pour toutes les petites fermes des pays de l’Europe de l’Est, nouvellement entrés dans l’Union européenne. Elles ont des pratiques proches du bio, mais n’ont pas financièrement accès à la certification. Du reste, est-il nécessaire que les producteurs paient ? En France, certains Conseils régionaux leur règle une partie des contrôles. En Belgique, ils sont entièrement financés par l’Etat.

Un macaron moins exigeant

Autre souci du moment : les organismes certificateurs ont du mal à suivre le rythme des conversions. « Le risque, c’est que les contrôles deviennent trop administratifs, poursuit l’experte. Certains producteurs se plaignent qu’on se contente de vérifier leurs factures. Or le bio n’est pas juste une série d’obligations, c’est un projet global, avec du sens. » Bref, il faut réformer.

De son côté, l’Union européenne vient d’unifier le système et le label français AB est progressivement remplacé par un autre logo commun aux 27 – une feuille poinçonnée d’étoiles. Il correspond à un cahier des charges moins sévère. Du coup, plusieurs organisations françaises ont créé un nouveau label privé, plus exigeant. Quand le macaron européen accepte les fermes mixtes – conventionnelles et bio –, les traces d’OGM résiduelles, ou la séparation entre l’élevage et la production de nourriture, « Bio cohérence » dénonce les risques de dérive « d’un bio intensif ».

Solidifier le système

Attention, répondent pourtant certaines voix : ce nouveau label risque de plonger les consommateurs dans la confusion, alors que le label européen était censé solidifier le système. Les consommateurs choisiront en faisant leurs courses : la balle est aussi dans votre camp. —

L’AGRICULTURE CONVENTIONNELLE SE RAISONNERA-T-ELLE ?

Dans cinquante ans, trois siècles ou… jamais ? En attendant le 100 % bio, améliorer les pratiques de l’agriculture conventionnelle, ce n’est pas un doux rêve. Cela fait d’ailleurs partie des objectifs du Grenelle qui prévoit 50 % de pesticides en moins en dix ans, « si possible ». Le plan porte un nom : « Ecophyto 2018 ». L’Union européenne, elle, a publié en 2009 une directive pour l’utilisation soutenable des pesticides. Pas à une contradiction près, elle accorde aussi de nouvelles dérogations pour l’utilisation de pesticides interdits ! En 2007, cela concernait 59 cas, en 2010, 321. Concrètement, comment s’y prend-on pour raisonner une agriculture devenue folle de la chimie ? Selon l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), on peut, d’ici à 2018, réduire d’un tiers l’utilisation de pesticides par rapport à 2006 « sans bouleversement majeur des systèmes de production » (1). Et les rendements ? Même pas mal : « En grandes cultures, qui représentent l’essentiel des surfaces et de l’utilisation des pesticides, les marges seraient peu ou pas touchées par rapport aux prix de 2006, mais une baisse de production de 6 % serait observée. » Pour atteindre l’objectif de 50 %, il faudrait « une nouvelle conception des systèmes de production ». Traduction : allonger les rotations, introduire des variétés. Tout cela aurait « des effets significatifs sur le niveau de production et les marges ».

Pour Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, « les méthodes agro-écologiques » sont incontournables (2). Elles ont « prouvé leur capacité à accroître la production et à améliorer les revenus des paysans, tout en protégeant les sols, l’eau et le climat ». Au programme : culture d’arbres et de plantes maraîchères sur la même parcelle, contrôle biologique – avec des prédateurs naturels, comme les coccinelles qui dévorent les pucerons –, utilisation de fumier biologique, mélange de cultures et d’élevage de bétail, etc. —

(1) Etude Ecophyto R&D parue en janvier 2010.

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