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25-04-2011
Mots clés
Société
France
Japon
Interview

« On dit que la sécurité nucléaire n’a pas de prix. Ce n’est pas vrai »

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« On dit que la sécurité nucléaire n'a pas de prix. Ce n'est pas vrai »
(Crédit photo : Jürgen Nefzger)
 
Bertrand Barré et Bernard Laponche ont tous deux travaillé au Commissariat à l’énergie atomique. Mais sur les chiffres de Fukushima comme sur nos options énergétiques, ils divergent. Confrontation.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Terra eco : Peut-on chiffrer le coût précis de Fukushima ?

Bertrand Barré : C’est prématuré. L’accident est encore en cours. Et il sera difficile de faire la part des choses entre l’accident nucléaire et le tsunami.

Les autorités japonaises parlent de trente ans de travaux et de 8 milliards d’euros pour décontaminer et déconstruire le site…

B.B. : A Three Mile Island (un accident a eu lieu dans cette centrale américaine le 28 mars 1979, ndlr), il a fallu douze ans de travaux, plus deux ans d’autorisations administratives. A Fukushima, il y a quatre réacteurs endommagés mais les moyens d’intervention ont fait des progrès. Trente ans est une estimation maximum, mais pas idiote.

Bernard Laponche : Il y a le coût de la perte de quatre réacteurs. Et au minimum, c’est dix milliards d’euros pour nettoyer le site. S’y ajoute la perte de production électrique. Et puis surtout, il y a l’état de la zone extérieure, contaminée, ce qui n’était pas le cas à Three Mile Island. Mais à mon avis, le plus grave, c’est la contamination de la mer.

Tepco ne pourra probablement pas payer pour toutes les conséquences liées à la catastrophe…

B.B. : Oui, l’exploitant a une assurance jusqu’à un certain niveau. Au-delà, l’Etat entre dans la boucle. Comme pour n’importe quelle grande catastrophe.

Comment est assurée une centrale en France ? Que se passe-t-il en cas d’accident similaire ?

B.B. : C’est à peu près le même schéma qu’à Fukushima. Un groupe d’assureurs prend en charge le coût jusqu’à un certain niveau. Si cela dépasse, l’Etat prend le relais. Mais c’est comme si vous me demandiez qui a payé pour la rupture du barrage de Malpasset qui avait fait plus de 400 morts à Fréjus (en 1959, ndlr). En dernier ressort, c’est l’Etat.

Si le nucléaire n’assume pas l’intégralité financière de ses risques, peut-il être sûr ?

B.B. : Je ne vois là rien de spécifique au nucléaire. Pour n’importe quelle catastrophe de grande ampleur, les pouvoirs publics – et donc en définitive le contribuable – sont obligés de payer.

B.L. : Quand il y a une marée noire, un procès a lieu et désigne un responsable, qui n’est pas la collectivité. Si les compagnies qui exploitent les centrales nucléaires étaient financièrement responsables, il y aurait beaucoup moins de centrales, car elles ne prendraient pas ce risque. Or, que se passe-t-il ? On reporte sur la collectivité la responsabilité d’un accident qui est lié à une certaine technique et à une certaine entreprise. C’est anormal.

Que faire ? Faire payer les entreprises ? Envoyer les dirigeants en prison ?

B.L. : Si les assurances refusent de prendre ce risque, il ne faut pas mener ce genre d’activité.

Le scénario est-il similaire à la crise financière de 2008, avec des acteurs – les électriciens – trop importants pour que l’Etat les laisse tomber ?

B.B. : Quoi qu’il arrive à une société qui produit la quasi-totalité de l’électricité d’un pays, l’Etat ne la laissera jamais faire faillite. Ce n’est pas possible.

B.L. : C’est justement là que notre système coince. Ces sociétés prennent la responsabilité de construire des centrales à certains endroits. Elles affirment qu’elles les pilotent avec le maximum de sûreté, mais ne prennent pas la pleine responsabilité de ce qui peut se passer. De fait, lorsque vous discutez avec des compagnies d’assurance, elles disent qu’elles ne sont pas prêtes à couvrir le risque d’accident nucléaire. On dit que la sûreté n’a pas de prix. Ce n’est pas vrai.

Areva a développé des arguments autour de l’énergie « bas carbone », de la responsabilité sociétale, de l’amélioration continue. Peut-on dire que le nucléaire est « durable » ?

B.B. : Oui. Dans notre monde où l’Inde, la Chine et l’Indonésie se développent, où la population mondiale passera de 7 à 9 milliards d’habitants en 2050, l’électricité que nous ne produisons pas à base de nucléaire se fera à partir du gaz ou du charbon. Je pense qu’il vaut mieux faire du nucléaire.

B.L. : Une technique qui produit des déchets radioactifs dont on ne sait que faire ne peut pas être considérée sans impact grave sur l’environnement. Le fait d’émettre peu de CO2 n’est pas le seul critère de la « durabilité ». La sûreté et le risque d’accidents de type Fukushima sont un autre critère…

B.B. : C’est vrai.

B.L. : Le nucléaire est meilleur que les fossiles pour ce qui concerne l’impact sur le changement climatique. Mais les énergies renouvelables non plus n’émettent pas de CO2. Or, elles ne produisent pas non plus de déchets et n’engendrent pas d’accidents de la gravité de Fukushima. Dans le monde, 13 % de l’électricité est d’origine nucléaire, 19 % d’origine renouvelable, incluant l’hydraulique. Nous avons donc le choix. On ne peut absolument pas considérer le nucléaire comme « durable ».

Renversons la question : peut-on se passer de nucléaire pour contenir le réchauffement sous les 2 degrés, comme le réclament les scientifiques ?

B.B. : Pour le moment, les énergies renouvelables, pour la plupart intermittentes, ne sont pas en mesure de fournir un service équivalent au nucléaire. Je n’insulte pas l’avenir en disant que ce ne sera jamais possible. Mais à ce jour, ça ne l’est pas.

B.L. : D’abord, on sait que le nucléaire fait gagner au maximum 20 % sur les émissions de gaz à effet de serre de la France. Ensuite, l’Agence internationale de l’énergie dit que pour réduire nos émissions, la moitié de l’effort est lié à nos économies d’énergie. Selon moi, la priorité des priorités est là.

B.B. : C’est un de nos points d’accord.

B.L. : Il faut donc mettre le paquet là-dessus. Une fois les économies d’énergie réalisées, on a plus de marge de manœuvre pour développer les renouvelables. Revenons à Fukushima : que peut-on dire du bilan en termes sanitaires ?

B.B. : L’évacuation a été lancée à temps. Les dégâts dus aux radiations seront négligeables pour les populations. Mais il y a les conséquences de l’évacuation. Après Tchernobyl, 240 000 personnes sont arrivées dans des villages où elles étaient considérés comme des pestiférés. Ces traumatismes font partie des conséquences sanitaires. 750 à 800 personnes sont intervenues sur la centrale de Fukushima. Leur dose limite a été remontée à 250 millisieverts. Jusqu’à 100, on ne voit rien. Monter à 250, c’est accepter un risque. Ces équipes de Tepco, ces militaires, ces pompiers devront rester sous surveillance. Ils ont pris des doses, mais pas monstrueuses. A Tokyo, pour l’instant et en l’état, il n’y a pas de conséquences sanitaires.

B.L. : Je serais d’une grande prudence sur les déclarations des autorités japonaises…

Le bilan est donc de 800 personnes affectées ?

B.B. : Pour l’instant.

B.L. : Oui, mais il faudra regarder les problèmes de contamination des terrains, des légumes, de l’eau.

B.B. : On sait qu’il y aura plusieurs saisons condamnées pour les récoltes dans certaines zones.

Les Tokyoïtes auraient-ils pu être menacés ?

B.B. : Si les bouffées de vapeur étaient parties vers Tokyo, s’il avait plu… Il y a toujours des si. Coup de chance, les premiers relâchements sont partis vers l’océan. Ces rejets très dangereux se sont vite dissipés.

Si les vents avaient été défavorables, Tokyo était donc en grave danger ?

B.B. : Pour l’instant, on peut dire que le risque sanitaire à Tokyo est nul. Mais il y avait effectivement une hypothèse météo avec des radiations sur la ville et un risque sanitaire beaucoup plus forts. On a eu de la « chance » dans les premiers jours. Mais il y a eu une nouveauté : tous nos scénarios d’accident maximum ont été construits en supposant qu’un pays continuait de fonctionner normalement autour. On n’avait pas élaboré de scénario dans lequel on commence par dévaster le pays, puis on démarre l’accident.

B.L. : Le problème du nucléaire est qu’il s’agit d’une technologie complexe, qu’on ne peut pas totalement maîtriser. A chaque fois, on ajoute des éléments : une, puis deux enceintes de confinement. Je vous fiche mon billet que s’il y a, même sur un EPR, une rupture totale d’alimentation électrique, alors le cœur fondra. Cela fait trente ans que j’entends : « Le coup d’après, on va faire mieux ». Et pourtant, quinze jours avant Fukushima, on a eu en France des incidents sur des diesels de secours dans plusieurs centrales.

Pour l’électricité, nous sommes dépendants du nucléaire. Or, on n’a pas été consultés à ce sujet.

B.B. : C’est faux. La décision du grand programme nucléaire n’a pas été prise par un régime tyrannique ! Le Parlement vote les budgets du CEA, les augmentations de capital d’EDF, approuve le prix de l’électricité. Il y a eu débat public en 2003, en 2005, en 2009 encore pour [l’EPR de] Penly.

B.L. : Dans le cas de l’EPR, la décision a eu lieu avant le débat. Là-haut, ils n’en ont rien à faire de nos débats. Maintenant, il faut dire les choses. Si les vents avaient été défavorables, Tokyo aurait été touché. Je ne pose même pas la question sanitaire mais de l’évacuation d’une ville de 35 millions d’habitants. Et à Paris ? S’il y a un incident à Nogent-sur-Seine (Aube, ndlr) et qu’on dit aux gens de ne pas aller chercher leurs enfants à l’école, que se passera-t-il ? Ils iront ! Et moi, j’attends toujours le plan d’évacuation de Paris. —

Bertrand Barré

Ingénieur, il a fait toute sa carrière au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Désormais retraité, il demeure conseiller scientifique auprès de l’énergéticien Areva.

Bernard Laponche

Physicien, passé par le CEA, il a été directeur de l ‘AFME (l’ancêtre de l’Ademe), puis conseiller technique de Dominique Voynet au ministère de l’Environnement en 1998.
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Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net

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Rédactrice en chef à « Terra eco ».

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