publicité
haut
Accueil du site > Actu > Santé > Maladies sur ordonnance
Article Abonné
26-04-2007
Mots clés
Marques, Marketing
Santé
Monde

Maladies sur ordonnance

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
 
Comment doper les ventes d’un médicament ? En inventant de nouvelles maladies. Cette stratégie marketing s’est transformée en jackpot pour l’industrie pharmaceutique.
SUR LE MÊME SUJET

Automne 2001. En plein traumatisme post-11 septembre, le laboratoire pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline (GSK) lance un pavé dans la mare : des « millions d’Américains » souffriraient de « troubles d’angoisse sociale ». Epidémie ? Non, stratégie marketing. C’est Cohn & Wolfe, l’agence de relations publiques du laboratoire, qui tire les ficelles. Sa mission est limpide. Il s’agit de doper les ventes d’un antidépresseur du nom de Paxil, laminé par son concurrent mondialement connu : le Prozac. Et l’agence Cohn & Wolfe casse les habitudes de la profession. Plutôt que vanter son médicament, elle opte pour une campagne « d’information » à destination du grand public et des médias. Cohn & Wolfe va créer et « vendre » à l’opinion un trouble mental calibré pour les propriétés du Paxil. Bingo ! En 2003, le Paxil offre à lui seul une ligne de recettes de 3,4 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros) à la société GlaxoSmithKline. Et ce, en dépit d’effets secondaires chez les enfants, qu’aurait dissimulés le laboratoire.

Avec cette technique, l’industrie pharmaceutique donne la fièvre pour ensuite prendre la température et les prescriptions qui vont avec. En jargon marketing, on appelle cela du « disease mongering ». Ou comment « construire » une maladie pour vendre des médicaments. Calvitie, problèmes d’érection masculine, dysfonction sexuelle féminine, hyperactivité de l’enfant, dépression : ces syndromes, authentiques mais complexes à définir et à quantifier, sont montés en épingle par l’industrie pharmaceutique nord-américaine.

En fait, le phénomène s’est accéléré en partie grâce à la réglementation sur le « direct to consumer advertising », par laquelle les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande autorisent la publicité grand public pour des médicaments sur prescription. En cause aussi, les journalistes qui laissent suggérer au lecteur qu’il est atteint de la maladie décrite. Une étude publiée par la revue en ligne PLoS Medicine a passé au crible 33 articles de presse sur le syndrome des jambes sans repos (« restless legs »). Particularité de ces articles : ils ont tous été écrits dans le sillage d’une campagne de communication de plusieurs millions de dollars commanditée par le laboratoire GSK. L’objectif de la campagne consiste à vendre la molécule Requip, présentée comme le seul traitement contre ce syndrome. Le bilan de l’étude est sans appel. Selon son auteur, « les journalistes ont exagéré les bénéfices du traitement, la gravité du symptôme (en y voyant un facteur de suicide), et ont manqué d’esprit critique ». GSK France a même bouclé la boucle en octroyant des bourses à trois chercheurs planchant sur ce même syndrome.

L’Europe n’est donc pas en reste. Des laboratoires développent des médicaments du bien-être : des « life style drugs », dans la lignée de l’Intrinsa, « premier dopant de la libido féminine » et commercialisé depuis peu par Procter & Gamble. Or, ces life style drugs « élargissent les frontières des maladies, alors que les gens ne veulent pas être considérés comme des patients », souligne le journaliste Jörg Bletch.

Les dysfonctions du désir, un énorme marché

De fait, la start-up Neorphys brevette depuis septembre 2005 des molécules de médicaments du bien-être, destinés à « rendre la vie plus agréable plutôt que de soigner », précise son fondateur Roger Lahana. « Une femme sur trois est affectée par des troubles du désir à un moment de sa vie. Mais les dysfonctions du désir ne sont pas une maladie. Ce segment représente un marché potentiel de 20 milliards d’euros par an », s’enflamme-t-il. Un raisonnement développé par les laboratoires eux-mêmes : « Notre travail consiste à identifier un besoin, sans le créer. Mais on ne peut reprocher à notre industrie de vouloir apporter des réponses aux problèmes des gens », nuance Marc Cluzel, directeur de la recherche et du développement chez Sanofi-Aventis. Pelvipharm, prestataire de recherches pour des laboratoires, planche aussi sur les troubles sexuels féminins, un « domaine médical presque vide », estime le professeur François Giuliano, directeur scientifique de Pelvipharm.

En filigrane, il s’agit de « mettre au point des médicaments que l’individu prendra toute sa vie », tranche Philippe Pignarre, ancien cadre chez Sanofi-Aventis. Et ce, sur un marché très concurrentiel, où les médicaments « pèsent » plus de 400 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. Dont 40 milliards en France en 2005, contre à peine 20 milliards en 1995, d’après le Leem, le syndicat des entreprises du médicament. Il faut assurer la relève, alors que certains des brevets de médicaments stars des grands laboratoires commencent à tomber dans le domaine public. Et vont faire fondre les chiffres d’affaires de plusieurs millions d’euros.

Forcément, le « disease mongering » soulève des questions de santé publique. Surmédicalisation de la population, creusement des budget des caisses nationales de Sécurité sociale, méconnaissance de la toxicité à long terme de ces médicaments : la liste est longue. Du coup, la résistance s’organise. Des associations de consommateurs comme le groupe Women and health protection aux Etats-Unis ou le Medical reform group, constitué de 200 médecins, dénoncent les pratiques « abusives » de l’industrie pharmaceutique. En Grande-Bretagne, the Consumer’s Association publie régulièrement des enquêtes sur les stratégies des poids lourds de la pharmacie destinées à catégoriser les patients. Des médecins et journalistes ont par ailleurs lancé des vigies sur Internet, qui décryptent la qualité des informations médicales. Le site Média doctor Australia décortique la presse, note et commente chaque article. Des équivalents existent aussi outre-Atlantique avec Health news review au Canada, ou avec Behind the medical headlines en Grande-Bretagne. Cette information alternative suffira-t-elle à inciter l’industrie pharmaceutique mondiale à privilégier les dépenses en recherche-développement plutôt qu’en marketing ?

LIRE AUSSI

- De la molécule au médicament
Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter
7 commentaires
TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
  • De nos jours augmenter sa libido est quelques chose de rechercher pour beaucoup d’hommes , avez-vous des conseils à donner ?

    15.06 à 15h46 - Répondre - Alerter
  • C’est le genre d’info qui me laisse pantoise ! je me sens toujours incrédule devant ça, je n’arrive pas à croire qu’on puisse faire preuve d’autant d’irresponsabilité, voire de cynisme. Ca me fait penser au débat sur les OGM (débat dont on nous a privés) : comment être lucide sans tomber dans la paranoïa ? D’autant que vous, médias, n’êtes pas épargnés par la suspicion. Quels gages nous donnez-vous de votre rigueur morale ?

    27.04 à 14h17 - Répondre - Alerter
    • Je ne comprends même pas que l’on puisse émettre ce genre de propos et que des journalistes puissent les publier.
      Il faut qu’ils sachent qu’ils peuvent très bien ne pas être épargnés par la "maladie sur ordonnance" surtout lorsqu’ils auront passé plusieurs nuits sans dormir. A ce moment là ils comprendront que cette maladie existe et que les personnes qui en sont atteintes souffrent de la maladie et de l’incompréhension de l’entourage.
      Elise

      29.04 à 15h25 - Répondre - Alerter
      • Enfin, on ose dire les choses qui fachent !

        Ah c’est sur, cela gène ceux qui prennent des médicaments, ceux qui sont dépendants de ce marché fleurissant.
        Chercher des escuses en se disant : " ah mais oui, j’ai une maladie", c’est exactement ce que l’industrie pharmaceutique souhaite. Et il y a tellement de gens qui tombent dans le panneau.

        Après quand je lie que certaines personnes font l’amalgame entre toutes les maladies, il ne faut pas généraliser.
        Beaucoup de maladie sont guéries ou diminués grace aux médicaments.

        Mais le sujet de l’article, ce n’est pas ça. Ici, on parle de maladie quasi inventée ou bien surgonflée pour que l’industrie (et c’est bien le but d’une industrie ...) puisse vendre encore plus ...

        Bref, sans réelle surprise, j’ai beaucoup apprécié ce sujet ... Au moins, il permet de poser des questions, d’ouvrir les yeux (enfin, pour ceux qui peuvent, ou veulent ...)

        3.05 à 11h59 - Répondre - Alerter
      • Je ne vois pas en quoi cet article dénie la réalité de la souffrance des patients, bien au contraire !
        Il devient en effet difficile aux médecins sérieux, attentifs, à l’écoute, de faire leur travail puisque la publicité a déjà convaincu le patient du meilleur moyen de le guérir ou le soulager. Il se peut que cela corresponde à son besoin, pourquoi pas ? Mais le laboratoire pharmaceutique s’en moque éperdument. C’est bien le laboratoire qui est dans le déni sur deux aspects :

        1) La personne qui souffre (en tant qu’être humain) ne l’intéresse aucunement. Seule cette souffrance l’intéresse comme moyen d’agir sur la personne pour accroître ses profits. Il s’intéresse d’abord à sa rentabilité (l’efficacité du médicament n’est qu’accessoire - si la règlementation n’existait pas, nous retournerions aux charlatans d’antan)

        2) Il dénie notre humanité, c’est-à-dire la complexité humaine, la complexité des symptômes, nos différences, et de ce fait rend encore plus difficile la possibilité d’être entendu par l’entourage.

        23.08 à 10h07 - Répondre - Alerter
        • il ne faut pas oublier une chose : les médicaments (au moins ceux sur ordonnance) sont approuvés par les pouvoirs publics, et que le rôle du médecin n’est pas de prescrire ce que demande le patient, mais d’abord de faire un diagnostic, et on pourrait supposer que des années d’études aiguisent le sens critique...donc oui l’industrie s’enrichit mais parce qu’on lui donne la possibilité de le faire ...(les nombreux médicaments recalés avant d’arriver sur le marché en attestent )

          23.08 à 22h17 - Répondre - Alerter
      • Surement trop de television (cf. Mission Impossible 2)...ca fait des gens moins intelligents. Et cette voici, les victimes ne seraient pas les pays du tiers monde, mais les pays riches...J’ai pas vu ces temps-ci d’epidemie en Europe, ou a Beverly Hills aux USA. Il est vrai que l’industrie pharmaceutique a tente de d’assassiner 2 canards et 3 cignes dans les Vosges a base de virus H5N1...

        Un peu navre de constater que "terra economica" publie des articles de cette qualite...

        Voir en ligne : Maladies sur ordonnance

        23.08 à 11h10 - Répondre - Alerter
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas