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20-01-2005
Mots clés
Géopolitique
Moyen-Orient
Monde

Les occidentaux détalent

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Personne ne l'appelle par son nom, mais c'est bel et bien une évacuation. 1500 entrepreneurs quittent l'Irak, et les gouvernements débutent les opérations de rapatriement de leurs ressortissants...
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...En quittant l’usine, je songeai que j’en savais moins qu’à mon arrivée. Mais sur le chemin de la sortie, un jeune garde tendit un mot à mon interprète. Il voulait nous voir après le travail dans un restaurant proche, "pour comprendre ce qui se passe réellement avec la privatisation". Il s’appelait Mahmud, avait 25 ans, une barbe taillée de près et de grands yeux noirs. Son histoire démarrait en juillet, quelques temps après l’annonce par Bremer de la vague de privatisations. Sur le chemin du travail, le directeur de l’entreprise fut abattu. Selon la presse, parce qu’il soutenait le projet de privatisation. Selon Mahmud, au contraire, parce qu’il y était opposé. "Il n’aurait jamais vendu les usines comme le voulaient les Américains. C’est pourquoi ils l’ont tué".

"Nous mettrons le feu"

L’homme fut remplacé par un nouveau directeur, Mudhfar Ja’far. Peu après sa prise de fonctions, Ja’far organisa une réunion avec des fonctionnaires ministériels pour évoquer la vente de l’usine de savon, qui impliquerait le licenciement des deux tiers des salariés. Plusieurs officiers de sécurité de l’usine encadraient la réunion. Ils prirent bonne note des propos de Ja’far et s’empressèrent de rapporter la mauvaise nouvelle à leurs collègues de l’usine. "Nous étions sous le choc", raconta Mahmud. "Si nous étions vendus au privé, la première mesure consisterait à réduire les équipes pour gagner davantage d’argent. L’usine étant notre unique source de revenu, nous serions livrés à un sort funeste".

Effrayés par cette perspective, 17 employés, parmi lesquels Mahmud, firent irruption dans le bureau de Ja’far pour l’interroger. "Malheureusement, il n’était pas là. Il n’y avait que son adjoint, celui que vous avez rencontré", me dit Mahmud. Une bagarre éclata : un employé frappa le directeur adjoint, et un garde du corps tira trois coups dans la direction des employés. Le groupe s’en prit alors au garde du corps, lui subtilisa son arme et, selon Mahmud, "le poignarda dans le dos à trois reprises, avec un couteau. L’homme dut rester un mois à l’hôpital". En janvier, la violence franchit un nouveau palier. Sur le trajet de l’usine, le directeur, Ja’far, et son fils, essuyèrent des tirs et furent grièvement blessés. Mahmud précisa qu’il n’avait aucune idée de l’identité des commanditaires de cette agression, mais je commençais à comprendre pourquoi en Irak les directeurs d’usine jouaient profil bas.

A la fin de notre entretien, je demandai à Mahmud ce qu’il adviendrait si, en dépit de l’opposition des employés, l’usine devait être vendue. "Il y a deux options", me dit-il les yeux dans les yeux, en souriant gentiment. "Soit nous mettons le feu jusqu’à ce qu’il la dévore jusqu’aux fondations, soit nous nous faisons exploser à l’intérieur. Mais elle ne sera pas privatisée". [...]

9 - LES OCCIDENTAUX DETALENT

Comme je quittai Mahmud, j’entendis parler d’une importante manifestation qui se tenait devant le quartier général du CPA. Des partisans du jeune imam radical Moqtada al Sadr s’opposaient à la fermeture de leur journal, Al Hawza, par la police militaire. Le CPA accusait Al Hawza de publication de "fausses nouvelles" susceptibles "de constituer une menace réelle de violence". Le CPA citait par exemple un article accusant Bremer d’"affamer délibérément le peuple irakien, qui, ainsi focalisé sur la quête de son alimentation quotidienne, ne saurait exiger le respect de ses droits individuels et politiques." A mon sens, cela sonnait moins comme de la mauvaise littérature que comme une recette condensée de [l’économiste] Milton Friedman sur la thérapie de choc.

Quelques jours avant la fermeture du journal, je m’étais rendue à la mosquée de Kufa pour écouter al Sadr pendant la prière du vendredi. Une de ses diatribes vilipendait la constitution intérimaire de Bremer, qualifiée de "texte injuste et terroriste". Le message du prêche était clair : qu’importait que le Grand Ayatollah Ali al Sistani eût approuvé la constitution, al Sadr et ses partisans étaient déterminés à la combattre. Et en cas de succès, ils saboteraient le plan minutieux mis sur pied par les "neocons", par lequel ils chargeaient le futur gouvernement de transformer en lois leur "liste de vœux". En fermant le journal [al Hawza], Bremer répondait clairement à al Sadr : il ne négocierait pas avec ce jeune parvenu ; il le sortirait plutôt par la force. [...]

"Y a-t-il une classe business dans l’avion ?"

Le jour de mon départ de Bagdad fut le pire d’entre tous. Fallujah était assiégée et le général Kimmitt brandissait la menace de "destruction de l’armée d’al Mahdi". 2000 Irakiens furent tués dans cette double campagne. On me déposa à un poste de contrôle situé à plusieurs [kilomètres] de l’aéroport, puis je grimpai dans un bus bondé d’entrepreneurs munis de leurs bagages bouclés à la hâte. Personne ne l’appelait par son nom, mais c’était bel et bien une évacuation : dans la semaine qui suivit, 1500 entrepreneurs quittèrent l’Irak, et des gouvernements débutèrent les opérations de rapatriement de leurs ressortissants. Dans le bus, personne ne parlait. Nous écoutions les coups de mortiers, tendant le nez pour apercevoir leur rougeoiement. Un type portant un attaché-case KPMG tenta de détendre l’atmosphère. "Y a-t-il une classe business sur ce vol ?", lança-t-il aux passagers silencieux. L’un d’entre eux, assis à l’arrière, répondit : "Pas encore"...

...Effectivement, la mise en place d’une classe business n’était pas pour tout de suite. En atterrissant à Amman [en Jordanie], nous réalisâmes l’avoir échappé belle. Ce matin-là, trois civils japonais avaient été kidnappés. Et leurs ravisseurs menaçaient de les brûler vifs. Deux jours plus tard, c’est Nicholas Berg qui manquait à l’appel. Personne ne le revit jusqu’à ce que surgisse le snuff movie de sa décapitation, un message encore plus terrifiant pour les entrepreneurs américains que les images des corps carbonisés retrouvés dans les rues de Fallujah. Ainsi débuta une vague de rapts et d’assassinats d’étrangers de divers horizons - Corée du Sud, Italie, Chine, Népal, Pakistan, Philippines, Turquie -, des hommes d’affaires pour la plupart d’entre eux. A la fin juin, les chiffres faisaient état de la mort de plus de 90 entrepreneurs en Irak. Quand sept entrepreneurs turcs furent kidnappés, toujours en juin, leurs ravisseurs exigèrent de leur entreprise qu’elle "annule tous les contrats et retire tous ses employés d’Irak". De nombreuses compagnies d’assurances cessèrent de couvrir la vie des entrepreneurs et d’autres facturèrent des primes de risque, jusqu’à 10000 dollars par semaine pour un dirigeant occidental ordinaire. On dit que des insurgés payaient le même prix pour la tête d’Américains.

10 - PENURIE D’HOMMES D’AFFAIRES

De leur côté, les organisateurs du DBX, la foire aux expositions historique du pays, décidèrent d’aller s’installer à Diyarbakir, charmante petite station balnéaire située en Turquie, à "250 kilomètres de la frontière irakienne, à peine." Un paysage irakien, mais sans Irakiens pour vous inquiéter. Trois semaines plus tard, lors d’une conférence sur le thème "Investir en Irak" organisée à la Chambre de commerce de Lansing, dans le Michigan, quinze participants à peine étaient réunis. Principal invité de l’événement, le parlementaire républicain Mike Rogers tentait de rassurer une audience sceptique, expliquant : "L’Irak n’a rien de très différent de n’importe quelle banlieue encore en friche ici en Amérique." Mais les investisseurs étrangers à qui l’on a promis tous les marchés vierges dont ils pouvaient rêver ne sont pas convaincus et ne donnent toujours pas signe de vie.

...LIRE LA 3e ET DERNIERE PARTIE DE L’ARTICLE

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