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20-01-2005
Mots clés
Géopolitique
Moyen-Orient
Monde

L’endroit le plus dangereux du monde

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Le rêve néo-conservateur de transformer le pays en utopie commerciale est terminé...
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...Économiste chevronné à la Rand Corporation, Keith Crane a travaillé pour le CPA et n’y va pas par quatre chemins : " Je ne crois pas que le directoire d’une société multinationale approuverait la décision d’investir dans ce genre d’environnement. Quand les gens se tirent dessus, ça devient compliqué de faire des affaires." Hamid Jassim Khamis, le directeur de la principale usine de conditionnement de bouteilles de soda dans la région, m’a expliqué qu’il n’arrive pas à trouver le moindre investisseur, et ce en dépit de l’exclusivité de production de Pepsi pour tout l’Irak central, dont il a décroché les droits. "Beaucoup de gens nous ont approché, qui souhaitaient investir dans l’usine, et ces mêmes gens hésitent carrément à présent." Et d’ajouter spontanément qu’il comprenait l’inhibition des investisseurs, ayant lui-même vécu là-bas une tentative d’assassinat, un "carjacking", deux bombes à l’entrée de l’usine et le kidnapping de son fils, le tout en cinq mois de temps.

L’endroit le plus dangereux du monde

Bien qu’ayant bénéficié de la première licence d’opération accordée depuis 40 ans à une banque internationale en Irak, HSBC n’a pas encore ouvert une seule antenne dans le pays, ce qui revient à perdre de fait l’avantage de cette licence, pourtant si convoitée. Procter & Gamble a mis son joint-venture en sommeil, de même que General Motors. Les responsables financiers américains de la chaîne d’hôtels et multiplex Starwood ont gelé leurs opérations, et Siemens AG a rappelé la plupart de ses effectifs. La cloche n’a pas encore retenti à la bourse de Bagdad. Et pour cause : impossible d’utiliser la moindre carte de crédit, dans un pays dont l’économie repose sur des transactions en argent liquide exclusivement. New Bridge Strategies, l’agence conseil qui claironnait en octobre dernier la manière dont "une entreprise comme Wal-Mart pourrait faire main basse sur le pays entier", joue aujourd’hui en sourdine. "McDonald’s n’est pas près non plus d’ouvrir pour le moment", a précisé au Washington Post l’un des dirigeants de la multinationale, Ed Rogers. Même régime pour Wal-Mart. Le Financial Times a qualifié l’Irak "d’endroit le plus dangereux du monde pour réaliser des affaires." Drôle de résultat au bout du compte : en voulant faire de l’Irak la place de marché la plus attractive du monde, les néo-conservateurs en ont fait l’une des plus dangereuses. Et c’est peut-être l’un des plus éloquent réquisitoire jamais dressé à l’encontre de la dérégulation des marchés, qui inspire directement cette logique.

La violence n’a pas eu pour seul effet de repousser les investisseurs étrangers, elle a également forcé Bremer, avant son départ, à abandonner nombre de ses options économiques maîtresses. Par exemple, la privatisation des entreprises nationales n’est plus à l’ordre du jour, remplacée par des contrats de leasing des entreprises en question, avec obligation pour l’investisseur de s’engager à ne laisser aucun employé sur le carreau. Des centaines de fonctionnaires licenciés hier par Bremer ont ainsi été réembauchés, et des augmentations de salaire consenties au service public dans son ensemble. Les plans visant à supprimer le programme de distribution alimentaire ont également été abandonnés tant le moment semble mal choisi pour refuser à des millions d’Irakiens l’unique nourriture sur laquelle ils puissent réellement compter.

"Ils ne connaissent rien à l’Irak"

La fin du rêve néo-conservateur est survenue dans les semaines précédant la transition politique en Irak. La Maison Blanche et le CPA s’empressaient alors de convaincre le Conseil de Sécurité des Nations unies d’entériner leur plan d’action. Ils s’étaient débrouillés pour confier la négociation à Iyad Alaoui, ex-agent de la CIA. Cette manœuvre devait permettre à l’Irak, au bout du compte, de se transformer en base de ravitaillement pour les troupes américaines, conformément au plan envisagé dès le début par Jay Garner. Car si des investisseurs de premier plan étaient supposés venir s’installer en Irak à brève échéance, il leur fallait l’assurance que les options économiques préconisées par Bremer seraient effectivement appliquées. L’unique moyen d’arriver à ce résultat était que le Conseil de Sécurité entérine un texte de Constitution par intérim, contenant les lois Bremer et garantissant de fait leur application durant la période du gouvernement de transition. Mais al-Sistani protesta une fois encore, et cette fois-ci sans équivoque, en proclamant que la Constitution en question avait été "rejetée par la majorité des Irakiens." Le 8 juin, le Conseil de Sécurité vota à l’unanimité la décision d’entériner le plan de transition, en prenant soin néanmoins d’éviter toute allusion au texte de Constitution par intérim. En dépit de ce revers de médaille cinglant, George W. Bush célébra la résolution en victoire historique. Une victoire à point nommé pour une photo dans un contexte de début de campagne électorale, en plein sommet du G8, en Géorgie.

Le fantôme des lois Bremer à peine englouti dans les limbes, les ministres irakiens parlent déjà ouvertement d’annuler les contrats signés par le CPA, menaçant notamment de renégocier le contrat des trois principaux opérateurs de téléphone qui alimentent le pays, dont le réseau de télécommunications demeure extrêmement précaire. Quant aux sociétés libanaises et américaines, autrefois mandatées pour gérer le réseau de télévision, elles ont été informées qu’elles risquaient de se voir retirer leur licence d’exploitation, au prétexte qu’elles ne sont pas irakiennes. "Nous verrons s’il convient de changer les termes du contrat", déclarait en mai dernier Hamid al-Kifaey, porte-parole au Conseil du Gouvernement. Et d’ajouter : "Ils ne connaissent rien à l’Irak." Pour la plupart des investisseurs, ce défaut de visibilité sur le terrain contractuel et commercial fait de l’Irak un pays bien trop risqué pour investir.

Cruel pied de nez pour les néo-conservateurs

Mais tandis que la résistance irakienne est ainsi parvenue à briser la première vague de bataillons commerciaux, d’autres lames déferleront bientôt. En effet, quelle que soit la composition du prochain gouvernement irakien - nationaliste, islamiste ou libéral - il héritera d’un pays exsangue et d’une dette écrasante de 120 milliards de dollars. Alors, comme dans tous les pays pauvres de par le monde, les hommes en costume bleu nuit du Fonds monétaire international se présenteront à la porte du pays, distribuant prêts et promesses d’un boom économique prochain, sous réserve de quelques ajustements de structure préalables. Des ajustements certes douloureux dans un premier temps, mais si profitables à long terme. Et ce processus est déjà enclenché, puisque le FMI a promis de consentir entre 2,5 et 4,25 milliards de dollars de prêts, fonction de l’état d’avancement des réformes. Après une bataille interminable et en dépit de poches de résistance courageuses et de toujours plus de vies sacrifiées, l’Irak va se paupériser progressivement et devenir une nation pauvre comme les autres, avec des politiciens à sa tête pour conduire des politiques que la plupart des citoyens rejettent, et endosser le lot de compromissions qu’elles entraînent.

Quant au modèle libéral, il finira sans nul doute par s’imposer en Irak, mais le rêve néo-conservateur de transformer le pays en utopie commerciale est terminé [...]. La grande ironie de la catastrophe actuelle en Irak, sur un plan historique, c’est que les thérapies de choc administrées visant à provoquer le boom économique et la reconstruction du territoire ont en réalité gangrené le pays d’une multitude de poches de résistance qui, au bout du compte, interdisent toute reconstruction. Les réformes conduites par Bremer ont littéralement déchaîné des réactions que les néo-conservateurs n’avaient pas prévues et sur lesquelles ils ne peuvent espérer reprendre le contrôle, comme les soulèvements armés dans les usines, ou les dizaines de milliers de jeunes désœuvrés qui entrent en armes. Ces phénomènes imprévus ont transformé la vision néo-conservatrice de l’Irak Année Zéro en miroir inversé : en guise d’utopie commerciale, une macabre "dystopie" dans laquelle l’acte de se rendre à un banal salon professionnel peut coûter d’être brûlé vif, pendu ou décapité. Ces dangers sont à ce point réels aujourd’hui que les tenants du capitalisme global ont quitté l’Irak, du moins pour l’instant. Un pied de nez sans nul doute cruel pour les néo-conservateurs, dont la foi en l’idéologie du profit dépasse au final le profit escompté. [...]

(FIN)

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