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Indicateurs de Développement Durable

Par Anne Musson
19-03-2013

Les entrepreneurs et le développement durable

A la découverte de l’analyse textuelle des entretiens

Les entrepreneurs et le développement durable
Que représente le développement durable pour les entrepreneurs ? Voici une proposition de réponse issue du traitement d'une enquête.

La mise en place d’une enquête

Au cours de ma thèse, je me suis intéressée au point de vue des entrepreneurs sur le lien entreprise-développement durable-territoire. Une enquête a ainsi été mise en place de terrain à destination de 36 responsables de Petites et moyennes entreprises (PME). Dans cette optique, il a fallu procéder à des choix méthodologiques, qui m’ont conduit à établir des entretiens semi-directifs, complétés par un questionnaire fermé. J’ai ainsi pu étudier, entre autres, si la représentation du développement durable ou les attentes envers les collectivités apparaissent différentes selon le profil du chef d’entreprise (âge, qualification, rapport au développement durable, etc.) et le type d’entreprise (secteur, taille, positionnement stratégique, certification, etc.) L’analyse des entretiens permet de conclure quant à des fondements d’une nouvelle gouvernance territoriale. Les résultats invitent alors à privilégier une co-construction du développement local durable, initiée par les collectivités, relayée par les PME. D’après mon enquête, le développement durable serait donc enjeu essentiel pour les entreprises.

Une vision plurielle du développement durable

Ce billet concernant précisément la perception du développement durable par les entrepreneurs, je propose d’analyser les questions suivantes posées lors de l’entretien : « Que représente pour vous le développement durable ? Connaissez-vous des mesures/des actions relatives au développement durable ? Quel rapport percevez-vous entre développement durable et entreprise ? ».

Les premières conclusions, issues de l’analyse manuelle des transcriptions des entretiens, indiquent que les chefs d’entreprise ont tous une définition du développement durable. Si une majorité en évoque les trois axes principaux (économie, social, environnement), certains en donnent une définition plus complète en y ajoutant l’axe sociétal. Remarquons qu’un nombre significatif n’évoque que l’aspect environnemental. De manière assez criante, les entreprises familiales sont très impliquées dans volet social du développement durable, et positionnent clairement l’employé au cœur de la réussite de l’entreprise. Les responsables expriment tous un lien existant entre l’entreprise et le développement durable. De manière générale, ils souhaitent s’engager fortement dans une démarche de développement durable, mais sous la condition d’une forte impulsion de la part des collectivités, comme en témoigne ce chef d’entreprise :

« Il ne faut pas demander à l’entreprise de faire les choses “à la place de”, c’est-à-dire que “avec”, ça me va bien. »

L’entreprise fait partie des acteurs primordiaux pour le développement durable, il faut donc lui en imposer un certain nombre de règles. On retrouve, ainsi, l’importance des contraintes légale et réglementaire comme motivation première pour intégrer les préoccupations sociales ou environnementales ; mais ceci vaut tant pour les PME que pour les grandes entreprises. La carence d’information en matière de RSE pour les PME apparait également évidente. Lorsque l’on évoque avec les responsables, les actions relatives au développement durable, ainsi que le lien entreprise-développement durable, seuls 11% d’entre eux évoquent la RSE.

L’analyse textuelle, késako ?

L’analyse textuelle [1]permet de repérer la présence d’ensembles d’énoncés, les classes, qui décrivent, ainsi, des profils différents de répondants, représentés sur le graphique ci-dessous. Ce sont ces classes qui sont représentées par des cercles de couleur, la forme de ceux-ci étant dictés par le positionnement du discours par rapport aux axes du graphique.

Les expressions attribuées aux axes (en italique, de police noire et de taille moyenne) sont déterminées par le chercheur, au vue du positionnement des mots caractéristiques sur le graphique. Lorsque les cercles se superposent, cela signifie qu’une partie du discours est commune à différentes classes. Les mots (en italique, de police noire et petite) sont représentatifs du discours de chaque classe et succèdent à l’appellation de la classe. Par exemple, sur le graphique, la classe Perception Globale et Commune a pour caractéristique d’utiliser fortement et par ordre d’importance, les mots suivants : développement durable, environnement, social, entreprise, économie, aujourd’hui, etc. A l’issue de l’analyse, on obtient 3 classes représentant 78 % du corpus et regroupant 26 entreprises sur 36. Tout d’abord, nous constatons que si l’âge et le positionnement stratégique en faveur du développement durable apparaissent comme des critères discriminants, c’est un peu moins le cas du niveau d’étude.

Perception Individuelle

La classe 1 comprend 26% des énoncés classés, qui proviennent essentiellement d’entreprises n’ayant pas de positionnement stratégique en faveur du développement durable et dont les responsables ont majoritairement plus de 50 ans et ont un niveau d’étude inférieur au baccalauréat. Ce groupe est celui de la Perception Individuelle. En effet, les individus expliquent leur vision personnelle du développement durable, loin de la définition commune reprenant les trois axes de la notion, comme l’illustre ce verbatim  :

« Je ne sais pas vraiment la vraie définition du développement durable. Alors je vais imaginer […] C’est créer, c’est développer les choses…en essayant de mieux tenir compte demain de ce qu’on appelle la planète, mais surtout de ce qui reste sur la planète. »

Les explications sont alors assez abstraites, avec un vocabulaire spécifique comme « voir », « jour », « exemple », « commune », « information », « communication », « web », « sauver », etc. Une certaine partie du vocabulaire est également liée à l’environnement (« pollution » ; « eau »), témoignant de la perception du développement durable, par certains, à travers la protection de l’environnement. Un responsable d’entreprise donne ainsi cette définition :

« Pour moi c’est la maitrise des consommations d’énergie et le respect de l’environnement. Voilà. »

Ces mots évoquent la nécessité pour l’entreprise d’agir en faveur de l’environnement, le volet social du développement durable étant occulté. Enfin, on perçoit un ancrage territorial dans le discours de cette classe, à travers l’utilisation caractéristique de mots tels que « commune », « communauté » ou encore « terrain ».

Perception Entrepreneuriale

La classe 2, représentant 12% du corpus, s’oppose à la première suivant le second axe. La perception du développement durable associée à cette classe étant particulièrement ciblée, le cercle bleu s’étire le long de l’axe des ordonnées. En effet, les membres de la classe Perception Entrepreneuriale perçoivent le développement durable à travers son volet économique, en témoignent des termes tels que « prix » ou « cher ». Mais ils ne le considèrent pas seulement sous l’angle de la contrainte, mais également comme une opportunité, un facteur d’innovation. Le vocabulaire utilisé est fortement caractéristique : « recherche », « croissance », « technique », « modèle », « progrès » ;… Les entreprises membres de cette classe ont d’ailleurs, pour la majorité d’entre elles, un positionnement stratégique en faveur du développement durable. Les responsables, pour la plupart âgés de plus de 50 ans, considèrent le développement durable comme un enjeu « essentiel » pour leur entreprise, mais ils rencontrent des « difficultés » à l’intégrer (la récurrente utilisation de verbes nous indique d’ailleurs qu’ils sont dans l’action) et sont en demande de support, d’« aide », de la part des pouvoirs publics. De manière très caractéristique, un chef d’entreprise nous explique ceci :

« Ma conviction est qu’une entreprise aujourd’hui peut ou doit se développer avec les principes du développement durable. La grande difficulté est d’arriver à concilier des contraintes, qui, parfois, sont difficiles à arbitrer, et surtout lorsque l’on traverse une récession économique telle que celle que nous vivons et qui est d’une violence encore jamais connue. »

.

Perception Globale et Commune

Enfin, la troisième classe s’oppose aux deux autres. De même, suivant l’analyse factorielle en coordonnées, elle s’oppose aux autres selon les deux axes, même si le discours reste plutôt central. Elle est celle de la Perception Globale et Commune, ses membres donnant une définition globale du développement durable. Elle représente 62% du corpus, ou des énoncés classés, et est plutôt caractéristique du discours des jeunes responsables (âgés de moins de 50 ans) qui ont un projet de positionnement stratégique de leur entreprise en faveur du développement durable. Ces derniers définissent le développement durable suivant son exacte définition et à travers ses trois axes. « Social », « économie » et « environnement » sont d’ailleurs 3 des 4 mots les plus significatifs et utilisés après le prépondérant « développement durable ». Ainsi, ce chef d’entreprise nous donne sa définition :

« Pour moi le développement durable c’est 4 axes, ce n’est pas que l’environnement. Il y a les entreprises donc il y a l’économie, les problèmes économiques. […] Il y a l’environnement parce que si on ne fait rien on n’existe pas non plus, et puis il y a le social et le sociétal. Il y a ces 4 axes. »

Tout comme celui-ci, de manière différente mais toujours de manière globale et académique :

« Le développement durable c’est une logique de croissance maitrisée, et respectueuse tant des gens que de l’environnement. »

Le vocabulaire spécifique au groupe est donc lié au développement durable dans sa globalité, et au-delà des trois mots cités précédemment, on peut également relever « collectif », « salarié », « important », « vivre », etc. Enfin, on perçoit un ancrage territorial dans le discours de cette classe, à travers l’utilisation caractéristique de mots tels que« commune », « communauté » ou encore « terrain ».

So what ?

D’après l’analyse des trente-six entretiens, les dirigeants d’entreprise ont tous conscience de l’importance prise par les problématiques liées au développement durable, mais ils en ont une représentation différente. Personne n’y est indifférent, et cela se ressent dans les entreprises. Globalement, ils ont tout d’abord conscience de l’impact de l’entreprise sur l’environnement, et ils souhaitent s’engager dans une démarche de développement durable (ne concernant pas seulement le volet environnemental), moyennant une impulsion et un engagement de la part des collectivités territoriales. L’entreprise se projette sans cesse dans l’avenir car elle doit s’adapter aux changements de la société, et la prochaine mutation sera probablement environnementale. Sous la contrainte économique de court terme, les chefs d’entreprise sont clairement en attente de l’assistance des collectivités pour évoluer dans ce sens. S’ils se représentent difficilement le territoire, ils attendent beaucoup des collectivités, au-delà de l’aide économique, et notamment en matière de développement durable. Ainsi, il apparait clairement que le développement durable est, et sera, de plus en plus, un argument pertinent en matière d’attractivité des territoires pour les entreprises. D’après notre enquête, un chef d’entreprise va généralement être intéressé par un territoire proposant des actions concrètes liées au développement durable, et une image véhiculant ces valeurs [2]. Concrètement, les collectivités locales peuvent agir en accompagnant les entreprises dans leur politique énergétique et environnementale, que ce soit par des soutiens administratif et logistique ou par des aides financières. Les collectivités locales devraient trouver une audience pour de telles initiatives, et communiquer sur ces nouvelles politiques. Cependant, la collectivité ne doit pas se tromper de discours, et c’est là un apport essentiel de l’analyse textuelle des entretiens. Ainsi, une certaine population de dirigeants ne se représente le développement durable qu’à travers l’innovation ou la contrainte que celui-ci représente : c’est ainsi le cas du groupe de la perception entrepreneuriale. Si la collectivité souhaite accompagner financièrement les entreprises dans la R&D environnementale, par exemple, ou logistiquement et administrativement dans les différentes mises aux normes, c’est à ce type de PDG qu’elle doit s’adresser. Mais, si sa volonté est de favoriser le développement durable dans son ensemble, elle doit au préalable bien le définir et l’expliquer à cette population. En revanche, d’autres dirigeants sont prêts à entendre ce type de discours, et seraient sensibles à des actions globales. Ceux-là se représentent le développement durable dans son ensemble, à travers ses trois volets (perception globale et commune), ils sont eux-mêmes, dans leur vie citoyenne, impliqués dans le développement durable et accordent de l’importance à celui-ci dans leur entreprise (ces deux dernières constatations sont issues de l’analyse de différentes questions). La communication et les actions mises en place par les collectivités doivent être, au préalable, bien ciblées et définies pour que la politique décidée mène aux résultats escomptés, et doivent constituer le départ d’interactions entre autorités locales et entrepreneurs.

[1] L’analyse textuelle se réalise à l’aide du logiciel Alceste. Celui-ci, dont l’acronyme signifie « Analyse des Lexèmes Co-occurents dans les Enoncés Simples d’un Texte », met l’accent sur les ressemblances et les dissemblances de vocabulaire.

[2] Ces résultats sont issus de l’analyse de différentes questions issues des entretiens

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