Nos centrales nucléaires risquent, elles aussi, de voir l’âge de la retraite s’éloigner. Selon le Journal du dimanche, l’éventualité de repousser la durée maximale d’activité des réacteurs français de quarante à cinquante ans se confirme. Souhaité par EDF, cet allongement ne se concrétisera pas sans le feu vert de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Mais risque d’accident mis à part, la décision est-elle seulement souhaitable sur le plan financier ?
A première vue, l’opération est gagnante. D’après les estimations de la Cour des comptes, le coût du Mégawattheure produit par le parc nucléaire existant est près de deux fois moins cher que celui d’un futur EPR. Outre les surcoûts liés aux difficultés de Flamanville (dans la Manche), l’explication est simple : les installations construites avant les années 1990 sont sur le point d’être amorties. « Il suffit de changer l’embrayage de votre voiture pour faire 50 000 kilomètres de plus. Et ces kilomètres vous coûtent moins cher que si vous aviez emmené votre auto à la casse pour en acheter une neuve », illustre François Lévêque, professeur d’économie spécialiste de l’énergie à l’école des mines de Paris.
« Bouffée d’oxygène » pour les finances d’EDF
Les comptables d’EDF acquiesceront. Au sein de la société française d’énergie nucléaire (Sfen) (association réunissant les acteurs de la filière nucléaire française), Francis Sorin se réjouit de « la bouffée d’oxygène » qu’une telle décision donnerait aux finances de l’électricien. « Prolonger de dix ans la durée de vie des centrales permettrait de dégager une marge supplémentaire de 800 millions à un milliard d’euros chaque année », explique-t-il. « Ces bénéfices vont uniquement satisfaire les actionnaires d’EDF » raille Marc Jedliczka, de l’association Négawatt. De fait, sur les marchés, la perspective séduit déjà. Lundi matin, le titre EDF prenait la tête du CAC 40. Par répercussions, l’Etat, actionnaire de l’électricien à 85%, pourrait engranger plus de dividendes. « Cette décision peut faire gagner de l’argent à la collectivité », se réjouit François Lévêque.
Son enthousiasme ne fait pas l’unanimité. Marc Jedlizcka dénonce lui, « une manipulation comptable ». Chaque année, EDF remplit sur son bilan la ligne « provisions » : l’argent mis de côté pour les dépenses de fin de vie des centrales (démantèlement et traitement des déchets) et la ligne des « amortissements », qui correspondent aux coûts liés à l’usure et à l’obsolescence des installations. « Si les réacteurs fonctionnent plus longtemps, ces charges seront étalées dans le temps », précise François Lévêque. Autre avantage pour EDF, grâce au pouvoir de l’actualisation – cette règle économique qui dit qu’un euro dépensé aujourd’hui vaut plus que le même euro dépensé demain – le montant des provisions sera même revu à la baisse. Dans un rapport de janvier 2012, la Cour de comptes estimait qu’en cas de nouvel allongement de la durée de vie du parc, EDF ne devrait prévoir que 6,8 milliards de provisions destinées au démantèlement, contre 9 milliards actuellement. Soit une économie de plus de deux milliards d’euros.
Reculer pour mieux sauter
Sauf que le coût réel des travaux de démantèlement lui ne change pas, il est toujours estimé à 18,4 milliards d’euros. Et encore, ce chiffre, près de trois fois supérieur aux provisions, doit, selon la Cour de comptes, « être pris avec précaution ». « Le véritable coût des charges de démantèlement ne sera connu que lorsque seront terminées des opérations qui vont s’étaler sur plusieurs dizaines d’années » confirme un rapport de la Cnef (la Commission nationale d’évaluation du financement. Au-delà des bénéfices à court terme, prolonger la durée de vie de dix ans revient donc à « reculer pour mieux sauter » selon Marc Jedlizcka.Or ce répit n’est pas gratuit. Maintenir en activité une centrale construite dans les années 1970 ou 1980 nécessite des investissements de maintenance. La facture du projet de révision du parc – appelé « grand carénage » –, présentée mi-septembre par EDF, s’élève à 50 milliards d’euros. C’est la somme, calculée par la Cour des comptes, nécessaire au seul maintien en fonctionnement des centrales françaises jusqu’à leurs 40 ans. Elle découle en partie des mesures de sécurité post-Fukushima. Si l’on ajoute une décennie d’activité, ces investissements seront fatalement plus importants. Pour l’illustrer, Marc Jedliczka dégaine à son tour la métaphore automobile : « Ce n’est pas seulement l’embrayage qu’il faudra changer mais aussi le châssis, et comme on ne sait pas combien de temps le moteur va tenir, la rentabilité n’est pas garantie. »
A cela s’ajoute la question des déchets. Prolonger la durée de vie des réacteurs de dix ans revient à accroître la quantité de combustibles usés et de déchets radioactifs. « Si les centrales fonctionnent jusqu’à 50 ans, il faudra prendre en compte pour décider des dimensions du centre d’enfouissement de Bure », souligne un des participants à l’élaboration du rapport de la Cour des Comptes de janvier 2012. Conséquence : le coût de l’infrastructure, déjà relevés de 15 à 35 milliards d’euros, pourrait encore grimper.
« Tant qu’EDF continue à accepter les dépenses imposées par l’ASN pour le prolongement de vie des centrales c’est que le calcul est gagnant », estime François Lévêque. Sauf que le calcul butte toujours sur la même inconnue. Malgré la reconnaissance par l’ASN du risque d’accident nucléaire en France, le coût de son assurance n’est toujours pas intégré à l’opération.
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