publicité
haut
Accueil du site > Actu > Société > Les Japonais ont le blues
Article Abonné
24-02-2005
Mots clés
Social
Société
Asie Et Océanie

Les Japonais ont le blues

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
 
Usés par dix années de crise, déboussolés par l'ouverture de leur pays à la mondialisation et par la fin de l'emploi à vie, les Japonais ne savent plus par quel bout prendre leur avenir. Reportage au cœur de deux Japon. Celui des villes, où jeunes et personnes âgées balancent entre espoir et résignation. Celui des champs, où des agriculteurs tentent, coûte que coûte, de préserver leur petit lopin de vie.
SUR LE MÊME SUJET

Au début, ça l’amusait. Aujourd’hui, il ne sait plus très bien. Ken, 27 ans, avait commencé à enchaîner les petits boulots pendant ses études d’anglais à l’université de Sophia (Tokyo), histoire de se payer les loisirs si prisés par sa génération. Puis, après un tour d’Asie de six mois, il s’y est remis, pas très décidé sur son avenir. Accoudé au comptoir de la librairie pour laquelle il travaille actuellement, ce doux rêveur réfléchit : pas envie d’intégrer la boîte à papa, la fameuse "Japan Inc" ; pas assez confiance en soi pour lancer son petit commerce, une petite maison d’édition de récits de voyage par exemple. Il adore les livres pourtant. Mais préfère s’y réfugier. "Les boîtes se sont bien cassées la figure ces derniers temps".

La reprise ici, tout le monde en parle, mais personne ne l’a vue. Pourtant, depuis 2003, les indicateurs sont repassés au vert. En 2004, les entreprises cotées en Bourse ont enregistré des profits, le PIB a augmenté de 2,5 %. Certes. Mais l’inquiétude est dans toutes les têtes. Le travailleur japonais a le blues.

JPEG - 104.1 ko
La frénésie de consommation d’une partie des Japonais masque une réelle déprime. Photo : Bénédicte Foucher.

Coup de tonnerre au pays de l’"amareu"

"Les gens sont déboussolés", résume Atsushi Seike, économiste à l’université de Keio. La crise économique, l’ouverture à l’investissement étranger, la concurrence de la Chine, l’importation de méthodes modernes de gestion et d’une culture de la rentabilité financière ont bouleversé le paysage. Et modifié en profondeur la société japonaise. "Le contrat social en a pris un sacré coup", poursuit Atsushi Seike, qui évoque sans fard le "traumatisme" japonais. L’emploi à vie, qui faisait la gloire de la "Japan Inc", n’est plus ce qu’il était. Fini le temps où, contre la fidélité et un dévouement sans faille, une place au chaud était garantie à chaque employé de l’entreprise. Mondialisation oblige, ces derniers doivent faire preuve d’efficacité, de créativité et d’esprit d’entreprise, des qualités peu valorisées jusqu’à présent. Il y a deux ans, Canon annonçait à ses 36 000 employés que la rémunération à l’ancienneté était révolue et que désormais, elle distribuerait ses augmentations au mérite. Coup de tonnerre !

C’est la révolution au pays de l’"amareu". Cette notion centrale de la culture japonaise désigne le lien de dépendance et de responsabilité entre l’enfant et sa mère, le salarié et son employeur, la grosse entreprise et son sous-traitant... Ce réseau d’obligations réciproques, pesant mais solidaire est le socle de la forte cohésion sociale de l’Archipel. Aujourd’hui, ce socle est bel et bien fissuré. Le taux de chômage avoisine 5 %, chiffre qui ne prend pas en compte les travailleurs précaires (30 % de la population active, contre 22 % en 1999). Les plus âgés gardent un goût amer des premières vagues de licenciements, qui les ont touché au premier chef. Indicateur extrême, le taux de suicide a considérablement augmenté chez les plus de 50 ans. Au Japon, la retraite est souvent vécue comme un drame, après de longues années de bons et loyaux services. Alors, pré-retraites et licenciements sont une catastrophe dans la vie de l’"homo japonicus", selon l’expression de la sociologue Muriel Jolivet.

Des mondes parallèles au pays de la prospérité

Yasuo, 65 ans, a sombré dans une profonde dépression, après avoir été licencié de la petite PME dans laquelle il travaillait depuis trente ans. Il évoque avec émotion "un long séjour à l’hôpital." Aujourd’hui guéri grâce à une activité de conseil bénévole, il se sent mieux. Ses semblables ne s’en sont pas tous aussi bien sortis. Il suffit, pour s’en rendre compte, de fréquenter les grands marchés de la main-d’œuvre journalière, à Tokyo ou Osaka : des mondes parallèles au pays de la prospérité. Une énorme verrue qui grossit dans les quartiers nord des grandes villes, et que la société se refuse encore à regarder en face.

Il est cinq heures du matin à Kamagasaki, quand des centaines d’ouvriers et de SDF, logés dans les dortoirs du quartier ou dans les innombrables abris de fortunes qui jalonnent le quartier, s’approchent des vitres du préau où sont collées les offres d’emplois. Tout autour, les camionnettes de travail attendent les candidats en pleine négociation avec les recruteurs, "souvent liés aux Yakuzas, la pègre japonaise", selon un responsable d’une association chrétienne qui fournit des soins aux plus démunis. Ceux qui n’ont pas été embauchés se rendent au premier étage de l’agence de l’emploi, où résonne la clameur des heureux bénéficiaires de l’assurance chômage. Ils empochent 8 000 yens (45 euros) et le carnet à tampons attestant qu’ils ont travaillé au moins vingt-six jours au cours des deux derniers mois - ce qui donne droit à treize mois d’assurance chômage - puis s’éclipsent.

JPEG - 60.2 ko
Le parc d’Ueno, à Tokyo, où des centaines de sans-abri ont élu “domicile“ sous des bâches et cartons. Photo : Bénédicte Foucher.

Le parc d’Uneo, repaire des personnes âgées sans-abri

Avec les saisonniers, venus des campagnes, les journaliers furent les soutiers de la "Japan Inc", formant une main-d’œuvre intermittente qui assurait la flexibilité du travail. Ils étaient 1,5 million au début des années 90. Mais avec la récession, le travail s’est fait plus rare, et va aux plus jeunes. A Sanya, la Bourse du travail a bel et bien fermé ses portes. Ce quartier de Tokyo n’est plus qu’un vaste déambulatoire pour SDF, qui viennent le matin manger la soupe populaire servie par des ONG. 80 % d’entre eux ont plus de 50 ans. Ils vivent le long du fleuve Sumida, sous des cartons, ou plus un peu plus loin, dans le parc d’Ueno, sous des centaines de bâches bleues.

Karatani est l’un d’eux : à 55 ans, le teint buriné d’avoir passé les trois dernières années de sa vie dehors, il raconte : "J’avais une petite entreprise qui a fermé. Tout est parti dans ma vie". Il dit surtout la honte, le pire des sentiments au Japon. Aujourd’hui, il se livre à la principale activité des sans-abri : la récupération de cannettes vides. Un parcours tristement banal. Chez les sans-abri japonais, pas d’histoire de drogue, pas d’alcool sur trois générations. Seulement la déchéance d’anciens ouvriers du bâtiment, de patrons de petites PME, qui d’un coup, ont tout perdu. Et préfèrent se cacher du regard des autres...

...LIRE LA SUITE DE L’ARTICLE

Articles liés :
Le paysan nippon fait de la résistance

La monnaie retrouve un supplément d’âme

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter
2 commentaires
TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
  • Il est vrai que le japonais suivent une période difficiles, surtout en ce moment. Attendons de voir comment la situation évolue. Grande fan de la culture et de l’art japonais, je suis vraiment triste que ce pays fait face à tant de difficultés. Cette situation me rappelle finalement l’oeuvre du peintre hokusai, la Grande Vague de Kanagawa, qui donnait souligne le caractère impuissant de nos sociétés face aux phénomènes comme celui que nous vivons aujourd’hui en 2022. En tout cas, continuons à admirer l’art pour apprécier une tout autre dimension du monde. Pendant que j’y suis, je fais la promo de cette boutique spécialisée dans les estampes, car je les trouve vraiment très belles. J’aime bien regarder ce genre d’estampe pour me rappeller toutes les merveilles du Pays Au Soleil Levant.

    3.01 à 23h01 - Répondre - Alerter
  • Il est vrai que le japonais suivent une période difficiles, surtout en ce moment. Attendons de voir comment la situation évolue. Grande fan de la culture et de l’art japonais, je suis vraiment triste que ce pays fait face à tant de difficultés. Cette situation me rappelle finalement l’oeuvre du peintre hokusai, la Grande Vague de Kanagawa, qui donnait souligne le caractère impuissant de nos sociétés face aux phénomènes comme celui que nous vivons aujourd’hui en 2022. En tout cas, continuons à admirer l’art pour apprécier une tout autre dimension du monde. Pendant que j’y suis, je fais la promo de cette boutique spécialisée dans les estampes, car je les trouve vraiment très belles. J’aime bien regarder ce genre d’estampe pour me rappeller toutes les merveilles du Pays Au Soleil Levant.

    3.01 à 23h00 - Répondre - Alerter
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas