"Madame, monsieur, bonsoir." Sur l’écran apparaît une femme blonde au visage rond, agréable. Son nom : Marie-France Cubadda. Ce n’est pas la remplaçante de Claire Chazal. Un rapide coup d’œil vers sa veste à épaulettes suffit à comprendre : nous sommes dans les années 1980. A l’époque, déjà, le ballon rond est le roi de l’information, allant jusqu’à déloger la grand-messe du soir de sa sacro-sainte case horaire. Le 2 juin 1986, la présentatrice ouvre ainsi son JT à 19 h 15 : "Impossible de l’ignorer, la Coupe du monde est commencée. La preuve, ce journal est diffusé à une heure inhabituelle."
Tout cela pour un obscur match Hongrie-Russie que TF1, pas encore privatisée, a décidé de diffuser à 19 h 50. À l’époque, Antenne 2 retransmet également des matchs et fait exactement la même chose. Les deux médias sont sur les nerfs car, comme nous l’explique la femme-tronc de TF1, "des sommes astronomiques ont été versées par les chaînes de télévision et les circuits de télécommunication fonctionnent mal". On fait même appel au mythique journaliste des sciences et techniques, Michel Chevalet, pour expliquer d’où vient le problème. Celui-ci précise q’une solution est possible, tout en ajoutant : "Seulement, voilà, on est au Mexique..."
Plus policé, moins polémique
Impossible, une telle remarque aujourd’hui ! De même, quelques jours plus tard, ce lancement d’un reportage : "Ce n’est un secret pour personne, la vie en Pologne n’est pas d’une folle gaieté..." S’ensuit un sujet un peu sordide sur des concours de strip-tease amateurs ainsi que l’interview de la gagnante du soir, en tenue de fin de compétition. Indéniablement, le JT d’aujourd’hui s’est policé. Plus factuel, il évite les écarts de langage... mais aussi les prises de position. En 1986, alors qu’une aide pour l’Afrique vient d’être décidée à l’ONU, le journaliste de TF1 chargé du sujet commente : "Mais les Africains ne devront surtout compter que sur eux-mêmes."Quelques jours plus tard, Antenne 2 raconte l’histoire d’un éleveur qui a décidé d’asphyxier ses 30 000 poules pour protester contre la chute du cours de l’œuf. Conclusion de la reporter : "La fin justifie-t-elle vraiment tous les moyens ?"
Des moyens, les JT en manquent cruellement en ce milieu des années 1980. Cela se ressent dans le traitement de l’actualité internationale. Ce type de sujets représente à peine 10 % des journaux de la première semaine de juin 1986. Quantitativement, les choses ont peu changé : on monte à peine à 15 % pour France 2, vingt ans plus tard. Mais qualitativement, la comparaison est sans appel. En 1986, l’information s’avère encore plus franco-française qu’aujourd’hui : très peu de reportages à l’étranger, pratiquement pas de correspondants hors d’Europe. Fin mai 2006, alors qu’un tremblement de terre vient de secouer l’Indonésie, TF1 possède rapidement deux équipes dans la région et France 2 peut compter immédiatement sur son correspondant en Asie.
La rivalité entre les deux premières chaînes avait déjà cours il y a vingt ans. La chasse au scoop aussi. Le 3 juin 1986, TF1 ouvre son 20 heures avec la première greffe d’un cœur artificiel en France. Elle a suivi l’opération en exclusivité. Antenne 2, non. Alors, celle-ci fait comme si l’information n’existait pas. Mais, en revanche, elle va jusqu’à proposer des cadeaux aux téléspectateurs qui l’aideront désormais à "être la première sur l’événement".
Conséquence de la course à l’audimat, la part croissante des faits divers dans le JT est souvent pointée du doigt. Sur la période que nous avons observée, elle n’a pourtant guère varié chez France 2 (environ 8,5 %) et est passée de 9 % à 11,5 % sur TF1. Peut-être un effet de la Coupe du monde...
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