Mise à jour jeudi 21 février 2013 : Le « tout-carcéral » ne sera-t-il bientôt plus la norme ? C’est le sens des conclusions de la Conférence de consensus sur la récidive présentées mercredi 19 février à la Garde des Sceaux Christiane Taubira. Remise en cause de l’efficacité de la prison, propositions favorables à une politique de limitation de l’incarcération par la création d’une « peine de probation », voilà ce que défendait déjà sur terraeco.net, en juin dernier, Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de démographie pénale, qui publie ce jeudi La prison, une nécessité pour la République (éd. Buchet Chastel) préface par Elisabeth Guigou. |
C’était mercredi au Journal officiel. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a publié un avis dans lequel il plaide pour une loi d’amnistie des peines « très légères » prononcées avant 2012 et pas encore exécutées. Son objectif ? Ne pas aggraver la surpopulation carcérale.
Début juin, 66 915 détenus occupaient les 57 127 places disponibles dans les 191 établissements pénitentiaires français. Le taux de surpopulation atteint donc 117%, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire.
Qu’importe l’avis de Jean-Marc Delarue, le ministère de la Justice a rappelé son refus d’une amnistie des courtes peines. Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de démographie pénale, propose une solution radicale pour éviter la surpopulation : ne plus mettre la prison au centre du dispositif.
Terra eco : Pensez-vous, comme Jean-Marie Delarue, qu’il faut amnistier les condamnés à des peines très légères ?
Pierre-Victor Tournier : Je trouve gonflé de la part du contrôleur général des prisons de prendre position maintenant sur ce sujet alors que François Hollande a été élu sur un programme dans lequel il dit clairement son opposition au principe d’une amnistie. A quelques jours d’une élection législative, à quoi joue-t-il ? En réalité, Jean-Marie Delarue a une idéologie libertaire, il est hostile à la prison, à la justice pénale et à la sanction. Mais il n’a pas compris que la gauche au pouvoir est une gauche d’autorité, pas une gauche laxiste.Comment s’attaquer à la problématique de la surpopulation carcérale sans en passer par une loi d’amnistie ?
On pourrait déjà se référer à une recommandation du Conseil de l’Europe datant de 2003 – et dont je suis l’un des coauteurs - sur la libération conditionnelle. C’est le meilleur moyen de lutter contre la récidive, c’est aussi très efficace pour lutter contre la surpopulation carcérale car on réduit les durées de détention. La France, où la libération conditionnelle est laissée à l’entière discrétion du juge, pourrait s’inspirer des systèmes suédois ou britannique. En Suède, tous les détenus sortent aux deux tiers de leur peine. En Grande-Bretagne, un système de libération conditionnelle s’applique automatiquement pour les peines courtes. Pour les longues, la libération est laissée à la discrétion du juge.Avec les économies réalisées, on pourrait améliorer les conditions de détention, en s’inspirant des modèles finlandais, suédois, norvégiens et suisses. Dans ces pays, chaque détenu bénéficie d’une cellule individuelle et peut faire des activités en journée. On pourrait aussi financer le suivi en milieu ouvert, car la prison ne doit plus être le cœur du système.
Qu’entendez-vous par là ?
Aujourd’hui, la peine de référence c’est la prison... sans l’être. Je m’explique : en matière correctionnelle, donc quand il s’agit de délits, plus de la moitié des peines sont prononcées avec de l’emprisonnement mais les deux tiers sont avec sursis. Ces décisions de justice sont souvent illisibles pour les justiciables, qui se disent qu’ils n’ont pas été condamnés, et qui pourtant peuvent aller en prison dès le moindre faux pas.Donc les personnes coupables de délits ne doivent plus passer par la case prison ?
Non. A la place, je propose un nouveau type de peine, inspirée du système anglo-saxon de la probation : la contrainte pénale communautaire (lire son appel lancé le 1er juin aux politiques sur le sujet, et qui a déjà recueilli des soutiens de poids). Cette contrainte, qui imposerait des interdits et des obligations – comme celle d’être traité en cas de toxicomanie par exemple – au sein d’une communauté de gens libres, remplacerait les peines de prison. Si les conditions ne sont pas respectées, la personne pourrait être rejugée et alors aller en prison. La conséquence directe serait de diminuer la population carcérale, mais l’objectif premier est ailleurs : une peine plus lisible, et utile. J’ai déjà évoqué cette idée avec la Garde des sceaux, Christiane Taubira, et sa ministre déléguée à la Justice, Delphine Batho. Elles y sont sensibles.A lire aussi sur Terraeco.net :
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