Terra eco : La loi Lagarde sur le surendettement est entrée en vigueur le 1er novembre. Est-ce une avancée pour vous ?
Jean-Louis Kiehl : C’est une loi très importante qui remédie à certains dysfonctionnements et soulage les personnes en souffrance. Elle limite par exemple la durée des plans de surendettement (remboursement échelonné des dettes, ndlr) à huit ans contre dix auparavant. Si les gens ne sont pas parvenus à rembourser au bout de ce délai, la dette devra être effacée. Avec cette loi aussi, l’inscription au fichier national des incidents de remboursement est désormais limitée à cinq ans contre huit ou dix ans auparavant. C’est une bonne chose. Car, ce fichier transforme les personnes surendettées en pestiférés. Elles ne peuvent plus ouvrir de compte ou bénéficier d’un paiement fractionné si elles veulent acheter une voiture par exemple. La loi prévoit enfin une suspension des poursuites des créanciers dès qu’un dossier est déposé en commission de surendettement. Ça évite le blocage des comptes en banque ou la saisie d’un véhicule qui peuvent pousser les personnes dans une situation encore plus grave après le dépôt de leur dossier.
La loi a-t-elle néanmoins des limites ?
Oui, elle oublie la prévention. C’est bien de vouloir soigner le cancer mais s’il y a de plus en plus de cancéreux, ce n’est pas suffisant. Or, c’est le devoir de l’Etat d’intervenir. A la Fédération Crésus, nous réclamons la mise en place d’un fichier positif (recensant de façon nominative l’ensemble des crédits contractés par chaque Français, ndlr). Aujourd’hui, une personne peut prendre 18 ou 20 crédits sans que personne ne l’arrête. C’est ce qui est arrivé à cette mère de quatre enfants qui a contracté 200 000 euros de crédits à la consommation avant de se suicider. Personne ne l’a arrêté avant.Avec l’Afghanistan, l’Ouzbékistan et l’Afrique du Nord, nous sommes le dernier pays à ne pas avoir de fichier positif. Pourtant, on sait que c’est utile. Ça permet de limiter l’ampleur du surendettement. En France, un dossier moyen de surendettement s’élève à 45 000 euros. En Belgique, où il y a un fichier positif, ce montant n’atteint que 15 000 euros. Et si rembourser 15 000 euros en quatre ou cinq ans, c’est possible, 45 000 euros, ce n’est pas la même histoire ! Rien que les intérêts, c’est 900 euros de remboursement par mois. Alors quand vous gagnez 2 000 euros, que vous avez des enfants… Nous, quand les gens viennent nous voir, ils ont déjà la gangrène. Il faut intervenir avant. D’autant que le coût du surendettement pour l’Etat est considérable. Selon un rapport de la Cour des Comptes, le traitement des dossiers coûte plus de 200 millions d’euros.
Pourquoi le gouvernement rechigne-t-il à instaurer un fichier positif ?
Quand on le réclame, le gouvernement nous répond que ça ne sert à rien. Que le surendettement est un accident de la vie comme le divorce, la maladie. Pourtant, nous avons montré à travers nos études que c’est d’abord un excès de crédits qui conduit aux situations de divorce, de perte d’emploi ou de suicide.
Par ailleurs, les banques font du lobby contre le fichier positif. Leur intérêt est simple. Quand elles voient que leurs clients vont mal, elles ferment le robinet. Les clients se tournent alors vers des filiales de ces banques qui pratiquent le crédit à la consommation. Dans ces espaces-là, les banques peuvent afficher des taux d’intérêt jusqu’à 20%. Et même si 3% à 4 % des clients chutent, ça n’a aucune incidence. Quand l’argent a été acheté à 2% ou 3% et qu’il est prêté avec un taux à 20%, c’est rentable !
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