Ce qu’il reste de l’« Union » européenne a donc stoppé l’incendie financier. Et consenti, enfin, à tendre une main secourable à la Grèce. Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et l’euro n’en sortent pas sains et saufs pour autant. Seules les apparences sont sauves. Car en sous-sol, l’incendie couve toujours. Le remède administré dans les prochains mois en Italie et en France, et déjà bien connu des Grecs, des Espagnols et des Portugais, risque de nous amener une nouvelle fois aux portes de la récession. Nous savons bien, puisque nous l’avons connu en 2009, ce qu’implique pareil scénario. Notre modèle économique et social, qui ne tient que par la confiance et la croissance du PIB, se met alors à yoyotter, devenant une formidable machine à broyer. On arguera qu’en France, une certaine protection par la dépense publique et un « modèle » social moins distendu qu’ailleurs, permettent toujours de limiter la casse.
La croissance, ça ne se décrète pas
En réalité, si l’on jette un œil dans le rétroviseur, il semble que notre « modèle » n’ait vraiment bien fonctionné que pendant les Trente Glorieuses, ces années « bénies » parce que porteuses d’une croissance économique « infinie ». Les ennuis ont commencé avec les Trente Piteuses, inaugurées par les chocs pétroliers des années 1970, qui ne nous ont plus jamais permis de financer notre « modèle », à supposer que 3 millions de chômeurs constituent un modèle. D’année en année, les déficits publics se sont empilés, constituant une montagne de dettes financières, devenues insoutenables pour nos enfants. Et nous voici pris au piège : pour résorber cette dette et continuer de tenir l’objectif – indiscutable, nécessaire, républicain – de justice sociale, il faudrait de la croissance, davantage de croissance, toujours plus de croissance du PIB. Seulement voilà : la croissance, on ne sait pas faire, ou pas assez. Parce que la croissance, ça ne se décrète pas, en tout cas pas complètement, et surtout plus pour longtemps.
Terres rares
Car il y a cette chose qu’aucun dirigeant européen n’admet publiquement : notre croissance économique est une chimère, puisqu’elle implique une surconsommation de ressources naturelles intenable à long terme. Le stock de ces ressources fond en effet à vue d’œil. Les pays riches manquent déjà de terres rares pour fabriquer leurs joujoux électroniques, tandis que les pauvres manquent de terres arables pour y élever leurs cultures vivrières. Les pays du Nord ne pensent qu’à croître, car ils n’ont rien trouvé d’autre pour (re)financer leur « modèle » social. Ceux du Sud ne pensent qu’à croître, car ils n’ont rien trouvé d’autre pour sortir de la misère sociale. Résultat, nous sommes de plus en plus nombreux à lorgner des ressources tout aussi vitales pour nos pays, qu’inexorablement condamnées à un sort de peau de chagrin.
Ni démondialisation, ni décroissance
Dans ces conditions, on peut parier que le temps qui nous sépare de la prochaine crise se compte en mois. Nouveau choc pétrolier, pénurie d’électricité, émeutes de la faim, faillite financière. Peu importent les symptômes. Le point fondamental est qu’ils renvoient tous au même mal : c’est notre modèle économique et, au-delà, notre modèle de civilisation fondé sur les ressources physiques de la planète, qui est en phase terminale. Aucune solution miracle n’existe, mais on peut déjà en exclure deux. La démondialisation, tout d’abord : ce concept rassurant porte en germe la menace d’un repli sur soi, à l’heure où nous manquons cruellement d’Europe et davantage encore de gouvernance mondiale. La décroissance, ensuite : certains – comme nos voisins Espagnols – la testent déjà à grande échelle depuis 2009, avec les dégâts humains que l’on sait.
Une vraie transition écologique
D’autres solutions sont à portée de main. Tout d’abord, imaginer de nouvelles formes et de nouveaux indicateurs de prospérité, faute de quoi l’obsession de la croissance du PIB nous tuera. Ensuite, remettre définitivement les marchés financiers au service de l’économie réelle, en osant la taxe Tobin, en puisant dans les paradis fiscaux les gigantesques réserves financières qui y grouillent, en cessant de subventionner les énergies fossiles . Et puis, susciter des générations entières d’entrepreneurs sociaux, au service de l’intérêt général et non plus du seul profit individuel. Enfin, mettre cette force de frappe intellectuelle, humaine et financière, nouvellement constituée, au service d’un programme historique pour la transition énergétique et écologique. C’était, déjà en 2008, le sens d’un « Green New Deal » qui ne fut qu’un effet d’annonce. Nous avons droit à une deuxième chance. Mais vite, car en sous-sol, l’incendie continue de se propager.
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