publicité
haut
Accueil du site > Actu > Société > « La réduction du temps de travail est inéluctable »
Article Abonné

« La réduction du temps de travail est inéluctable »

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
« La réduction du temps de travail est inéluctable »
(Crédit photo : gfpeck/Flickr)
 
Malgré les cris d'orfraie et les petites phrases, le partage des emplois n'est pas mort, estime la sociologue Dominique Méda. Pourquoi ? Car notre croissance n'est pas soutenable.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
SUR LE MÊME SUJET

Alors que la polémique sur les 35 heures ne semble pas vouloir s’éteindre, Dominique Méda, sociologue et auteur de Travail : La révolution nécessaire (Les éditions de l’Aube, 2010), prend de la hauteur et imagine l’avenir de l’emploi, en France et ailleurs.

Terra eco : La perspective d’un retour à la croissance et au plein emploi semblent s’éloigner chaque année un peu plus. Dans ce contexte, le partage et la réduction du temps de travail vous paraissent-ils inéluctables ?

Dominique Méda : Si l’on prend un peu de recul et de champ, la réduction du temps de travail et le partage du travail apparaissent de toute façon assez inéluctables. Pour au moins quatre raisons. D’abord, le niveau de notre chômage est tel que permettre à tous d’accéder à l’emploi et aux droits et protections auquel celui-ci donne accès semble aujourd’hui une absolue nécessité. Je rappelle d’ailleurs que c’est ce qu’a fait l’Allemagne durant les mois de crise : si l’emploi allemand (et les entreprises allemandes) ont bien résisté, c’est parce que l’Allemagne a recouru de manière très intense au partage du travail, ce pourquoi elle a été louée y compris par l’OCDE.

Ensuite, aussi longtemps que le travail restera synonyme, pour encore trop de personnes, de mal-être, on trouvera des gens pour continuer à souhaiter que l’emprise du travail ait des limites. Autrement dit, ce n’est que lorsque le travail sera vraiment synonyme d’activité épanouissante que nous pourrions envisager de le laisser occuper toute notre vie. Mais il ne me semble pas que ces dernières années, nous soyons parvenus à rendre le travail réellement épanouissant ou à réhabiliter la valeur travail.

Troisièmement, à mesure que les taux d’activité féminins continueront d’augmenter, nous nous rendrons compte qu’il est impossible de consacrer le temps nécessaire à nos enfants sans revoir la norme de travail à temps complet. Les femmes qui ont joué si longtemps le rôle de réservoirs de temps le pourront de moins en moins. Et l’idée qu’elles pourraient continuer à travailler à temps partiel et à cumuler les deux rôles pendant que les hommes sont déchargés des fonctions domestiques et familiales sera de plus en plus difficile à tenir.

Enfin, et c’est un point très très important, si vraiment la croissance génère – au moins dans l’état actuel des techniques – des coûts environnementaux tels qu’ils rendent une telle situation non soutenable, il nous faudra bien envisager le moyen de nous passer de croissance tout en conservant de l’emploi. De ce point de vue, les scénarios proposés par Tim Jackson dans Prospérité sans croissance ou par Jean Gadrey dans Adieu à la croissance qui nous obligent à réfléchir à des politiques visant à la fois à améliorer la qualité des produits et du travail et à accompagner une raréfaction de la croissance – réduction du temps de travail, désintensification du travail – sont très intéressants. Il me semble qu’on peut en tirer l’idée que nous tenons peut-être une occasion inespérée de changer radicalement la nature du travail !

Débattre en France de la réduction du temps de travail n’est donc pas incongru dans une économie mondialisée où des salariés chinois peuvent travailler jusqu’à 1 000 heures de plus par an que des salariés français ?

Non. Du moins pas si on se met dans la perspective vraiment très réaliste que notre croissance actuelle n’est pas soutenable, que le découplage n’est pas envisageable pour l’instant (le découplage consiste à maintenir une production et une croissance forte mais avec un impact écologique toujours plus faible grâce aux nouvelles technologies, ndlr) et qu’il nous faut à tout prix trouver les moyens de réduire les prélèvements que nous opérons sur notre patrimoine naturel.

Réduire le travail, cela ne conduit-il pas nécessairement à réduire les revenus des salariés ?

C’est un des points peu clairs du livre de Tim Jackson. Celui-ci démontre de façon convaincante qu’il nous faut renoncer à la croissance, sans néanmoins souhaiter la décroissance (il parle d’état stationnaire). Une moindre croissance et une réduction du volume de la production et de la consommation doivent-elles s’accompagner d’une décroissance des revenus ? C’est probable. Mais une décroissance des revenus globaux peut s’opérer de manière très diversifiée : il semblerait invraisemblable et inacceptable que la diminution de la consommation et des revenus concernent ceux qui aujourd’hui ne parviennent même pas à satisfaire leurs besoins fondamentaux. La seule option envisageable – qui s’inscrit dans une perspective de société égalitaire –, c’est une forte redistribution des revenus. Mais la seule réduction du temps de travail n’implique pas une réduction des revenus : on doit compter avec les gains de productivité, avec la possibilité de revoir profondément le partage entre salaires et profit et la répartition des revenus eux-mêmes.

En dehors du travail, quels pourraient être les autres moyens de distribuer le revenu ?

C’est la grande question de la nature des liens qui unissent prestation de travail et salaire. Le philosophe Elie Halevy disait au début du XXe siècle que la hiérarchie des salaires ne faisait que refléter un rapport de forces… Notez par ailleurs qu’une grande partie du revenu est déjà socialisée. J’ai toujours été méfiante vis-à-vis de l’allocation universelle ou du revenu minimum d’existence parce que je ne voyais pas comment ils pourraient être autre chose qu’un cache-misère. Mais on pourrait envisager un revenu minimum d’un montant suffisamment élevé et… un revenu maximum, seul moyen de conserver des conditions de vie à peu près comparables entre citoyens d’une même nation et donc la possibilité même d’un sentiment d’appartenance à la même communauté.

Comment le temps « libéré » par la réduction du nombre d’heures de travail pourrait être mis à profit ? Quel bénéfice pour nos sociétés ? Nos économies ? Notre planète ?

Les usages sont tellement nombreux ! Mieux nous occuper des autres d’une manière générale – nos enfants mais aussi les plus démunis –, c’est ce que recouvre pour moi la notion de « care ». Et puis consacrer plus d’énergies aux activités citoyennes consistant à nous investir plus dans la gestion de nos villes. Améliorer nos lieux de vie, mieux entretenir notre planète…

Depuis la publication de votre ouvrage « Le travail, une valeur en voie de disparition » il y a quinze ans et le vote de la loi sur les 35 heures, avez-vous le sentiment que l’idée de partager le travail a progressé en France ?

Non, je crois que l’idée a considérablement régressé ici et ailleurs. D’abord sous le coup de la toute-puissance de la consommation avec laquelle on abrutit les gens. En leur faisant croire de surcroît que ce besoin de consommation est le même pour tous, pour les personnes qui ne parviennent même pas à satisfaire leurs besoins de base et celles qui sont gavées. Même si je trouve que ce discours ne suffit pas, je partage le point de vue de Tim Jackson selon lequel nous devons sortir de l’idée que seul le surcroît de consommation représente un surcroît de bien-être. Mais la machinerie mise en place pour maintenir cette idée est tellement puissante…

D’un autre côté, on continue à faire croire aux personnes qu’il n’y a rien d’autre dans la vie que le travail et que c’est la seule activité qui vaille. Bien sûr qu’avoir en emploi est essentiel. Bien sûr que le chômage est une catastrophe et que l’accès à l’emploi doit constituer une priorité absolue. Et même à un bon emploi. Mais alors, comme je l’explique dans Travail : la révolution nécessaire, au lieu de mettre la maximisation du PIB ou de la consommation comme objectifs centraux de nos sociétés, adoptons la qualité de l’emploi et du travail. Si vraiment nous pensons que l’emploi est un bien fondamental, inscrivons le droit à en obtenir un de qualité au cœur des droits fondamentaux de nos sociétés. Et faisons en sorte que celui-ci soit effectif !

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter
TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
Soyez le premier à réagir à cet article !
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas