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27-05-2004
Mots clés
Social
Société
France

Chômeurs, et fiers de l’être (suite)

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"Une forme d’esclavagisme qui ne dit pas son nom"

... Suit derrière, le cortège des intello précaires, avec à sa tête Marion Bernard, webmesterin du site Marredutravail (4) : après des études universitaires en information et communication, elle a enchaîné les petits boulots. Caissière de supermarché, journaliste pigiste au Dauphiné Libéré, emploi-jeune dans une association sportive, de laquelle elle a été licenciée pour incompatibilité d’humeur avec le président, "un tyran". "Ma libération ! Je me sentais prisonnière, dépossédée de ma vie. Chaque matin, je devais y retourner, contrainte par la nécessité financière de payer mon loyer et mes factures. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que le travail salarié est une forme d’esclavagisme qui ne dit pas son nom".

Travailler sans en avoir l’air

Yves Bonnardel, un irréductible opposant au travail, partage cet avis. A 37 ans, ce Lyonnais n’a jamais travaillé. Après des études de bâtiment et de travaux publics et un petit mois de stage comme dessinateur dans un bureau d’études, il a définitivement renoncé au travail. Ont commencé de longues années de vie communautaire, "une aventure très enrichissante humainement et politiquement parlant", faite de squats, d’entraide, de fins de marché et de rapine. Aujourd’hui, il s’est installé dans un appartement dont il a hérité. Il a fondé avec quelques camarades une maison d’édition, "Les cahiers antispécistes". "C’est du boulot certes, parce que j’y passe du temps, mais je ne le ressens pas comme tel. Cette activité est sans rapport avec une quelconque survie matérielle. Elle est en lien direct avec ma vie, contrairement au travail rétribué, qui relève pour moi du non-sens et de temps perdu".

Optimiser un budget de 1100 euros

S’enrichir, voir du paysage, casser le train-train production/consommation, oublier le dogme de la croissance... Des individus, lassés de "perdre leur vie à la gagner", osent briser le tabou et remettent en cause le travail. Mais à quel prix ? Le réel bonheur de ces chômeurs peut laisser sceptique. Tracasseries administratives, système D, peur du lendemain, etc. Le quotidien de tout sans-emploi est fait de cela. "Je passe ma vie à trouver des combines pour optimiser mon budget de 1100 euros par mois, raconte Marie, mère de famille divorcée, et fraîchement "recalculée". Economies par ci, réseaux d’entraides par là, troc, récupération... C’est amusant un temps, mais, parfois, je voudrais pouvoir craquer, surtout pour mes enfants. Et cela finit par accaparer tout mon temps".

Risque d’enfermement

Pour Didier Demazière, sociologue, et auteur de Le chômage. Comment peut-on être chômeur ?, on assiste à une logique d’enfermement. Une dérive que reflètent selon lui les associations de chômeurs, dont le but est moins de lutter contre le chômage que contre ses effets. "Leur tâche consiste notamment à organiser la vie du chômeur afin qu’elle soit moins dure en essayant, par exemple, d’obtenir des tarifs réduits, de défendre les droits des chômeurs, explique-t-il. On le voit bien avec les débats autour de la convention Unedic. Il y a un choix entre se mobiliser dans la recherche d’un emploi pour s’en sortir personnellement, et s’investir dans des associations pour améliorer son quotidien et celui de ses amis".

Perdus de vue

Yves Bonnardel reconnaît cette forme de marginalisation. "Moi par exemple, je ne suis pas désocialisé, je suis entouré. Mais c’est vrai que le dialogue est devenu difficile avec les personnes qui travaillent. On a du mal à se comprendre. Ce sont deux mondes différents". "Des chômeurs heureux finissent d’ailleurs par péter les plombs et cherchent au final à retourner sur le marché du travail, poursuit-il. Ce sont souvent des gens qui ne voulaient plus travailler, mais ne savaient pas trop quoi faire à la place. L’expérience s’est avérée trop destructurante". Pour l’avoir refusé, ils sont les premiers à le savoir : difficile de se faire une place dans une société où le travail est central. "Mon entourage ne comprend absolument pas ma démarche, concède Julien, le polytechnicien. Comment peut-on détenir ce diplôme et ne pas le faire fructifier ? Certains me voient comme un raté en voie de clochardisation. J’ai un peu coupé les ponts avec quelques-unes des mes anciennes connaissances".

Manque de courage ?

Le regard des autres n’est pas tendre avec ces empêcheurs de tourner en rond (voir encadré). "Mes parents, qui me prêtent un appartement, me font bien sentir que je vis à leurs crochets, et aux crochets de la société en général, enchérit Marie, au chômage depuis un an et demi. Sans compter les donneurs de leçons qui ne se gênent pas pour me dire que je ne suis pas un modèle pour mes enfants". Une amie à elle : "J’ai du mal à croire à sa marginalisation consentie. J’ai parfois l’impression que c’est une attitude que l’on adopte pour adoucir son échec. C’est-à-dire, dans son cas, de manquer de force et de patience pour s’accrocher".

Peur d’affronter le marché

De nombreux "chômeurs heureux" reconnaissent en effet avoir peur d’affronter un monde professionnel "très dur" et, paradoxalement, se réfugient dans le chômage comme dans une sorte de cocon. "Le monde du travail est très insécurisant, souligne Yves Bonnardel. Moi-même je l’ai fui en partie par peur de l’affronter, et d’être sans cesse, tous les jours, confronté à mes capacités". Pour autant, pas question pour cet anarchiste de cœur, de retrouver la voie du bureau. Ni pour Agnès de renoncer au bon temps que lui offrent les Assédic. "Mon goût de la liberté est plus fort que la peur du lendemain", tranche-t-elle. Seule Marion Bernard, la webmesterin, n’a pas complètement abandonné l’idée de travail. Elle profite de ses indemnités chômage... pour préparer l’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres). "Il n’y a que la fonction publique qui me permette de construire ma vie sereinement. Sinon, comment voulez-vous vivre correctement avec la peur au ventre ?" Michel, quant à lui, se satisfait pour l’instant de sa nouvelle vie. "Je me suis déjà fait licencier une fois d’un boulot que je n’aimais pas. Pourquoi recommencer ?"

- ...RETOUR AU DEBUT DE L’ARTICLE

(4) http://marredutravail.free.fr

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