Indicateurs de Développement Durable |
Par Anne Musson |
15-10-2015
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Changement Climatique et Capital Social |
Nous nous intéressons à ce dernier point en particulier. A ce propos, et en cette période d’attribution des Nobels, le discours d’Oström lors de la remise du Prix-de-la-Banque-de-Suède-en-sciences-économiques-en-mémoire-d’Alfred-Nobel qu’elle a obtenu en 2009 est particulièrement éclairant. Au sein de celui-ci, au titre évocateur de « Par-delà les marchés et les Etats », elle décrit la relation fondamentale existant entre capital naturel et capital social et le rôle –capital- de l’action collective et de la gouvernance locale dans la gestion de l’environnement.
Putnam, le précurseur de la notion de capital social, dans un sens différent de celui qu’entendait Bourdieu, en parle pour la première fois pour expliquer les différences au sein des régions italiennes en termes de performances institutionnelles, de gouvernance et de développement économique. Il le définit comme les caractéristiques de l’organisation sociale telles que les réseaux, les normes, la confiance, qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel (Putnam, 1995, p.67). La littérature distingue trois types de capital social, dont la présence est susceptible d’améliorer la résilience sociétale, en lien avec l’adaptation au changement climatique (Wolf et al., 2010 ; Adger, 2003 ; Pelling, 2003 ; Pelling et Hugh, 2005) :
Le capital social nous intéresse particulièrement concernant la question du changement climatique pour une raison que nous résumerons en deux points :
En résumé, améliorer le capital social d’un pays, c’est le rendre plus riche à travers une meilleure cohésion sociale, c’est améliorer sa capacité d’adaptation, c’est atténuer sa vulnérabilité : c’est offrir une solution sociale et sociétale aux problèmes posés par le changement climatique.
Les travaux ont démontré le rôle du capital social sur la capacité adaptative ou au contraire sur le niveau de vulnérabilité (Pelling et High, 2005 ; Adger, 1999, 2000 ; UNDP, 2004). Pelling et High (2005) dans une revue de littérature de la question, dessinent les vecteurs à travers lesquels le capital social constitue un angle d’attaque de la capacité d’adaptation au changement climatique. Présentés sur le graphique 2, ils se distinguent selon leur objectif, clairement défini par rapport au changement climatique ou non (axe vertical) et l’échelle d’intervention (axe horizontal).
A travers ces quatre leviers d’action, le niveau de capital social va déterminer la force d’action collective qui va permettre à la fois de lutter contre le changement climatique et de s’adapter aux changements qu’il impose. Oström explique que
le capital social, en instaurant la confiance entre individus et en développant des règles institutionnelles bien adaptées aux systèmes écologiques, est d’une importance capitale pour gérer les ressources environnementales, résoudre les dilemmes sociaux et plus efficace qu’une gestion centralisée
- i.e. des lois et règlements imposés au niveau national ou supra-national (Oström, 2009). Elle souligne particulièrement l’importance de ce « mot de cinq lettres », TRUST, la confiance.
La confiance n’est pas le capital social, mais elle semble en être l’une des formes les plus importantes (voir notamment Coleman, 1990), et en est souvent utilisé comme proxy. Les indicateurs de capital social mêlent ainsi les mesures de la confiance et celles de l’intensité de la richesse de la vie sociale et civique (Laurent, 2012). Parmi les premières, on trouve la confiance dans les institutions, envers les responsables politiques, ses voisins, sa famille, les personnes d’une religion différente. On peut trouver les résultats d’enquêtes mondiales par ici. Au sein de la seconde catégorie, on mesure la participation à la vie publique, associative, la proportion de personnes lisant la presse, le taux de participation aux élections, la participation financière aux œuvres de charité, le nombre d’amis et de confidents, etc.
Si les travaux contemporains reconnaissent l’importance du capital social (composante du capital intangible) pour le développement et même la soutenabilité des nations (Banque Mondiale, 2002, 2011), peu parviennent à isoler au sein de cet ensemble un peu nébuleux la confiance interpersonnelle comme élément décisif pour le développement à long terme (Laurent, 2012), ni d’aucun autre proxy évoqué plus haut. Le capital social constitue la grande part de la richesse des pays, il contribue au développement, à la soutenabilité ; et pourtant, au sein du débat mondial sur les négociations climatiques, il ne se pose pas en élément fondamental, face à l’adaptabilité et la vulnérabilité.Le capital social présente effectivement un lourd handicap : il est difficile à appréhender, à voir, à mesurer ; et, de fait, à construire.
Comment influer sur le capital social ? Comment le prendre en compte dans les politiques nationales, locales et au sein des négociations internationales ?
Le capital social ne peut s’améliorer seulement grâce à une intervention extérieure, mais les politiques, globales et locales, peuvent contribuer à sa construction. L’état de l’art propose déjà quelques pistes. En s’appuyant sur les indicateurs existants, travailler sur la confiance et la participation à la vie publique constitue autant un défi ambitieux qu’un chantier nécessaire. Intégrer la réflexion sur le capital social lors de prises de décisions politiques, notamment lorsqu’il est question de changement climatique, semble particulièrement pertinent. Il faut évidemment chercher à appréhender de mieux en mieux ce capital social, continuer à développer les indicateurs [1] puisque, rappelons-le,
ce qui n’est pas compté ne compte pas.
Lesser et Prusak (2000) avancent que le capital social au sein des organisations est lié à la capacité de l’organisation à gérer ses ressources de connaissances. Ceci ajouté au rôle prépondérant joué par la confiance, exposée notamment par les travaux des équipes d’Oström, on comprend (un peu) mieux, sous cet angle, le succès de “buzz” médiatiques concernant les problèmes environnementaux, tels que la BD de Pénélope Bagieu visant à alarmer contre le chalutage profond ou le déjà célèbre« Break the internet » de Nicolas Hulot. La technique mobilise l’ensemble des vecteurs exposés au sein du graphique 2 :
L’enjeu est de taille, clame en grosses lettres le site dédié à la COP 21, car
« il s’agit d’aboutir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d’impulser/d’accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone. »
Pour respecter les engagements qui seront pris, pour construire la transition, le capital social de chaque société sera mobilisé. Agir ensemble pour un objectif commun, voilà qui est permis par
« l’ensemble des réseaux, normes et confiance qui facilitent la coopération et la coordination pour un bénéfice mutuel »
C’est ainsi que Putnam a défini le capital social (1997).
Adger, W.N., 1999. Social vulnerability to climate change and extremes in coastal Vietnam. World Development 27, 249–269.
Adger, W.N., 2000. Institutional adaptation to environmental risk under the transition in Vietnam. Annals of the Association of American Geographers 90, 735–738.
Baker, Mark (2005), The Kuhls of Kangra : Community-Managed Irrigation in the Western Himalaya, Seattle : University of Washington Press.
Coleman, J., 1990. Foundations of Social Theory. Harvard University Press, Cambridge.
Dasgupta, P. 2014. Impediments to Sustainable Development : Externalities in Human-Nature Exchanges. www.pas.va/content/dam/accad...
Krishna, Anirudh (2002), Active Social Capital : Tracing the Roots of Development and Democracy, New York : Columbia University Press.
Laurent E., 2012. Economie de la Confiance. Editions La Découverte, Collections Repères.
Lesser, E., Prusak, L., 2000. Communities of practice, social capital and organizational knowledge. In : Lesser, E.L., Fontaine, M.A., Slusher, J.A. (Eds.), Knowledge and Communities. Butterworth, Heinmann, Oxford.
Oström E., 2009. Traduction Eloi Laurent. Par-delà les marchés et les Etats. La gouvernance polycentrique des systèmes économiques complexes. Revue de l’OFCE / Débats et politiques – 120 (2011)
Pelling M., High C., 2005. Understanding adaptation : What can social capital offer assessments of adaptive capacity ? Global Environmental Change 15 (2005) 308–319.
Putnam, R., 1995. Turning in, turning out : the strange disappearance of social capital in America. Political Science and Politics 28, 667–683.
Putnam R. D., 1997, « Democracy in America at Century’s End », in Axel Hadenius (ed.), Democracy’s Victory and Crisis, New York, Cambridge University Press, pp. 27–70.
Commission Stiglitz. 2009. Commission sur la Mesure de la Performance Economique et du Progrès Social, sous la direction de Stiglitz J., Sen A., Fitoussi J-P. « Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social ». www.stiglitz-sen-fitoussi.fr
UNDP, 2004. Reducing Disaster Risk : a challenge for development. UNDP, New York.
UNU-IHDP and UNEP (2012). Inclusive Wealth Report 2012. Measuring progress toward sustainability. Cambridge : Cambridge University Press.
Wolf J, Adger WN, Lorenzoni I et al (2010) Social capital, individual responses to heat waves and climate change adaptation : an empirical study of two UK cities. Glob Environ Change 20(1):44–52
World Bank, 2006. Where is the Wealth of Nations ? Measuring capital for the 21th century. Washington, DC : TheWorld Bank.
World Bank, 2011. The changing wealth of nations : measuring sustainable development in the new millennium.
[1] les indicateurs sur la confiance notamment souffrent de nombreuses critiques, voir Laurent, 2012.
Docteur en économie et écologie humaine Maître de Conférences en économie |