Consacrer une soirée télévisée aux déchets nucléaires, objets éminemment invisibles – stockés dans des fûts après avoir été longtemps jetés en pleine mer –, c’est le (sacré- défi que s’est lancé Arte il y a deux ans. Ce soir, la chaîne franco-allemande consacrera plus de trois heures à ces sous-produits de l’industrie nucléaire. "Dans les années 1960, nous vivions dans l’exaltation. Se posait déjà le problème des déchets, mais chacun pensait ’C’est sûr, on va rapidement trouver une solution.’ On ne doutait pas", raconte l’astrophysicien Hubert Reeves. Soixante ans après, on ne sait toujours pas quoi en faire.
Aujourd’hui, 436 réacteurs nucléaires fonctionnent dans le monde, fournissant 16% de l’électricité de la planète (58 réacteurs pour 80% de l’énergie en France). En 2010, ils devraient produire 200 000 tonnes de déchets sur la planète. Les populations sont-elles bien informées de ces dangers ? Qui détient réellement le pouvoir nucléaire ? Les déchets menacent-ils l’avenir du nucléaire ? Cette énergie, qui n’émet pas de CO2, s’inscrit-elle dans le développement durable ?
Autant de questions auxquelles s’attaque - avec force et impartialité - le documentaire "Déchets : le cauchemar du nucléaire" qui ouvre la soirée d’Arte. Réalisée sur une idée de Michèle Rivasi, députée Europe Écologie et fondatrice de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad), et Jean-Luc Thierry, ancien de Greenpeace, cette enquête de 1h37 traque l’uranium depuis la centrale jusqu’à certaines zones de stockage à ciel ouvert en Russie… Rencontre deux de ses maîtres d’œuvre – 8 mois de tournage et 200 heures de rush – Eric Guéret, réalisateur, et Laure Noualhat, journaliste.
Terra eco : un prime time sur le nucléaire, c’est très osé de la part d’une chaîne de télé…
Eric Guéret : "Les déchets nucléaires, c’est effectivement tout sauf un sujet sexy et palpitant. Mais demandons-nous pourquoi ? Depuis toujours, on a tout fait pour le rendre rebutant. On a souhaité faire croire aux gens que c’était un sujet compliqué, opaque. Qu’il fallait le laisser aux ingénieurs, leur faire confiance. Or techniquement, expliquer le fonctionnement d’une centrale nucléaire et le circuit des déchets, c’est simple : c’est deux fois deux minutes d’animation dans le documentaire. Cela montre bien que cette pédagogie, personne n’a voulu la mettre en œuvre jusqu’ici."
Ne pas faire un documentaire militant, c’était aussi cela le défi ?
Eric Guéret : "Oui, car des films militants sur le nucléaire, il y en a plein les étagères. Être militant, c’est relativement facile. La difficulté, c’était d’être impartial sur un sujet où les tabous sont nombreux, ne regarder que les faits alors qu’on vous les donne avec parcimonie."
Laure Noualhat : "Malgré tout notre soin apporté à la précision des données du documentaire, Areva nous accuse d’être militant. Alors si être militant, c’est poser des questions, alors oui, nous sommes des militants de la transparence. Pourtant, nous, on n’a pas de technologie à vendre, on ne vend pas d’éoliennes."
Qu’espérez-vous de cette soirée docu-débat ?
Eric Guéret : "Que cela serve à créer un débat avec les citoyens, avec les politiques. J’aimerais qu’Areva et EDF acceptent enfin de répondre à des questions pourtant simples. Le choix du retraitement des déchets nucléaires, privilégié par la France, est-il une technique satisfaisante ? Pourquoi Areva met en avant que 95% de ses déchets sont recyclés, alors que le documentaire prouve que ce n’est que quelques pourcentages au final ?"
Laure Noulhat : "Le nucléaire en France, c’est un État dans l’État. Alors ce qu’on attend de cette soirée, c’est que les gens s’emparent du film, s’intéressent aux choix énergétiques de leur pays. Qu’ils réalisent que le nucléaire n’a pas carte blanche sous prétexte qu’il n’émettrait pas de gaz à effet de serre. Ce n’est pas une énergie recyclable comme on le prouve dans le documentaire. L’obligation de subir nous donne le droit de savoir, disait Jean Rostand, non ? "
Rediffusion jeudi 15 octobre à 09H55 et jeudi 5 novembre à 03H00.
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