Dans le hangar du fond : des canapés défoncés, une immense rampe, une « skate house » – un cocon géant de forme ovale –, un atelier de sérigraphie et un autre de customisation de motos et de vélos… Alors Darwin est un skate park, c’est ça ? Pas si vite. Derrière, des poulets picorent, des légumes prennent racine dans un jardin cultivé en permaculture et des fleurs sont butinées par les abeilles d’un rucher. C’est une ferme urbaine, donc ? Oui, mais non.
Dans le bâtiment principal, celui de l’entrée, entre les murs épais en vieilles pierres blanches rénovées avec le maximum d’exigences écolos, on croise des entrepreneurs verts, des free-lance en coworking. Ça veut dire que Darwin est un immeuble de bureaux ? Aussi. Dans un autre hangar, on admire un paradis de la récup : palettes, chaises en série et carcasses de bagnoles. Bienvenue dans la ressourcerie. L’Espace Darwin, à Bordeaux, c’est encore un atelier de réparation de vélos et une brasserie de bière artisanale « légère, blonde et bio ». Une utopie en marche, économiquement rentable, qui pulse depuis deux ans. Un condensé de remèdes à la débâcle économique et écologique ! L’envie germe à la fin des années 2000 au sein de l’agence de communication bordelaise Inoxia. Philippe Barre, le patron aux lunettes branchées, et Jean-Marc Gancille, son « associé spirituel » aux cheveux ébouriffés, tous deux quadras, veulent un lieu pour mettre en œuvre les bons conseils qu’ils passent leur temps à donner. « On était convaincus qu’il fallait changer de modèle, rentrer dans la transition pour ne pas subir une rupture chaotique », explique le second. D’où le nom de Darwin : pour survivre aux mutations, il faut s’adapter.
« La folie de dire oui »
La mairie leur propose la caserne Niel, sur la rive droite de la Garonne, une friche où se dressent d’anciens magasins généraux délabrés, au sein d’un futur écoquartier. « 10 000 m2, alors qu’on pensait plutôt à 1 000, sourit Jean-Marc Gancille. On a eu la folie de dire oui. » Les négociations durent jusqu’en 2009. Philippe Barre a investi dans l’aventure 1,5 million d’euros, son héritage familial – son père a créé l’hypermarché E. Leclerc de Sainte-Eulalie, à quelques kilomètres de là. « Philippe est une énigme aux yeux de certains, avoue Jean-Marc Gancille. Il veut changer la société avec son capital. Sa vision entrepreneuriale et patrimoniale de Darwin est un des ingrédients du succès. »Grâce à un fonds d’investissement, 800 000 euros supplémentaires ont été récoltés. Trois banques ont prêté 3 millions chacune. Ajoutez 6 % de subventions, et le défi financier de départ est relevé. Une holding, baptisée Evolution, chapeaute désormais Inoxia et la SAS Bastide, qui gère les 5 500 m2 de bureaux. Un fonds de dotation de 300 000 euros fait vivre la dizaine d’associations du lieu : le skate park, la ferme urbaine… A la fin de l’année 2012, les premiers Darwiniens s’installent. Dans un monde idéal ? Evidemment non. Il faut apprendre à ajuster la température du bâtiment basse conso qui surchauffe en été à cause de sa verrière. Il faut gérer les contradictions entre une aspiration vers une gouvernance participative – une association de Darwiniens est invitée à mettre son grain de sel dans la gestion du lieu – et le fait qu’il s’agit d’une entreprise classique avec, pour finir, un chef qui décide. Côté justice sociale, des efforts sont faits dans le domaine des salaires – le plus élevé plafonne à 4 000 euros nets –, moins dans le domaine de la parité : les sept membres de l’équipe dirigeante sont tous des mâles !
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