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7-09-2012
Mots clés
Emploi
France

Pour garder ton job, apprends à lire

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Pour garder ton job, apprends à lire
(Luismi_cavalle - Flickr.com)
 
L'illettrisme en entreprise peut se combattre à condition de faire accepter aux salariés, honteux de ne pas maîtriser les savoirs de base, des formations de remise à niveau, qui ont fait leurs preuves.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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« Nos employés africains suivent volontiers des cours d’alphabétisation et s’y investissent à fond, mais nos compatriotes ont du mal à reconnaître que leur niveau est celui d’un élève de CP. Résultat : parfois Mamadou du Mali s’exprime mieux que celui qui l’encadre, dont le français est la langue maternelle, mais qui est illettré. » La langue, c’est sûr, Eric Tétard ne l’a pas dans la poche.

Il est le directeur des relations sociales de ProHygiène, entreprise de nettoyage sise à Villeneuve La Garenne qui embauche 300 personnes - dont une large partie est issue de l’immigration. Il reconnaît que le fait que certains des salariés, qui ont suivi une scolarité en France, ne maîtrisent pas les savoirs de base (lire, écrire, compter, manipuler un ordinateur) est un réel problème. Et leur penchant naturel à cacher ces faiblesses ne facilite pas les choses, d’autant qu’on les retrouve à des niveaux hiérarchiques relativement élevés.

Un tabou à faire tomber

Dans le secteur de la propreté en effet, on ne grimpe pas l’échelle en fonction de son niveau de diplôme mais du travail réalisé. « On peut donc avoir d’excellents professionnels qui deviennent managers mais qui refusent systématiquement toute formation car ils ne veulent pas qu’on découvre leur illettrisme. Pourtant, à voir leurs mails écrits en phonétique ou les fiches des entretiens individuels qu’ils font passer et qui restent vides de tout commentaire, faute de savoir les écrire, on repère très vite leurs faiblesses... », poursuit Eric Tétard. Et c’est tout logiquement l’activité de l’entreprise qui finit par en pâtir.

S’attaquer à l’illettrisme, « c’est à chaque fois un tabou qu’il faut faire tomber », reconnaît Gérald Lefèvre, directeur de la formation chez SADE, filiale de Veolia qui construit et réhabilite des réseaux d’eau. Comme Eric Tétard, il a conscience que « proposer une formation au forceps » est contre-productif. Alors son entreprise « incite très fortement » ses employés à en suivre une. « On leur explique que c’est indispensable pour rester dans l’entreprise ou pour évoluer en son sein », explique le directeur formation, bien conscient que cela représente « une très grosse charge mentale ».

De 200 à 500 heures de formation sur son temps libre

En effet, les 70 personnes qui ont (ré)appris les notions académiques de base au sein de SADE depuis 2004 y ont consacré entre 200 et 500 heures de leur temps libre (!), le samedi matin ou après-midi. Ils ont certes été rémunérés pour cela mais 20% d’entre eux ont abandonné malgré tout. Trop lourd.

Ces formations sont dispensées par des organismes agréés financés par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) de chaque branche, eux-mêmes financés par les entreprises. Elles permettent aux employés de (ré)apprendre les savoirs académiques de base.

Jacques Delorme est responsable du pôle Entreprise au sein de l’ALPES, organisme de formation des salariés de premier niveau de qualification (ceux qui n’ont aucun diplôme ou qui occupent les postes d’agents de service), en contrat notamment avec l’OPCA propreté.

Travailler requiert de maîtriser plus de compétences qu’avant

Il explique pourquoi des lacunes, qui n’ont pas été un frein à l’embauche d’un salarié, le deviennent une fois en poste :« Parce que le contexte de travail a évolué en quelques années. Désormais, un chauffeur livreur ou un préparateur de commande doit rentrer des données sur ordinateur. L’introduction de démarches qualité, la multiplication des normes à respecter et des documents de traçabilité à produire oblige les opérateurs à rédiger des rapports d’activité, à décrire les défauts d’un produit, à s’en expliquer auprès de leurs supérieurs, etc. Or, toute une catégorie de salariés n’est pas du tout à l’aise avec ça. »

La preuve : pour masquer ces difficultés - la plupart du temps vécues comme honteuses -, de nombreux employés illettrés élaborent des stratégies dites « de contournement » : « oups, je ne peux pas rédiger, je n’y vois pas bien et je n’ai pas de lunettes », « mince, je dois aller aux toilettes », « je dis oui même si je n’ai pas compris et je me débrouille tout seul après », « je fais comme si les mails envoyés par l’intranet ne m’étaient jamais arrivés, ce qui m’évite d’y répondre », etc.

Autre technique souvent employée : faire appel à un collègue, un supérieur direct (souvent le chef d’équipe) voire à une personne extérieure à l’entreprise pour combler ses lacunes, quitte à ce qu’il ou elle fasse une partie du boulot à la place du travailleur. C’est ce qu’on appelle la stratégie « de compensation », appliquée par cette mère de famille et femme de ménage qui, incapable de lire les consignes laissées à son intention sur des post-it, prenait les bouts de papier en photo et les envoyait à ses enfants. Ils la rappelaient pour lui expliquer la tâche qui lui était assignée.

Une stratégie gagnant / gagnant

Chez ProHygiène, c’est l’entreprise elle-même qui en est venue à utiliser des stratégies de contournement pour inciter ses salariés à se former ! « Plutôt que de demander à certains encadrants de suivre une formation spécifique de lutte contre l’illettrisme, on glisse, l’air de rien, dans chacune des formations, un module ‘écrire un mail à un client’ ou ’parler en public’ ». Et les progrès sont notables : « Un encadrant qui se mettait souvent en colère parce qu’il n’avait pas les mots pour persuader ceux qu’il encadre du bien fondé de ses demandes a appris à s’exprimer. Il est plus calme, et a gagné la considération des gens de son équipe », explique Eric Tétard.

Pour cette entreprise qui se veut « humaniste », prendre le temps de former ses employés est une « stratégie gagnant / gagnant ». Dans un secteur où le turn-over est très important, « la maîtrise du français permet d’envisager une évolution de carrière. C’est pour nous une manière de fidéliser nos collaborateurs ».

En formation, bien sûr, « on ne promet pas la lune, mais on se fixe des objectifs opérationnels qu’on peut évaluer : savoir lire un plan, remplir un chèque, décrypter un bulletin de salaire, etc. », précise Jacques Delorme. « Au fil du temps, le salarié gagne en autonomie au travail comme dans sa vie de tous les jours. Il peut même parfois aider ses enfants à faire leurs devoirs ! En somme, c’est un peu une restauration narcissique qu’on lui propose. »

Et pour l’entreprise, c’est tout bénéf. Car des salariés plus confiants s’approprient mieux leur métier. Et s’investissent davantage dans leur travail.


Repères

- 9 % des personnes âgées de 18 à 65 ans ayant été scolarisées en France sont en situation d’illettrisme, soit 3 100 000 personnes. Plus de la moitié d’entre elles (57%) a un emploi, en particulier dans ces branches : propreté, BTP, énergie, gestion des déchets, agroalimentaire.

- Ce vendredi a été lancée une vaste campagne, pilotée par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, pour faire de l’illettrisme la grande cause nationale 2013

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