publicité
haut
Accueil du site > Actu > Enquêtes > Peut-on vivre avec moins ? (suite)
Article Abonné
26-10-2006
Mots clés
Consommation
France

Peut-on vivre avec moins ? (suite)

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
 
SUR LE MÊME SUJET

(...) La solution  ? Décroître  ! Avant de passer à l’âne, François Schneider avait déjà troqué la voiture contre le vélo. Vivre de peu, se régaler de fruits et légumes de l’Amap (Association pour la maintien d’une agriculture paysanne) du coin et se divertir avec les voisins de la communauté... Un programme proche de celui proposé par Les Casseurs de pub, association menée par Vincent Cheynet et Bruno Clémentin, qui tient en "dix conseils pour entrer en résistance par la décroissance". Se libérer de la télévision, de la voiture, de l’avion, du portable, boycotter la grande distribution, manger peu de viande, consommer local... Il s’agit d’abord de "décoloniser notre imaginaire envahi par l’idéologie de la croissance et du profit", selon l’expression consacrée de l’économiste Serge Latouche. Puis, sans état d’âme, vider notre quotidien des objets jetables comme les mouchoirs en papier. Enfin, "il faut que nous nous remettions à produire au plus près des lieux de consommation, à la fois pour économiser l’énergie et permettre un développement plus harmonieux de nos sociétés", explique Latouche.

Attention, ils le jurent, l’objectif n’est pas "le retour à un âge d’or imaginaire" par "l’arrêt de la science, de la technologie, autant de caricatures dont cette idée est affublée", se défend Nicolas Ridoux, auteur d’un petit livre prosélyte à l’usage des militants (lire bibliographie page 10). Selon lui, "les décroissants doivent faire le tri entre ce qui est utile et ce qui ne l’est pas" et engager, en somme, une réflexion sérieuse sur les impasses économiques, sociales et morales de notre société de consommation. "Le mot d’ordre de la décroissance, c’est l’abandon de l’objectif insensé de la croissance pour la croissance", souligne Jean-Marie Harribey. Les puristes lui préfèrent d’ailleurs le terme "acroissance", plus à même de traduire cet objectif.

"Rabat-joie"

Si tout cela paraît bien sérieux, les décroissants refusent d’endosser l’étiquette de "rabat-joie de service". La preuve  ? Un de leurs bimestriels, tiré à 25 000 exemplaires, proclame en grosses lettres : "La décroissance ou la joie de vivre". Ce slogan dépasse les frontières puisque le nouveau premier ministre thaïlandais a assuré que sa priorité serait « le bonheur des gens » plutôt que la croissance économique. Il suit la voie tracée par le petit Etat du Bhoutan, qui, depuis 1972, mesure sa santé en fonction du Bonheur national brut (BNB).

Croissance perpétuelle

Puisque pour les décroissants, le PIB est bon à jeter, ceux-ci proposent d’autres outils pour mesurer le développement. Pourquoi pas l’indice de santé sociale, créé en 1959, qui intègre des critères tels que la mortalité infantile, l’espérance de vie, les accidents de la route liés à l’alcool, les salaires et l’accès au logement  ? Selon cet indice, la « santé sociale » des Etats-Unis déclinerait depuis 1969. Tout l’inverse de son PIB  ! "La décroissance, c’est une société fondée sur la qualité plutôt que sur la quantité, sur la coopération plutôt que sur la compétition", souligne Serge Latouche. "Si des progrès techniques sont nécessaires pour sauver l’environnement, ils ne sont pas suffisants, renchérit François Schneider. Ils ne peuvent plus se faire dans le cadre d’une croissance économique. D’autant que l’impact écologique coûte cher. La croissance perpétuelle est finalement peu rentable pour la société."

Convaincus de l’intérêt de la décroissance ? Reste à voir comment mettre en musique ces idées. C’est là que le bât blesse. Certes, les objecteurs de croissance ne prétendent pas vendre un système clé en main. Mais le corpus reste, tout de même, un peu léger. Comment, par exemple, proposer de travailler moins quand on sait que c’est la mécanisation qui nous permet de diminuer le temps de travail  ? De même, bon nombre de décroissants proposent de "sortir" de l’économie monétaire, voire de l’économie tout court. Ils vantent les mérites de l’autoproduction, du don, des systèmes d’échange locaux et d’autres formes d’échange non monétaires. Autant d’expériences très méritoires à titre individuel. Mais sont-elles envisageables à l’échelle d’une société tout entière  ? Elles reviendraient en tout cas à signer l’arrêt de mort de l’Etat-Providence, qui assure la redistribution via les prélèvements obligatoires. "Que deviendront ces avancées, obtenues par les luttes sociales, dans une société de décroissance démonétarisée ?, s’interroge Jean-Marie Harribey. Il y a de grandes chances qu’elles disparaissent au profit de protections individuelles, familiales ou communautaires."

Autre question brûlante : quid de la démocratie et des libertés individuelles  ? Cyril di Méo, militant vert et professeur de sciences économiques et sociales, s’inquiète, dans un ouvrage paru récemment (voir bibliographie page 10), des dérives idéologiques de la "planète décroissance". C’est même, selon lui, un courant réactionnaire et, par essence, "contraire à la démocratie". Notamment parce qu’il repose sur des bases spirituelles et religieuses  : Saint-François d’Assise, le culte de la "Terre mère" nourricière et le mythe de la femme biologiquement "nature"... "ça ne me gène pas de dire qu’il faut baisser la pression sur les ressources non renou-velables pour protéger la planète, explique Cyril Di Meo. Les écolos ne disent rien de très différent. Mais la décroissance, c’est plus large que ça  : par exemple, leur vision de la démographie aux relents malthusiens me terrifie ! C’est très réactionnaire dans l’âme."

Ultra-individualisme

L’enthousiasme de bon nombre de décroissants envers les mesures anti-tabac ou l’abaissement des limites de vitesse nous mène-t-il à une "dictature verte"  ? Dans un article récent, le magazine Alternatives économiques s’inquiétait  : "Le risque, c’est qu’on nous refasse, au nom de l’urgence économique, ce qu’on nous a fait au XXe siècle au nom de l’injustice sociale." Loin d’être des ânes, certains décroissants ont conscience de ces impasses. "Le meilleur moyen de faire passer ce message, c’est de se politiser, tranche François Schneider, fervent défenseur de la démocratie participative. La réflexion au niveau local marche bien, mais nous devons engager un débat plus large, au niveau national."

Guillaume Dinocheau, lui, a choisi de créer son association de "décroissance conviviale" à Orléans. II se rendra bientôt sur les marchés pour "discuter" et rencontrer les candidats aux législatives, histoire de diffuser les convictions du "mouvement". Et même pour les moins modérés comme Vincent Cheynet, fondateur des Casseurs de pub, la décroissance reste "un moyen au service des valeurs" : "Nous ne sommes pas enfermés dans une idéologie. Parmi nos valeurs, en bonne place, il y a la démocratie. Souvent, on confond simplicité volontaire et décroissance. Mais la première est une démarche individuelle, ça ne suffira pas pour changer le monde, on court même le risque d’entrer dans une logique ultra-individualiste, et donc ultra-libérale." François Schneider reconnaît que la décroissance - bien qu’ancienne - constitue un "mouvement en construction, qui débat en son sein, avec tout le monde".

Une façon d’admettre que la décrois-sance, n’est pas pour demain. Même si, tout le monde le sait, "le monde va droit dans le mur". Que l’on puisse trouver les objecteurs de croissance en bonne place dans les rayons de notre supermarché démocratique constitue, selon eux, "un bon début". "Ils ne proposent encore rien de vraiment tangible, mais leur démarche est intéressante et stimulante, conclut Catherine Aubertin, chercheuse à l’Institut de recherche et de développement d’Orléans et auteur d’un ouvrage sur le développement durable (voir bibliographie). Ce sont des agitateurs d’idées, des poils à gratter nécessaires." Face à la déferlante du développement durable, avec son chapelet d’incohérences et d’hypocrisies, nos décroissants contribuent à affiner la réflexion. De quoi y voir un produit recyclable, dans d’autres bouches, d’autres époques, s’il n’est pas consommé tout de suite.

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter
1 commentaire
TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
  • Baptiste des eco-sapiens : Peut-on vivre avec moins ? (suite)

    Un bravo aux auteurs de cet article qui ne tombe pas dans les pièges classiques lorsque l’on parle de décroissance dans les medias.
    Un bon exemple de collectes de perles se trouve sur Forum Media sur décroissance

    Il est également intéressant d’avoir des points de vue de détracteurs (Di Meo, Harribey) ne serait-ce que pour l’approche écologique et économique.

    Reste tout un (vaste) pan, celui du symbolique, de « l’imaginaire collectif » qui réfléchit sur les questions : qu’est-ce que la richesse, qu’est-ce que la pauvreté, qu’est-ce que le développement, qu’est-ce qu’un besoin, pourquoi faut-il aller vite, qu’est-ce que le progrès ?
    Etc.
    Etc.

    Voir en ligne : eco-sapiens

    31.10 à 14h34 - Répondre - Alerter
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas