Les statistiques ethniques divisent toujours

Ils rentrent des États-Unis pleins d’enthousiasme. Jeunes élus franciliens issus de « la diversité » - en fait tous d’origine maghrébine, faute de disponibilité de la part des collègues d’origine africaine ou asiatique – ils sont partis une semaine pour rencontrer les acteurs du melting-pot américain. « Et nous avons tous payé 1 000 euros de notre poche pour cela », tient à préciser Kamel Hamza, président de l’Association nationale des élus locaux de la diversité (Aneld), à l’origine du voyage. « Les médias ont tous écrit que nous avions été invités, ce n’est pas exact. »

Sur place, les jeunes Français se sont entretenus avec les maires noirs-américains de Washington et Baltimore, mais aussi avec le conseiller « communauté » de Barack Obama. Sujet de conversation principal : les outils favorisant l’ascension sociale et professionnelle d’Américains issus de minorités ethniques.

Discrimination positive, tabou français

De retour chez eux, les voilà convaincus d’une chose : il faut relancer le débat français sur les statistiques ethniques, pour lutter, ici aussi, contre les discriminations. Leur obsession n’est pas bien neuve. Et leurs opposants non plus. Déjà, en 2008, Simone Veil rendait un rapport sur le sujet. À l’époque, il s’agissait de décider de l’inscription de nouveaux principes fondamentaux dans la Constitution ; en filigrane, se posait la question de l’intérêt d’une discrimination positive par l’usage de statistiques ethniques. L’avis rendu fut négatif.

Vint ensuite l’enquête « TEO », pour « trajectoire et origine » en octobre 2010 ; une étude chiffrée, réalisée par l’INED et l’INSEE, « qui a permis de mettre à notre disposition des données bien plus exhaustives que celles dont disposent les Etats-Unis ou même le Royaume-Uni quant à la diversité de leur population », assure Benoît Normand. Le secrétaire général du Haut Conseil à l’Intégration (HCI) s’est donc dit « surpris » que le sujet revienne de nouveau sur la scène médiatique. « On nous fait croire qu’il y a là comme un ‘tabou français’ à briser. » En clair, pour Benoît Normand, le débat n’a plus lieu d’être, car les chiffres demandés existent déjà.

Quantifier pour mieux lutter

« C’est vrai, il existe déjà diverses études et statistiques, mais on persiste à les utiliser exclusivement de façon négative », confie Kamel Hamza. Nos prisons, par exemple, sont réputées pour leur population très diversifiée, ricane le jeune élu, conseiller municipal UMP de la Courneuve. Mais pourquoi ne connaît-on pas la composition de nos entreprises, de nos administrations, de nos partis politiques ? Voilà ce qui l’anime. « Ce que nous ont expliqué les Américains, c’est que si nous ne pouvons pas nous compter, nous ne pouvons lutter contre d’éventuelles inégalités », martèle Kamel Hamza.

Quelle forme pourraient donc prendre ces statistiques ethniques ? Un système de recensement sur le format USA, avec des cases à cocher : arabe, asiatique, etc. ? « Je comprends l’enthousiasme de ces jeunes élus », explique Benoît Normand, « mais vanter le système multiracial américain me semble un peu gênant. » D’abord parce que les données ethniques et raciales sont à manipuler avec une grande précaution, d’un point de vue scientifique et historique. « Au Haut Conseil à l’Intégration, nous préférons utiliser des données ‘objectives’ (comme le nom, le lieu de naissance, ou la nationalité d’origine). » Et puis, ajoute le secrétaire général du Conseil, le système américain est imparfait. « Le racisme ressurgit vite. Pensez à l’ouragan Katrina, en 2005, et à la redécouverte de tensions ethniques assez mal enfouies. »

Patriotisme des Américains

L’autre problème posé par ces statistiques, selon le HCI, c’est le risque de racialisation des rapports sociaux. « De tels outils ne feraient que développer ce phénomène, déjà très critiqué. » Mais Kamel Hamza se défend de vouloir copier à la lettre le modèle états-unien. « Au sein de l’Aneld, nous y réfléchissons, mais nous n’avons pas d’idée fixe sur la forme que devraient prendre ces statistiques. Commencer par répertorier les patronymes me semble par exemple être une piste ». Des données « objectives », que Benoît Normand validerait sans doute.

« Voilà pourquoi il faut relancer le débat, il y a matière à discussion », insiste le jeune élu UMP, qui souhaite revenir sur le sujet en septembre – peut-être dans le cadre du Haut-commissariat à la diversité, puisque Yazid Sabeg semble soutenir la démarche. « Clairement, la politique française d’immigration et d’intégration n’est pas une réussite », poursuit Kamel Hamza. Pensant à son séjour outre-Atlantique, il raconte le patriotisme des afro-Américains rencontrés. « Eux se sentent profondément Américains. » En France, c’est moins marquant. « Alors oui, je pense qu’il y a des éléments de leur politique d’intégration dont nous pourrions nous inspirer. »

Le secrétaire général du HCI, lui, persiste à critiquer le modèle américain, « où la visibilité des minorités, à la télévision ou en politique, prime sur une réelle égalité des chances. » Pour Benoît Normand, même l’élection d’un Obama relève plutôt du symbole. « C’est un peu comme en France, finalement : à part quelque Roselmack, Pulvar, Dati ou Yade, la diversité est peu visible dans d’autres domaines que les médias ou la politique ».