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2-02-2004
Mots clés
Social
France

Le téléphone m’a sonnée

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En France, plus de 200.000 personnes travaillent dans un call-center, ou "centre d'appels téléphoniques". Après une formation rudimentaire, une journaliste de Terra economica a rejoint pour quelques jours l'armée de ces petites voix. Reportage au pays du télémarketing.
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Soudain, Sonia, ma superviseuse, se rue sur moi, et hurle : "C’est pour vous faire faire des économiiiies, madame !". Terrifiée, j’enfonce mon casque sur mes oreilles, me tourne vers mon micro et répète avec le plus conviction possible : "C’est pour vous faire faire des économies madame !". La dame en ligne me répond mais je n’entends pas. Les injonctions de ma chef couvrent ma propre voix. Sonia crie à nouveau : "Je peux vous en faire bénéficier, madaaaame ?". Je reprends mot pour mot, la gorge nouée mais la voix sereine. Car l’interlocuteur d’un téléacteur ne doit rien savoir des conditions dans lesquelles nous travaillons. Après quelques répliques de cet acabit, les arguments de Sonia portent. Je réussis à vendre un abonnement France Télécom à cette dame. Satisfaite, Sonia m’abandonne pour aller prendre en main un autre téléacteur. Je souffle, et passe à un autre appel.

Encore néophytes, déjà spécialistes

Une quarantaine de personnes travaillent comme moi dans ce centre d’appel - ou call-center - perché au deuxième étage d’un immeuble d’affaires, en périphérie d’une grande métropole française. Mes missions varient. Je dois tantôt récupérer des clients France Telecom partis à la concurrence, tantôt "placer" des rendez-vous avec le technicien Gaz de France. Ou encore une entrevue avec votre banquier, pour qu’il vende un prêt à la consommation. Pour France Télécom par exemple, ma mission et celle de mes collègues, consiste à appeler le plus grand nombre de clients infidèles pour leur dresser un comparatif des prix. Pour cela nous disposons d’une documentation d’une dizaine de feuilles volantes barrées de chiffres, que nous découvrons en moins d’une heure, avant de passer à la vente et de nous improviser spécialistes de la téléphonie.
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Illustration : Toad

"Tous là pour bouffer"

Comme l’a dit le patron un jour, "on est tous là pour bouffer". Dès qu’on trouve mieux ailleurs, on part. Du coup, la moyenne d’âge ne doit pas dépasser 25 ans. Les téléacteurs restent à peine quelques semaines. Il y a peu d’échanges. Pour beaucoup c’est un premier boulot. J’ai remarqué que d’autres sortaient d’une modeste formation en commerce. Mais nous discutons peu : tout retard entraîne une sanction sur salaire, et la pause est réduite à la portion congrue. Si les calls-centers attirent les candidats, c’est par la possibilité de temps partiel. Personne n’est obligé de travailler 35 heures. Quant au salaire, il peut atteindre 950 euros pour un temps plein, à condition de travailler jusqu’à 20h30 tous les soirs et pendant cinq heures le samedi.

Casque, ordinateur et mini-bureau

Tous les télévendeurs avec qui je travaille ont la voix jeune, souriante et convaincante. C’est le principal critère de sélection. Nous parlons tous en même temps pour dire la même chose pendant plus de six heures par jour. La cacophonie est totale. Il faut dire que l’acoustique de la salle est rudimentaire. Des murs en contreplaqué délimitent les bureaux, exigus, des chefs. L’espace principal - ce qu’on appelle "le plateau" - est réservé aux téléacteurs. En fait de bureau, chacun de nous dispose d’un box équipé d’un ordinateur et d’un casque portant oreillettes et mini-micro. Le dossier de mon fauteuil heurte en permanence celui du téléacteur assis dans le box derrière moi. Mon espace de travail mesure 90 cm de large, en tout et pour tout.
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Illustration : Toad

CDD de 2 jours

C’est sur cette petite table qu’au bout de quatre jours de travail, j’ai signé mon premier contrat. Sonia me l’a tendu alors que j’étais en ligne avec une cliente. Dans ce document de trois pages, je lis : "Durée maximale prévisible de la mission : deux jours. Période d’essai : un jour". En somme, je suis jetable tous les jours sans frais. La semaine précédente, j’ignorais tout du télémarketing. Mais ce jour-là, j’avais rempli les objectifs de vente sans problème. Contre toute attente, j’étais un bon cheval.

Mentir en souriant

Ma formation fut pourtant rudimentaire. Trois heures, non rémunérées, pour apprendre les "règles d’or du téléphone" et les objectifs de la mission. J’y ai découvert que la plupart des numéros 0800... et la majorité des appels provenant des entreprises sont sous-traités à des centres d’appel. Comme le dit notre coach, il faut donc "être mythomane jusqu’au bout". Si on appelle pour EDF, nous sommes EDF. Peu importe que nous ignorions tout de l’entreprise. Pour nous aider à jouer ce rôle, nous travestissons jusqu’à notre identité. Les faux noms sont les mêmes pour tous les téléacteurs. "Claude Lefort", pour vendre des contrats sérieux, "Lison Forêt" pour des offres plus alléchantes... Nous sommes également censés appeler de Rennes ou de Dijon quand nous contactons les clients bretons ou bourguignons. De fait, nos premiers mots - "Bonjour, Claude Lefort de votre agence EDF de Rennes" - sont aussi notre premier mensonge...

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Lyonnaiserie déterminée à prendre les voies buisonnières et collectives du journalisme, à ses heures perdues surfant un peu sur les ondes et les fréquences libres du Web.

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