Soudain, Sonia, ma superviseuse, se rue sur moi, et hurle : "C’est pour vous faire faire des économiiiies, madame !". Terrifiée, j’enfonce mon casque sur mes oreilles, me tourne vers mon micro et répète avec le plus conviction possible : "C’est pour vous faire faire des économies madame !". La dame en ligne me répond mais je n’entends pas. Les injonctions de ma chef couvrent ma propre voix. Sonia crie à nouveau : "Je peux vous en faire bénéficier, madaaaame ?". Je reprends mot pour mot, la gorge nouée mais la voix sereine. Car l’interlocuteur d’un téléacteur ne doit rien savoir des conditions dans lesquelles nous travaillons. Après quelques répliques de cet acabit, les arguments de Sonia portent. Je réussis à vendre un abonnement France Télécom à cette dame. Satisfaite, Sonia m’abandonne pour aller prendre en main un autre téléacteur. Je souffle, et passe à un autre appel.
Encore néophytes, déjà spécialistes
Une quarantaine de personnes travaillent comme moi dans ce centre d’appel - ou call-center - perché au deuxième étage d’un immeuble d’affaires, en périphérie d’une grande métropole française. Mes missions varient. Je dois tantôt récupérer des clients France Telecom partis à la concurrence, tantôt "placer" des rendez-vous avec le technicien Gaz de France. Ou encore une entrevue avec votre banquier, pour qu’il vende un prêt à la consommation. Pour France Télécom par exemple, ma mission et celle de mes collègues, consiste à appeler le plus grand nombre de clients infidèles pour leur dresser un comparatif des prix. Pour cela nous disposons d’une documentation d’une dizaine de feuilles volantes barrées de chiffres, que nous découvrons en moins d’une heure, avant de passer à la vente et de nous improviser spécialistes de la téléphonie.- Illustration : Toad
"Tous là pour bouffer"
Comme l’a dit le patron un jour, "on est tous là pour bouffer". Dès qu’on trouve mieux ailleurs, on part. Du coup, la moyenne d’âge ne doit pas dépasser 25 ans. Les téléacteurs restent à peine quelques semaines. Il y a peu d’échanges. Pour beaucoup c’est un premier boulot. J’ai remarqué que d’autres sortaient d’une modeste formation en commerce. Mais nous discutons peu : tout retard entraîne une sanction sur salaire, et la pause est réduite à la portion congrue. Si les calls-centers attirent les candidats, c’est par la possibilité de temps partiel. Personne n’est obligé de travailler 35 heures. Quant au salaire, il peut atteindre 950 euros pour un temps plein, à condition de travailler jusqu’à 20h30 tous les soirs et pendant cinq heures le samedi.Casque, ordinateur et mini-bureau
Tous les télévendeurs avec qui je travaille ont la voix jeune, souriante et convaincante. C’est le principal critère de sélection. Nous parlons tous en même temps pour dire la même chose pendant plus de six heures par jour. La cacophonie est totale. Il faut dire que l’acoustique de la salle est rudimentaire. Des murs en contreplaqué délimitent les bureaux, exigus, des chefs. L’espace principal - ce qu’on appelle "le plateau" - est réservé aux téléacteurs. En fait de bureau, chacun de nous dispose d’un box équipé d’un ordinateur et d’un casque portant oreillettes et mini-micro. Le dossier de mon fauteuil heurte en permanence celui du téléacteur assis dans le box derrière moi. Mon espace de travail mesure 90 cm de large, en tout et pour tout.- Illustration : Toad
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