Dans le Paris du XIXe siècle, il y avait des coopératives alimentaires – La Moissonneuse, L’Egalitaire, La Bellevilloise – qui vendaient des produits de qualité à des prix abordables. Elles n’ont pas résisté à l’avènement de la grande distribution. Aujourd’hui, les fondateurs de La Louve reprennent le flambeau et comptent ouvrir un supermarché coopératif d’ici à 2015 dans le XVIIIe arrondissement de la capitale. « “ Supermarché ”, c’est le mot le moins élitiste du monde, s’amuse Tom Boothe, un œnologue américain installé à Paris, à l’origine du projet. On est en opposition avec le modèle classique, mais on veut créer un lieu fonctionnel, où chacun trouvera tout ce dont il a besoin et surtout des produits de très bonne qualité, accessibles à des gens aux revenus modestes. »
La coopérative proposera à ses membres – et à eux seuls – des produits de 20 % à 40 % moins chers que ceux vendus dans un supermarché classique. Comment donc, si elle ne fait pas d’économies sur la qualité ? Grâce à sa main-d’œuvre, pardi ! Chaque membre s’engagera à travailler bénévolement quelques heures par mois pour faire tourner la boutique. Ce qui permettra de diminuer les coûts de fonctionnement. La coopérative prévoit une marge de 20 % et négociera directement avec les producteurs des prix qui respectent leur travail. Pour l’instant, les Amis de La Louve sont au nombre de 50 et viennent de créer un groupement d’achat pour lancer le choix des producteurs et affiner ce concept rodé depuis trente ans à New York, aux Etats-Unis.
16 000 membres à New York
Là-bas, niché sur une avenue de Brooklyn, Park Slope Food Coop (PSFC) ressemble à un supermarché ordinaire, avec ses rayonnages bondés et ses caisses modernes. Mais dans les rayons, on sent le parfum de la différence. Il y a ces étals de fruits et légumes colorés, fraîchement livrés de fermes de la région. Puis une annonce qui retentit : « Si vous voulez partager du melon d’eau, rendez-vous au premier étage. » Plus loin, le babil des bambins qui s’échappe de la crèche. Dans la file d’attente, les clients discutent ou lisent La Gazette, le journal « local ».« Nous ne disons pas “ des clients ”, mais “ des membres ” », corrige Joe Holtz, cofondateur des lieux, en 1973. « Quand on est dans un supermarché, on se demande en regardant les produits : “ D’où ça vient ? ”, “ Quelle marge font-ils ? ” Ici, il n’y a pas de “ ils ”, le lieu appartient à tous et les règles sont définies collectivement. » La coopérative tourne à plein régime et 16 000 membres s’y pressent toutes les semaines pour faire leurs courses. PSFC refuse d’ouvrir des franchises, mais aide d’autres projets à se lancer.
Retour à Paris, où l’élève compte dépasser le maître. L’ambition est de faire de La Louve un commerce populaire et de toucher une clientèle plus large que celle des Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) ou des supermarchés bios.
« Voir un pédégé mettre en rayon des légumes avec un ouvrier », ce vœu pieux que les fondateurs énoncent en riant symbolise bien le grand écart à tenir entre l’esprit du lieu, le prix des produits et leur qualité. A New York, si seule de la viande d’animaux nourris à l’herbe est proposée, on trouve aussi en rayon des articles qui défrisent la rigueur écologique : du Nutella, du fromage à la crème Philadelphia, des céréales Cheerios aux OGM. Explication de ce paradoxe : ce sont les membres qui sélectionnent ce qui est vendu, lors des assemblées générales.
Nutella et impacts
« C’est plutôt rassurant de voir que, à PSFC, 90 % des produits vendus sont les meilleurs que l’on puisse trouver à New York, temporise Tom Boothe. Nous aurons peut-être du Nutella, nous aussi, si les membres ne peuvent s’en passer, mais nous allons mettre le paquet sur l’étiquetage pour prendre les décisions en ayant conscience des impacts. Nous voyons La Louve comme un laboratoire où discuter des meilleurs compromis entre le bon, le bio, le sain, le prix et le plaisir de manger. » —Les petits de La Louve font leurs premiers pas
Si le supermarché n’ouvrira qu’en 2015, La Louve accueille déjà ses membres ! Au sein d’un groupement d’achat, ils commandent en commun des denrées de qualité (pour le moment non périssables) auprès de producteurs. Une première étape pour lancer la dynamique. Organisation à but non lucratif, La Louve fonctionne pour l’instant avec des bénévoles impliqués dans les différents groupes de travail sur les aspects juridique, technique et administratif du montage du projet. —
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