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innovation politique

Par Rodrigue Coutouly
13-04-2011

Le socialisme et l’écologie sont-ils compatibles ? Dialogue avec Pierre Moscovici

Parmi les ténors socialistes, Pierre Moscovici, un proche de DSK, est un des seuls à s'interroger profondément sur les liens entre écologie et socialisme. A l'heure où la victoire des socialistes paraît possible l'an prochain, il semble utile d'aller voir ce que les socialistes proposent réellement en matière d'écologie. Partons de deux chroniques récentes que Moscovici a écrites pour Terraéco, "Pour une social-écologie" (novembre 2010) et "le Nucléaire à la croisée des chemins" (mars 2011), pour lui répondre avec quelques réactions et réflexions.

Le premier principe qui doit fonder nos réflexions est celui du lien entre crise sociale et urgence climatique, dans un cadre budgétaire souvent contraint. Préparer l’avenir de ne donne pas pour autant le droit aux gouvernants d’occulter la détresse sociale d’aujourd’hui au nom de celle de demain. Je pense ici à la taxe carbone, mais également à une stigmatisation des modes de déplacement souvent trop simpliste et déconnectée de la réalité : offres de transports limitées, horaires décalés, prix des véhicules propres, mobilité réduite. Notre société a autant à craindre d’un accès à l’énergie à deux vitesses, d’une qualité de l’air et de l’eau qui varie selon les catégories sociales que d’émissions de gaz à effet de serre qui affectent uniformément l’ensemble de la population. Il nous faut lutter contre le cumul de toutes les précarités, qu’elles soient économiques, sociales, environnementales ou énergétiques. C’est cette colonne vertébrale du socialisme qui différenciera la social-écologie de l’écologie « classique » : poursuivre un objectif de sobriété énergétique nationale sans jamais remettre en cause un accès pour tous au service énergétique minimum.

Mes réactions : Moscovici tente la synthèse : garder l’accès pour tous à l’énergie tout en combattant le réchauffement climatique. Mais son propos révèle surtout la puissance des obstacles que nous rencontrons : la dette limite les marges de manoeuvres. Pourtant l’efficacité énergétique réclame des investissements, la nécessaire sobriété exige l’augmentation des prix de l’énergie, Pourtant la pauvreté croissante de pans entiers de la population les enferment dans l’impossibilité d’agir et d’échapper à des logements et à des modes de déplacements énergivores. Moscovici prétend lutter contre ces "précarités". Mais il n’explique pas comment les socialistes vont s’y prendre. Comment construire un cercle vertueux innovant qui va permettre à la fois d’investir et de soutenir les plus pauvres ? Comment démarrer ce cercle vertueux alors que les armes traditionnelles de la relance et de la croissance se révèlent inopérantes ?

Je crois à l’efficacité des marchés carbone ; encore faut-il que les quotas ne soient pas distribués gracieusement et en nombre excessif. C’est dans le cadre de la vaste révolution fiscale à laquelle nous appelons que doivent naître ces nouveaux outils économiques : si les différentes contributions et taxes (telles que la TVA) sont correctement éco-modulées, alors nos modes de production et de consommation changeront durablement. A ce titre, je milite pour une contribution climat-énergie forte, qui pourra porter de manière alternative sur les niveaux ou l’évolution de la consommation. Mais cette contribution devra être générale, socialement juste et efficace – à travers la redistribution pour des produits de reconversion ciblés « verts ».

Mes réactions : Moscovici a un niveau de réflexion sur l’écofiscalité largement supérieur à la plupart de ses pairs. Il a compris que c’est toute la variété des taxes qui doit être touchée par la fiscalité environnementale. Il a compris que la réussite d’une écotaxe n’est possible que si elle est redistribuée. Je ne comprend pas ce qu’il veut dire par une contribution climat-énergie forte, ce qui me semble antinomique avec l’idée de ne pas pénaliser les plus faibles. Je ne comprend pas ce qu’il entend par "qui pourra porter de manière alternative sur les niveaux ou l’évolution de la consommation", car on peut s’inquiéter du mécanisme d’alternance, du risque de dérives et du manque de régulation d’un système de contribution climat-énergie.

Nous devrons mettre ces sujets à plat, faute de quoi le dialogue sera éphémère. Mais pour dépasser ces débats politiques autant que techniques, nous devrons surtout veiller à ce que ces questions qui façonnent le visage d’un pays soient rendues au débat public : les choix du « mix » énergétique, du modèle agricole et alimentaire, doivent sortir des cercles d’experts pour donner lieu à une discussion citoyenne publique. Nous savons le faire dans nos collectivités depuis de nombreuses années, nous devons l’instaurer pour ces sujets nationaux. Le changement de modèle économique et technique est un enjeu majeur : les citoyens doivent être associés et concernés, et leurs aspirations au changement incarnées.

Mes réactions : On ne peut être que d’accord avec l’idée d’un débat public sur ces thèmes. Il faudra être vigilant pour que les lobby les plus puissants, ceux du nucléaire et de la chimie par exemple, n’en profitent pas pour continuer d’imposer leurs idées sur la société et l’opinion française. Moscovici doit savoir aussi que nombreux de ses camarades ont été, par le passé, entraînés dans des eaux douteuses de la compromission sur le dos des concitoyens de ce pays. La capacité des leaders d’un pays à s’affranchir des influences néfastes et des petits arrangements "entre amis" sera essentielle si nous voulons avancer et sortir de l’impasse du nucléaire ou de l’agriculture "chimiquement assistée".

Le dégoût de la politique, par une partie croissante de la population, révèle aussi l’importance de remettre le débat sur la place publique. Mais les Français ne vont pas se satisfaire de quelques débats médiatiques dans un grand hôtel parisien : la population a un niveau d’étude et des moyens d’informations largement supérieurs à ceux qui pouvait exister il y a trente ans. La blogosphère est devenue le lieu privilégié de cette pensée collective qui émerge aujourd’hui. Un simple débat sans lendemain, sans conséquences sur les décisions, "pour la galerie" serait vécu comme une trahison de plus.

Qu’en penser, ensuite, sur le fond ? D’abord, que sortir de cette hypertrophie est indispensable, mais prendra du temps. Le nucléaire est à ce stade une énergie de compromis, qui nous permet une certaine indépendance énergétique tout en participant des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et en assurant une certaine sécurité des prix. Ce « rééquilibrage maitrisé » est d’autant plus nécessaire que si les énergies renouvelables (EnR) représentent l’avenir, elles ne sont pas encore des technologies totalement matures. La possibilité qu’une sortie brutale du nucléaire aboutisse ainsi à la victoire du… gaz n’est pas à négliger. Ceci avec des conséquences considérables : un impact en CO2 quatre à cinq fois plus élevé et l’obligation d’importer une grande part de notre consommation depuis la Russie ou le Moyen-Orient. Les nouvelles énergies n’ont par ailleurs rien à gagner à s’aliéner l’adhésion populaire par une augmentation brutale et inconsidérée du coût de l’électricité.

Mes réactions : Je ne suis pas d’accord avec cette expression d’"énergie de compromis". L’importance du nucléaire en France n’est pas dû à un compromis, car à l’époque de sa montée en puissance, la question du réchauffement climatique n’existait pas. Cette invention d’un compromis bénéfique est une invention qui date de la fin des années 90, à posteriori, des écologistes pro-atomique pour re-légitimer le nucléaire.

Moscovici sait parfaitement que la sortie brutale du nucléaire est demandée par une minorité infime et irréaliste d’écologistes. La grande majorité sait parfaitement que cela se fera de manière progressive. La position de Moscovici interroge ici : en se positionnant face aux extrémistes, il prend une posture médiane qui légitime encore le nucléaire. Il oublie les écologistes qui défendent, comme Négawatt, des positions lucides, réalistes et solides de sortie du nucléaire en 20 ou 30 ans.

Bref, écrits en pleine horreur nucléaire nippone, ce texte montre bien que, en filigrane, Moscovici n’est pas convaincu par la sortie du nucléaire.


Il nous faut donc investir significativement et durablement dans la technologie industrielle liée aux énergies renouvelables afin qu’elles puissent prendre la relève au plus vite – à l’opposée du stop-and-go délétère du gouvernement. Mais sortir du nucléaire passe aussi et surtout par une meilleure isolation de nos bâtiments et une modification substantielle de nos habitudes de consommation. On oublie trop souvent que l’essentiel des gains potentiels passe par la maitrise de la demande. La France doit enfin, autant que possible, aligner le niveau de sureté des centrales sur les meilleurs standards mondiaux, y compris dans son choix de technologies.

Mes réactions : La dernière phrase montre encore une fois la croyance de Moscovici en un monde nucléaire sûr. Mais il a trop l’esprit de compromis pour ne pas mettre tous "ses oeufs dans le même panier". Il parle donc d’investissements dans les énergies renouvelables. Mais il sait bien que, à l’heure de l’argent rare, du surendettement de l’Etat et de la Nation, devant l’efficacité du lobby nucléaire, ces investissements resteront marginales et ne permettront pas d’inverser la tendance.

Conclusion : je suis un lecteur régulier du blog de Pierre Moscovici car j’apprécie son intelligence politique (au sens noble du terme). Dans celui-ci, il ne parle pratiquement jamais d’écologie. Ses articles dans Terraéco n’ont-ils pas alors pour seul objectif de labourer le filon de l’électorat écologiste ? Cette hypothèse serait regrettable : Pierre Moscovici est un des seuls socialistes capables aujourd’hui d’intégrer la problématique écologiste dans sa pensée politique. Or, les socialistes au pouvoir vont affronter des difficultés énormes liées à l’entrelacement des crises économiques et écologistes, ils auront bien besoin de personnalités capables d’affronter la complexité du monde et d’en imaginer des solutions innovantes.

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